lundi 12 novembre 2012, par Guy Perrin, Thibaut Paumard
La conception de GRAVITY est déterminée par ses objectifs principaux, qui concernent l’observation d’effets de relativité générale à proximité immédiate du trou noir central de la Galaxie. Cependant il s’avère que cet instrument sera également un outil très polyvalent qui promet des avancées considérables dans des domaines variés de l’astrophysique moderne.
L’un des principaux thèmes de recherche de notre équipe est l’étude des noyaux actifs de galaxies (NAG, en anglais Active Galactic Nuclei ou AGNs). Il s’agit des régions internes de certaines galaxies qui sont particulièrement brillantes dans certains domaines de longueur d’onde, indiquant la présence d’activité autour d’un trou noir central. Notre galaxie n’est pas à proprement parler active : vue de l’extérieur, son noyau ne paraitrait pas aussi lumineux que celui des NAG. La plupart des NAG sont cachés derrière d’importantes quantités de poussière. Le système d’optique adaptative de GRAVITY, muni de son senseur de front d’onde infrarouge, permettra de travailler sur ces sources très rouges.
Vue d’artiste d’un trou noir entouré d’un disque de gaz chaud et d’un grand tore de gaz plus froid et de poussières. Un jet de particules énergétiques s’échappe perpendiculairement au disque d’accrétion.(Illustration : NASA/CXC/M.Weiss)
Les NAG ne sont pas les seuls objets au sein desquels on trouve des disques d’accrétion et des jets. Ils sont également présents dans une autre classe d’objets fascinants : les systèmes stellaires en formation. On parle alors de disques protostellaires ou protoplanétaires lorsque la présence de planètes en formation est avérée. Bien qu’à une échelle bien plus petite que celle des disques entourant les trous noirs supermassifs, c’est essentiellement la même physique qui dicte le comportement de ces systèmes. Là encore, la source lumineuse compacte est enfouie derrière d’importantes quantités de poussières qui font du senseur infrarouge de GRAVITY un atout majeur en vue de leur observation. La haute résolution spectrale de GRAVITY permettra d’étudier la dynamique du gaz ionisé au sein de ces objets. Par reconstruction d’image, on pourra étudier les sillons tracés dans le disque par les planètes géantes en formation ainsi que l’éjection de matière par les jets.
Enfin, il existe des systèmes stellaires binaires dans lesquels l’une des composantes est un trou noir et l’autre une supergéante rouge. Il arrive que de la matière soit alors transférée de la supergéante vers le trou noir, formant un disque d’accrétion et un jet. On parle de microquasars en raison de la ressemblance entre ces systèmes et les quasars (qui sont certains NAG, vus de très loin). Les jets émis par ces objets sont observés en radio. GRAVITY peut espérer en détecter la base en infrarouge, et ainsi dévoiler le secret de leur origine.
Il est généralement admis que des trous noirs d’une masse d’au moins 100 000 masses solaires ont été détectés au cœur de galaxies (par exemple Sgr A* au cœur de la Voie lactée). On connaît également l’existence de trous noirs de masse stellaire. Issus de la mort d’étoiles massives, ceux-ci ont une masse de l’ordre de 10 à 100 masses solaires. En revanche, on ne connaît pas à l’heure actuelle de trou noir avéré d’une masse en quelques centaines et quelques dizaines de milliers de masses solaires. Pourtant on pense que ces trous noirs de masse intermédiaire devraient se former au centre des amas d’étoiles les plus denses, et qu’ils pourraient être les précurseurs des trous noirs supermassifs au centre des galaxies.
Dans ce contexte, le but de GRAVITY est d’appliquer la même méthode que celle qui a donné de très bons résultats dans le cas du CG au cœur d’autres amas denses, notamment des amas globulaires : il s’agira de déterminer les orbites d’étoiles individuelles le plus près possible du trou noir hypothétique au centre de ces amas. Cela permettra de confirmer ou d’infirmer la présence d’un trou noir, et, le cas échéant, d’en déterminer la masse de façon précise.
Pour finir, l’un des sujets de recherche les plus médiatisés ces dernières années, et à juste titre, est celui des planètes extrasolaires (voir aussi). Là encore, GRAVITY ne sera pas en reste. GRAVITY pourra détecter des planètes par deux méthodes : par astrométrie de l’étoile, qui vacille au rythme où la planète tourne autour d’elle, et par transits : lorsqu’une planète passe devant son étoile, elle éclipse une partie de son flux. En étudiant la courbe de lumière de l’étoile, on peut voir un léger creux qui trahit ces transits. Compte tenu des spécificités de GRAVITY, son cœur de cible sera la détection de planètes autour d’étoiles de faible masse appartenant à des systèmes binaires.
Simulation de sursaut selon l’hypothèse dite du "point chaud". Cliquer sur l’image pour démarrer la vidéo. Ici, de la matière en orbite autour du trou noir s’échauffe et devient brillante. Sous l’effet des forces de marées, le point chaud s’étend en un arc puis forme un anneau tout en refroidissant. Le trou noir au centre (invisible) fait office de lentille gravitationnelle de sorte que l’arc apparaît distordu. Il y a même formation d’images multiples. Les axes sont gradués en rayons du trou noir, GRAVITY permettrait de mesurer la position de l’objet à une unité près. La courbe qui spirale correspond à ce que mesurerait GRAVITY (sans barres d’erreur). La courbe en bas est la courbe de lumière correspondante, qui a bien l’aspect des sursauts observés jusqu’à présent.