lundi 12 novembre 2012, par Guy Perrin, Thibaut Paumard
La conception de GRAVITY est déterminée par ses objectifs principaux, qui concernent l’observation d’effets de relativité générale à proximité immédiate du trou noir central de la Galaxie. Cependant il s’avère que cet instrument sera également un outil très polyvalent qui promet des avancées considérables dans des domaines variés de l’astrophysique moderne.
Le Centre galactique (CG) est situé à ≈ 25 000 années-lumière du système solaire. Étant, bien évidemment, situé dans le disque de la Galaxie, il n’est pas observable dans le domaine visible en raison de quantité de poussière sur la ligne de visée. De par cette relative proximité, il apparait comme bien plus grand angulairement que les autres noyaux de galaxie, dès lors que l’on observe aux grandes longueurs d’onde (infrarouge, radio) ou au contraire en rayons X ou encore plus énergétiques. Le trou noir supermassif qui y siège, Sgr A*, bien que d’une masse modeste pour ce type de trous noirs (environ 4 millions de masses solaires !), est celui dont le rayon de Schwarzschild RS sous-tend l’angle le plus grand : ≈ 10 μas (micro seconde d’angle : 1°=3 600 000 000 µas). Le second trou noir par ordre de rayon de Schwarzschild apparent est celui au cÅ“ur de la galaxie M82, deux fois plus petit. En outre, le CG présente des traces d’activité passée et actuelle. C’est donc le sujet idéal pour étudier en détails les mécanismes en jeux dans les noyaux actifs de galaxies (NAG, voir ci-dessous).
Les quelques années–lumières centrales de la Galaxie sont occupées par l’amas nucléaire, des milliers d’étoiles qui orbitent autour de Sgr A*. Une centaine d’entre elles passent très près du trou noir. C’est l’étude de leurs mouvements qui donne la meilleure estimation de la distance au CG et de la masse de Sgr A*. La plus connue de ses étoiles, S2, a une période orbitale d’une quinzaine d’années et passe au périapse à environ 2000 RS seulement, à une vitesse quasi-relativiste (≈ 1% de la vitesse de la lumière).
Les orbites d’étoiles passant très près d’un trou noir devraient être légèrement différentes des ellipses observées par Kepler et expliquée par Newton. En effet, on atteint un régime de gravité et de vitesse où les calculs d’orbites nécessitent l’usage de la théorie de la relativité générale. L’orbite de S2, comme celle des autres étoiles connues, apparaissent encore comme parfaitement elliptiques du fait des incertitudes de mesure. Le premier des objectifs de GRAVITY est de découvrir de nouvelles étoiles encore plus proches du trou noir. Ces étoiles parcourront leur orbite en seulement 1 an environ. Les effets relativistes sur leur trajectoire seront évidents. De plus, leur trajectoire sera peut-être également influencée par la présence de matière sombre autour du trou noir, par exemple en raison du grand nombre de trous noirs stellaires qui ont dû s’accumuler là au cours de l’histoire de la Galaxie. En effet, de nombreuses étoiles ont vécu et sont mortes en orbite autour de Sgr A*. Certaines ont laissé derrière elles un trou noir de faible masse (≈ 10 masses solaires), qui doit continuer de tourner autour du trou noir supermassif.
Simulation de mesure par GRAVITY de l’orbite (en bleu) d’une étoile très proche du trou noir centrale. L’étoile hypothétique utilisée ici est semblable à S2 mais 10 fois plus proche du trou noir. On pense découvrir de telles étoiles grâce à GRAVITY. L’orbite ne se referme pas : c’est l’effet relativiste d’avancée du périapse. Les symboles de couleur représentent les positions mesurées par GRAVITY en mai, juin et juillet, deux années consécutives. L’étoile a déjà parcouru deux fois son orbite et l’avancée du périapse est évident. Les autres courbes représentent des fragments d’orbites d’autres étoiles également observées par GRAVITY. Les axes sont gradués en milliseconde d’angle (mas), la résolution de GRAVITY étant de 2 à 4 mas.
Le foyer de l’orbite de S2 et des autres étoiles coïncide exactement (aux erreurs de mesure près) avec la position de la source radio ponctuelle Sgr A*. À cette position il y a un objet de luminosité variable dans le domaine infrarouge. En général, il est presque indétectable. Mais environ une ou deux fois par jour, sa luminosité augmente d’un facteur important (plusieurs dizaines). On parle de sursauts ou flares en anglais. À ce moment là , cette source de lumière est plus brillante que l’étoile S2. Un trou noir est, par définition, noir, c’est à dire qu’il n’émet pas de lumière. Les sursauts ne proviennent donc pas du trou noir lui même mais de son environnement. On ne connait pas exactement l’origine de ce rayonnement. Ce dont on est sûr, c’est qu’il vient de très près du trou noir, probablement du disque d’accrétion qui entoure très certainement Sgr A* ou du jet qui en émane probablement. Le second objectif de GRAVITY est d’observer ces sursauts. Le pouvoir de résolution de l’instrument sera insuffisant pour faire une image détaillée des sursauts, mais il permettra d’en mesurer la position avec une précision meilleure que le rayon de Schwarzschild du trou noir. Avec une telle précision, il est probable que l’on sera capable de mesurer le déplacement des sursauts, dont on est presque certain qu’ils sont en mouvement. En effet, aussi près d’un trou noir, la matière est nécessairement animée de vitesses proches de celle de la lumière. Ainsi, GRAVITY permettra de déterminer l’origine des sursauts et de mesurer le mouvement de matière extrêmement près d’un trou noir.