lundi 22 novembre 2021
Le 7 octobre 2021, Damya Souami, post-doc au LESIA, a organisé et coordonné la plus importante campagne d’occultation et d’imagerie du système neptunien entreprise depuis le survol par Voyager en 1989. Elle a pour cela mobilisé une équipe internationale autour d’elle impliquant plusieurs des grands télescopes du continent américain et à Hawaii. Cette initiative lui a valu d’être distinguée Researcher of the Month du CFHT.
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Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Damya Souami rĂŞvait de devenir astronome. Ă€ cinq ans Ă peine, comme bien des enfants de sa gĂ©nĂ©ration, elle dĂ©couvrit Hubert Reeves, fut bercĂ©e par ses rĂ©cits, captivĂ©e par les Ă©missions qu’il animait. Cette rencontre, bien que virtuelle, la marqua Ă tel point que, maintenant que le rĂŞve est devenu rĂ©alitĂ©, elle le considère comme son premier « professeur d’astronomie ». C’est lui qui lui insuffla cette passion de dĂ©couvrir et d’explorer l’univers, passion qui lui fit dĂ©finitivement tourner le regard vers les Ă©toiles.
Mais le chemin est long et le choix complexe car d’autres matières l’enthousiasment : l’histoire et les mathĂ©matiques fondamentales. Comment les combiner ? Cruel dilemme ! Jusqu’au moment oĂą elle rĂ©alise que, justement, l’astronomie peut lui permettre d’étudier le passĂ© de l’univers, d’en ĂŞtre « l’historienne », en quelque sorte. Il suffit de trouver le sujet qui va les rĂ©unir. Elle gravit alors plusieurs marches vers son Graal : licence maths – physique, puis une annĂ©e Erasmus Ă Cardiff en Grande-Bretagne.
Elle y fait alors une autre rencontre décisive dans son parcours : celle du professeur Alex Ivanov (1957-2010), spécialiste de physique statistique qui travaille sur l’interaction entre la matière et la lumière. Il sera son responsable de Third year project (projet de recherche qui occupe la troisième année dans les universités britanniques). Cette entrée en matière dans la recherche lui permet de se familiariser avec ce qui deviendra son futur métier. Alex lui communique une telle passion pour son domaine qu’elle pense un instant continuer son parcours en physique statistique. Pour l’anecdote, son admiration est telle qu’elle empruntera à Alex, sans même s’en rendre compte, une pointe d’accent russe en anglais qu’elle finira par perdre au fil des années !
De retour en France, elle postule au Master physique et applications de l’UPMC et découvre l’existence de cours en option à l’Observatoire de Paris. En stage de M1 elle étudie ce qui la captive depuis toujours : les astéroïdes et, spécifiquement, leurs vitesses de collision. Puis, en M2, elle s’inscrit au Master dynamique des systèmes gravitationnels (DSG) de l’Observatoire de Paris. Elle effectue son stage de M2 au LESIA, sous la direction de Bruno Sicardy. Avec lui, elle travaille sur les arcs de Neptune pour tenter d’en comprendre le confinement longitudinal. Pour ce faire, elle utilise des données d’optique adaptative obtenues au VLT avec l’instrument NACO. Son but est enfin atteint ! En effet, la particularité de ce sujet de recherche qui l’occupe encore actuellement est de réaliser la synthèse de ses trois centres d’intérêt : l’astronomie, les mathématiques et l’histoire, tous trois indispensables à l’étude des arcs.
Lors de son récent postdoc au LESIA, financé par l’ERC Lucky Star (2015-2021) de Bruno Sicardy, Damya a travaillé sur des données relatives aux arcs de Neptune obtenues en 2016 avec l’instrument SPHERE du VLT. Cette étude a notamment permis de confirmer que les arcs Courage et Liberté avaient disparu, alors que les arcs Égalité et Fraternité sont relativement stables. Cette étude a fait l’objet d’un article récemment accepté dans la revue A&A (Astronomy & Astrophysics) et dont la version arXiv est déjà disponible ici. Pur hasard peut-être mais les arcs de Neptune ont été découverts en juillet 1984 alors que Damya venait tout juste de voir le jour ! Faut-il y voir un présage ?
Toujours est-il qu’en octobre 2019, avec Bruno Sicardy, Josselin Desmars, Jean Lecacheux et Stéfan Renner, grâce au catalogue Gaïa qui répertorie plus d’1,7 milliard d’étoiles, elle met en évidence une occultation stellaire par le système neptunien prévue en octobre 2021. Cela sera finalement le 7 octobre. C’est une chance car ce phénomène est observable sur l’ensemble du continent américain et à Hawaï où sont, justement, implantés les grands télescopes. Elle se lance alors, dès le début de l’année 2021 dans une course pour obtenir du temps d’observation sur ces instruments. Elle mobilise et coordonne également toute une équipe autour d’elle en prévision de cette occultation.
Ses principaux arguments que nous présentons ici succinctement ont convaincu ses interlocuteurs et les TAC (comités d’attribution de temps de télescope). C’est la première opportunité, depuis 1989 et le survol de Voyager, de mener une étude à grande échelle du système neptunien. Cette étude peut contribuer à mettre en évidence de petits satellites de Neptune qui pourraient expliquer le confinement des arcs. Elle peut également permettre de sonder la troposphère de la planète et de détecter des effets saisonniers puisqu’une saison neptunienne dure 40 ans. Enfin, elle pourrait être l’amorce d’une mission vers Uranus et / ou Neptune, dans le cadre du NASA Decadal Survey, en collaboration avec l’ESA et dans le cadre de son programme Voyage 2050. Cette mission, si elle est confirmée, serait lancée dans une dizaine d’années.
En dehors de ses activités de recherche, Damya est une authentique voyageuse, de celles qui ne connaissent ni programme, ni plan, ni carte. Son plaisir est d’aller au gré de sa fantaisie, de se fier à son intuition et de cheminer, le plus souvent seule, hors des sentiers battus, en pleine forêt comme en ville. C’est ce qui l’assure de rencontrer l’autre, dans toute sa singularité et la beauté de ses différences et, ainsi, de comprendre des cultures nouvelles. En écho ou en miroir à sa démarche de recherche, elle veut découvrir par elle-même des lieux qui ne sont répertoriés nulle part. Enfin, elle se délecte des ouvrages de Jules Verne, de ces récits fantastiques d’explorations qui la font rêver. C’est donc bien là que se fait un lien tout naturel entre la chercheuse et la voyageuse. La boucle est bouclée : explorer et découvrir notre Terre tout comme l’Univers, associant pour ce faire histoire, astronomie, mathématiques et une immense gourmandise pour la vie.
De gauche Ă droite/ de haut en bas :
D. Souami (LESIA, Observatoire de Paris, France), E. Meza (Observatorio Astronómico de Moquegua, Pérou) ; M. Langlois (Université de Lyon, France), C. Hergenrother (Arizona, USA) ; I. De Pater from UC Berkley California, USA ; J. Marques-Oliveira (LESIA, Observatoire de Paris, France) ; G. Benedetti-Rossi (São Paulo State University, Brésil) ; P. Garbor (Rome, Italie) ; V. Ivanov (ESO München, Allemagne), CFHT Observing Room (toute l’équipe du CFH, à Mauna Kea, Hawaii) ; C. Veillet _Large Binocular Telescope Observatory- LBTO, AZ, USA), R. P. Boyle, (The Vatican Advanced Technology Telescope - VATT, AZ, USA) ; R. Sfair from São Paulo State University, Brésil ; T. Santana (LESIA, Observatoire de Paris, France).