mercredi 15 juin 2022
Le 14 mars 2022, les deux agences spatiales, CNES et NASA, ont signĂ© un accord de coopĂ©ration portant sur Dragonfly (« libellule » en français), une mission pour Ă©tudier l’atmosphère et la surface de Titan, le plus gros satellite de Saturne. SĂ©lectionnĂ©e en 2019 par la NASA, le lancement de Dragonfly est programmĂ© en 2027 pour un atterrissage et le dĂ©but des opĂ©rations dès 2034. La dernière visite de Titan par une sonde spatiale remonte Ă 2005 avec l’atterrisseur europĂ©en Huygens de la mission Cassini qui, elle, a survolĂ© le satellite de 2004 Ă 2017.
Sandrine Vinatier, planétologue au LESIA et spécialiste de l’atmosphère de Titan, est impliquée dans Dragonfly et a analysé des données de Cassini tout au long de la mission. Elle nous emmène à la découverte de ce satellite qui la passionne et nous raconte le parcours qui l’a menée où elle se trouve aujourd’hui.
Sandrine Vinatier a grandi en Seine-Saint-Denis, à Saint-Ouen plus exactement. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle a toujours voulu être astrophysicienne et faire de la recherche. Comme une grande ligne droite, une voie toute tracée de ses rêves de petite fille à sa réalité d’adulte. Sa première rencontre avec l’astrophysique a eu lieu dans une salle d’attente, alors qu’elle n’avait que 5 ans. Elle feuillette un livre avec sa mère et tombe sur une image de Saturne qui avait été survolée par Voyager quelques années plus tôt. Elle l’interroge bien évidemment, découvre ce qu’est une planète et cela la fascine. Peut-être le début d’une histoire d’amour avec le système de Saturne alors qu’elle est à ce jour une spécialiste de l’atmosphère de Titan, le plus gros satellite de la géante gazeuse ? Hasard ou suite dans les idées ? Au lecteur de voir si cela fait sens dans la suite de ce récit ! Alors qu’elle n’était qu’une enfant de 7 ou 8 ans, elle aimait se plonger dans la contemplation du ciel nocturne. Cela l’attirait et la faisait rêver à la fois.
Puis cela est devenu vertigineux quand elle a commencé à comprendre ce qu’elle voyait : les distances, cette plongée dans le temps, cette fenêtre sur le passé. Compris aussi que les étoiles naissaient puis mourraient et donc qu’un jour, notre système solaire tel qu’on le connait aujourd’hui n’existerait plus. Ses parents, bien que n’ayant pas suivi une formation académique, l’ont toujours soutenue dans sa vocation. Chaque semaine, elle se plongeait avec délectation dans le visionnage de cassettes VHS d’astronomie qu’ils lui offraient. Ils lui avaient également acheté une petite lunette astronomique d’une dizaine de centimètres de diamètre, qu’elle a toujours d’ailleurs, et qui lui a permis de faire ses premières observations. Adolescente, elle a également fait partie du club d’astronomie de sa commune de résidence et décrit avec nostalgie les expéditions dans les champs du nord de la banlieue parisienne pour observer le ciel nocturne au télescope.
Mue par sa passion, Sandrine ne s’est pas posé de questions, a suivi son chemin au lycée en série S. Elle se souvient avec une certaine tendresse d’une de ses enseignantes de mathématiques qui l’avait encouragée à ne pas écouter les voix discordantes qui pourraient tenter de la dissuader de réaliser ses rêves. Cela est resté gravé dans son esprit. Logiquement, elle obtient son baccalauréat en 1999, puis poursuit par une année de Math Sup. Cette même année, elle obtient le Prix de la Vocation Scientifique et Technique des Filles, de la Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Égalité, qui encourageait les jeunes lycéennes qui passaient dans le supérieur à poursuivre vers la carrière scientifique qu’elles avaient choisie. Elle avait précisé son intention de devenir astrophysicienne. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle était autant soutenue par l’institution scolaire que par les siens !
Puis elle rejoint l’Université Paris 7 Diderot pour un Magistère de physique fondamentale avec des stages en astrophysique suivi du DEA d’astrophysique de l’Institut d’Astrophysique de Paris obtenu en 2004. Autre belle rencontre, toujours dans la même veine, celle d’un professeur de deuxième année de fac qui lui ouvre son carnet d’adresses. Il lui met ainsi le pied à l’étrier en lui permettant de faire, en 2001, son premier stage en astrophysique sur les supernovæ au LPNHE (Laboratoire de Physique Nucléaire et de Hautes Énergies). Cela a assis sa confiance en elle et démontré sa motivation initiale, assurant ainsi la suite de son parcours universitaire.
En 2004, elle souhaite poursuivre sa formation par une thèse sur les exoplanètes car c’est à la fois ce qui la passionne et la fait rêver. Mais nous n’en sommes alors qu’aux balbutiements de ce domaine et ses professeurs lui conseillent donc de se diriger vers la planétologie pour acquérir des compétences transverses. Elle fait alors un stage au LMD (Laboratoire de Météorologie Dynamique) sur l’analyse des données de Mars Express.
Dans cette activitĂ©, elle s’épanouit pleinement, car il y a un aspect de dĂ©couverte d’un champ inexplorĂ© et vierge qui ne rĂ©serve que des surprises et lui procure une immense satisfaction. Avec une pointe d’humour, elle dĂ©crit un plaisir quasi rĂ©gressif, comme celui d’ouvrir un paquet cadeau, une « gourmandise scientifique » dont elle va se rĂ©galer.
Ce qu’elle adore dans la recherche, c’est de passer sa vie à comprendre ce qui nous entoure, ce qui est très stimulant, avec la conscience aigüe que l’on n’arrivera jamais à embrasser tout le champ des connaissances, ce qui peut aussi être frustrant. Le collectif aussi la motive, l’échange et l’enrichissement mutuel des savoirs dans le partage avec les équipes, la communauté des chercheurs et des ingénieurs.
Elle se trouve Ă un carrefour Ă l’issue de ce stage de DEA. Continuer sur l’étude de Mars ou « bifurquer » vers Titan ? En DEA, elle avait croisĂ© la route de Bruno BĂ©zard, chercheur au LESIA, qui avait dispensĂ© un enseignement sur les atmosphères planĂ©taires et entre autres celle de Titan. Sandrine avait Ă©tĂ© captivĂ©e par ce cours et, sans hĂ©sitation, elle a proposĂ© sa candidature pour une thèse sur Titan.
C’est donc comme cela qu’elle est arrivée au LESIA en octobre 2004, juste en coïncidence avec le début de la mission Cassini. Une thèse qui démarre sur les chapeaux de roues puisqu’elle est directement intégrée dans l’équipe CIRS (Composite Infra Red Spectrometer), le spectromètre infrarouge thermique de la sonde Cassini, dont elle va analyser les premières données pour en déduire les profils d’abondance des molécules et de température dans la moyenne atmosphère de Titan.
Comble de chance, dès son arrivée, elle part pour les États-Unis assister à un meeting international, le DPS (Division for Planetary Science), puis, dans la foulée, participe au meeting international de l’équipe CIRS en lien avec le démarrage de la mission. Commence alors une phase de recherche passionnante puisque tout est à faire, à découvrir, un enthousiasme dans les équipes, dans les colloques qui font le plein et que l’on sent dans la voix de Sandrine.
Tout de suite dans le bain, elle rencontre l’ensemble des collaborateurs avec lesquels elle va interagir et collaborer pendant de nombreuses années, jusqu’à la fin de la mission en 2017. Ensemble, ils vont former une grande famille, ce collectif qu’elle aime tant. Au point qu’à la fin de la mission, la séparation sera difficile. Comme toujours, modeste, elle souligne les apports et les champs d’investigation des membres de l’équipe : les hydrocarbures pour les Français, les nitriles pour les Anglais, la température pour les Américains. Les interactions surtout qui permettent d’obtenir de beaux résultats et des publications.
De gauche à droite : Darell Strobel, Régis Courtin, Bruno Bézard, Athéna Coustenis, Sandrine Guerlet, Sandrine Vinatier, Melody Sylvestre, Thierry Fouchet, Daniel Gautier et Emmanuel Lellouch.
Crédit photo : Sylvain Cnudde, LESIA - Observatoire de Paris-PSL.
Elle obtient sa thèse en octobre 2007. Elle souhaite alors explorer le domaine de la modélisation de l’atmosphère de Titan qui ne lui est pas encore familier et, pour ce faire, elle retourne au LMD pour un post-doc de deux ans financé par une bourse CNES. En 2009, au terme de ce post-doc, elle candidate à deux bourses, une à l’ESA, l’autre à la NASA. Elle les obtient toutes les deux mais porte son choix sur la NASA qui lui semble une opportunité plus intéressante car elle va travailler au NASA Goddard Space Flight Center, près de Washington, dans l’équipe PI (Principal Investigator) de l’instrument CIRS dont elle souhaite approfondir sa connaissance tout en étudiant les changements saisonniers de l’atmosphère de Titan. Un terrain à défricher qui est rendu possible grâce à la prolongation de la mission Cassini.
Alors qu’elle bénéficie d’un contrat de 2 ans, elle obtient un poste au LESIA en 2010. Toujours cette fameuse ligne droite dont nous parlions dans les premières phrases de ce portrait. La chance, elle le reconnaît puisqu’il y a beaucoup de candidats et peu de postes… mais aussi beaucoup de travail et d’investissement personnel. Elle interrompt donc son post-doc au Goddard pour revenir au LESIA.
La mission Cassini, initialement prévue de 2004 à 2007, est prolongée ensuite jusqu’en 2010… pour se terminer finalement en 2017. La durée de la mission permet d’analyser les données de CIRS sur plusieurs saisons : l’hiver nord pendant les 5 premières années de 2004 à 2009 ; l’équinoxe de printemps nord en 2009 autour duquel l’on prévoyait un basculement de la dynamique atmosphérique puis, au cours des 8 années suivantes, l’ensemble du printemps nord pour constater les changements (la Figure 1 illustre un exemple de ses résultats). Basculement effectif qui a donné lieu à la publication de nombreux articles par les membres de l’équipe CIRS. Elle encadre alors la thèse de Christophe Mathé de 2016 à 2019 sur cette thématique.
Figure 1 : Évolution saisonnière de la température (en haut) et de la concentration en acétylène (C2H2, au milieu) de la moyenne atmosphère de Titan entre le début et le premier tiers du printemps nord ainsi que le schéma de la dynamique atmosphérique correspondante (en bas) expliquant les distributions observées.
En 2014, elle fait une première incursion dans l’étude des exoplanètes avec des observations à haute résolution spectrale de deux Jupiter chauds, mais la calibration des données n’est malheureusement pas aussi bonne qu’espérée. Elle met donc cette activité entre parenthèses pour se consacrer plus pleinement à Cassini. Elle revient vers les exoplanètes en 2020 à l’occasion de la collaboration avec un post-doc au LESIA, Flavien Kiefer, qui trouvera une astuce pour améliorer la calibration des données de 2014 grâce à de récentes observations acquises par d’autres instruments. Puis en 2021, arrive un stagiaire qui poursuit une thèse, Adrien Masson, qu’elle co-encadre avec Bruno Bézard, sur la détection de molécules dans les exoplanètes grâce à de la spectroscopie à haute résolution, un champ en plein essor depuis quelques années, qui permet de contraindre la composition et la température des atmosphères exoplanétaires.
En 2020 également, elle est associée à la mission Dragonfly, plus particulièrement à l’instrument DraMS-GC (Dragonfly Mass Spectrometer and Gas Chromatograph), un spectromètre de masse couplé à un chromatographe en phase gazeuse fabriqué au LATMOS (Laboratoire Atmosphères Observations Spatiales). Elle est Co-I (co-investigator) sur le sous-système GC, partiellement conçu et testé au LESIA par les ingénieurs en charge de ce projet en cours de conception.
Les délais sont très courts puisque le lancement est prévu pour 2027 et l’arrivée sur Titan en 2034. Ce drone d’une demi-tonne, se dirigera vers le cratère Selk, situé à une centaine de kilomètre du lieu d’atterrissage, qu’il atteindra après environ 2 années. Cet ancien cratère d’impact, où l’on pense qu’il y a eu de l’eau liquide pendant quelques centaines ou quelques milliers d’années. L’idée est d’aller y prélever et analyser des échantillons du sol pour savoir s’il y a eu des molécules plus complexes qu’ailleurs, en raison de la présence d’eau liquide, qui auraient pu conduire au développement d’une chimie prébiotique et, en particulier, d’acides aminés. Sur le trajet menant Dragonfly au cratère Selk, de nombreux échantillons de sol seront prélevés pour en déterminer la composition. Avant l’arrivée de Dragonfly, l’une des missions de Sandrine sera de continuer à affiner la connaissance de la climatologie de Titan à partir des données de Cassini, en collaborant avec les modélisateurs.
En 2021 et pour une durée de 4 ans, toujours dans le domaine de l’analyse de données et en lien avec les atmosphères de Titan, de Vénus, et de Mars, Sandrine a obtenu des fonds pour développer un outil d’analyse de données manquant. Il s’agit d’un code de transfert radiatif en trois dimensions, à géométrie sphérique, innovant car utilisant la technologie de production d’images de synthèse pour prendre en compte n’importe quel type de couche nuageuse. Il permettra, de modéliser d’une part, les spectres infrarouge des régions polaires de Titan et de Mars acquis par les missions spatiales ; d’autre part ceux des nuages hétérogènes de Vénus qui seront observés par la mission EnVision et, enfin, de mieux reproduire le transfert radiatif dans les modèles climatiques de Titan.
Elle coordonne une équipe de 18 personnes sur 8 laboratoires pour mener cette recherche qui, si elle aboutit, mettra un outil novateur et essentiel à la disposition de la communauté. Sa petite pierre à l’édifice de la recherche, en particulier sur l’étude des régions polaires qui sont essentielles dans la climatologie des planètes. Une manière tout à elle de réunir des talents pour mener à bien un projet, puis d’en partager les résultats avec ses homologues.
Sandrine a assuré des missions de tutorat au sein des Diplômes Universitaires de l’Observatoire de Paris et encadré des stagiaires, des doctorants et post-doctorants au LESIA. Si la transmission est importante pour elle, elle a aussi choisi de contribuer à la diffusion du savoir et à la vulgarisation des contenus scientifiques. Elle finalise actuellement avec 3 collègues (Alice Le Gall du LATMOS, Sandrine Guerlet du LMD et Sébastien Charnoz de l’Institut de Physique du Globe de Paris - IPGP) la rédaction d’un ouvrage collectif, Les mondes de Saturne qui sortira en octobre 2022. Destiné au grand public, il fait le bilan de nos connaissances du système de Saturne tout en présentant la démarche scientifique et les grands concepts associés. Une belle aventure dans laquelle elle a investi beaucoup de son temps.
Dans un registre connexe et destiné à un autre public, elle collabore, avec 7 collègues du LESIA, à la réalisation d’une série de BD sur le Système solaire, entre information scientifique, recherche et science-fiction. Toute en discrétion, Sandrine explore les champs qui la passionnent et trouve ses modes à elle pour partager et transmettre. Pour contribuer à ce qui lui semble important : former à la méthode et au raisonnement scientifiques. Toujours pour rendre accessibles les connaissances et les partager avec le plus grand nombre.
Sandrine a Ă©tĂ© membre du conseil scientifique de l’Observatoire et du conseil de laboratoire du LESIA. Des fonctions qu’elle dĂ©crit comme très enrichissantes car elles permettent de rencontrer ses homologues et de soutenir les demandes de financement des projets scientifiques Ă l’Observatoire. Actuellement, elle est membre du « Groupe de travail Système Solaire » du CNES oĂą elle participe Ă des arbitrages de demandes budgĂ©taires de collègues Ă l’échelon national.
Elle apprécie ces fonctions qui lui donnent une vision d’ensemble de la recherche locale et nationale dans différents domaines de l’astronomie et de l’astrophysique. Si elles sont limitées dans le temps, ces fonctions administratives sont intéressantes car elles donnent la possibilité d’intervenir dans la prise de décisions impactant directement la recherche et donc d’avoir voix au chapitre ce qui est une chance qu’offre le secteur public.
N’y a-t-il que la recherche dans la vie de Sandrine ? Certes, elle y tient une place centrale mais elle est aussi passionnĂ©e de sports de glisse, de surf et de wing foil en particulier. Ce qui lui plaĂ®t, comme dans la recherche, c’est l’apprentissage, la dĂ©couverte, ce qui dĂ©sĂ©quilibre et dĂ©concerte, la difficultĂ© et le « dĂ©fi d’y arriver » aussi. Comprendre les rapports entre les Ă©lĂ©ments, ici l’eau et le vent en y alliant l’équilibre.
Elle est également en train de réaliser un vieux rêve : apprendre à jouer du piano. Une école de patience, reprendre et reprendre sans fin le même morceau jusqu’à le mémoriser, buter sur la même difficulté jusqu’à la vaincre. Encore un rapport avec la démarche du chercheur qui consiste à , sans cesse, tester la limite pour la repousser, à chaque étape, un peu plus loin. Sortir de sa zone de confort, l’étendre peu à peu. Ces activités l’aident à décrocher de son métier de chercheuse qui occupe sa vie, une respiration pour mieux y revenir ensuite, avec encore plus d’enthousiasme et de pertinence.