mercredi 15 juin 2022
Le 19 avril 2022, une conférence de la NASA a placé Uranus en priorité numéro 1 pour une mission flagship, les actions phares de l’Agence. Lancée entre 2028 et 2032 pour un survol prévu en 2044, elle partira en étudier, entre autres, la magnétosphère très particulière. C’est l’aboutissement d’années de travail et d’investissements sans faille d’un groupe d’experts internationaux dont fait partie Léa Griton. C’est son riche parcours que nous vous proposons à présent de découvrir.
Léa Griton a, pour ainsi dire, grandi à l’ombre des arbres du parc de l’observatoire de Meudon. Native d’Issy-les-Moulineaux, alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle venait jouer dans les jardins et était très intriguée par ce grand château toujours vide dont on lui dit un jour que c’était un observatoire. Elle n’avait alors pas la moindre idée de ce dont il s’agissait. Fort curieuse d’esprit, elle adorait apprendre, transmettre aussi, à ses poupées, aux autres enfants ! Fort logiquement, elle rêvait de devenir un jour maîtresse d’école. Nous allons voir que, les années passant, les rêves évoluent peu à peu.
Arrivée au collège, elle découvre de nouvelles matières, de nouveaux métiers… Les perspectives s’ouvrent en quelque sorte et les trajectoires de chacun se précisent. Elle se passionnait pour bon nombre de matières : les langues, l’histoire, les sciences aussi. En quatrième, elle voulait devenir archéologue ou historienne des sciences jusqu’à une rencontre qui l’a particulièrement marquée. Un monsieur est un jour venu dans son école pour donner une conférence sur les galaxies et elle a soudain réalisé que l’on pouvait être payé pour « regarder des étoiles » Étrange tout cela ! Intriguée, elle comprend qu’il est astrophysicien et c’est alors qu’elle commence à se sentir attirée par ce métier.
Elle se souvient également d’un autre événement marquant : l’affirmation par un adulte que les filles étaient moins bonnes en sciences que les garçons. Le défi était lancé ! Son sang n’a fait qu’un tour ! « Ça m’a énervée » dit-elle en riant. « Dès lors, j’ai voulu prouver, et avant tout à moi-même, que si c’était plus dur pour les filles, alors j’allais y arriver ! ». Cela a été le début de son intérêt pour la physique et pour l’astronomie. Ce qui l’a particulièrement attirée, c’est une forme de lien entre l’astronomie et l’histoire qui permet de se situer dans le temps, un peu comme une parentèle avec l’archéologie qui l’attirait auparavant. Également, elle était touchée par la poésie des étoiles, des récits relatifs à cet infiniment grand qui nous dépasse et nous fait rêver. La certitude aussi qu’elle réussirait « quelque chose » si elle parvenait à analyser et comprendre tous ces concepts.
Une fois au lycée, on tente de la dissuader de cette voie et de ce métier d’astrophysicienne décrit comme précaire. On lui conseille de se diriger plutôt vers celui d’ingénieur. Comme elle a de la suite dans les idées, elle pense s’orienter vers une formation d’ingénieur spatial qui lui semble ne pas trop la faire dévier de son projet initial. En seconde, à la suite d’un échange avec Claudie Haigneré qu’elle rencontre lors d’une conférence, elle fait un premier stage de découverte d’une semaine, en rapport avec sa passion, au service communication de l’Agence spatiale européenne. C’est une première révélation, car elle y fait le lien entre les collaborations internationales, la pratique des langues étrangères, les voyages et le domaine de recherche qui sera son futur métier. Tout ce qu’elle aime en quelque sorte !
En 2010, son Baccalauréat en poche, elle s’inscrit en « maths spé » mais ne se sent pas à l’aise avec la pression et l’ambiance de compétition qui règnent en classe préparatoire. En 2011, elle décide de ne pas poursuivre en deuxième année et continue en licence 2 d’ingénierie à l’université Pierre et Marie Curie, dorénavant Sorbonne Université. Puisqu’il n’y a plus de place dans les options de mécanique, elle suit un cours d’astrophysique dispensé par Bruno Sicardy, chercheur au LESIA. Le hasard fait bien les choses pourrait-on dire ! Elle revient à ses premières amours ! Bien évidemment passionnée par le cours, elle finit, de plus, dans les meilleurs de sa promo. Elle découvre alors que l’université d’Oxford prend chaque année 8 stagiaires undergraduate (avant la thèse), pour une durée de huit semaines, sur lettre de motivation et de recommandation. Il est clair qu’avec un tel pédigrée elle est sélectionnée, en 2012, pour suivre ce stage de recherche en astrophysique. Seconde révélation pour Léa ! Il ne s’agit plus de hasard désormais. Il n’y a pas à hésiter : elle se reconnaît totalement dans ce métier d’astrophysicienne et de chercheuse. Contre vents et marées elle suivra résolument cette voie, qu’on lui prédise des débouchés ou pas ! « Je trouverai toujours quelque chose » se dit-elle. Elle y croise la route de Jocelyn Bell qui est connue pour avoir découvert le premier pulsar en 1967, découverte qui valut le prix Nobel… à son directeur de thèse ! Injustice bien évidemment… peut-être parce que c’était une femme, jeune de surcroît. Terreau fertile pour les futurs combats de Léa… nous y reviendrons plus tard !
Après cette expérience marquante, elle réussit sa licence 3 en ingénierie mécanique tout en faisant, à distance, le diplôme d’université en astronomie du parcours de formation à distance de l’Observatoire de Paris. En 2013 elle commence un Master d’astronomie, astrophysique et instrumentation spatiale à l’observatoire. Elle fait son stage de Master 1 au LESIA, sous la direction de Filippo Pantellini. Elle étudie la magnétosphère de Mercure, en lien avec la mission BepiColombo qui était la seconde à se mettre en orbite autour de cette planète dont on savait fort peu de choses, contrairement à Mars ou à Vénus. De surcroît, cette mission est pilotée par l’Agence spatiale européenne qu’elle connaît depuis la seconde. Cela fait donc sens pour Léa. Au cours de ce stage, elle découvre la physique des magnétosphères et ce champ d’exploration donne lieu, en 2014, à la publication d’un article ce qui est assez rare, pour une étudiante en Master 1, pour être souligné.
Elle continue en Master 2 et poursuit ses études au LESIA sous la direction d’Alain Doressoundiram, toujours sur Mercure mais pour en étudier la surface cette fois. Ce stage de trois mois et demi, sous l’égide de l’ESA, se déroule en partie aux Pays-Bas, à l’ESTEC, le centre technique de l’Agence spatiale européenne. Ceci lui permet de voir BepiColombo avant son lancement, un moment qu’elle décrit comme l’une de ses grandes émotions scientifiques. Elle poursuit en thèse sous la direction de Filippo Pantellini et la co-direction de Michel Moncuquet, et obtient une demi-bourse du CNES. Comme on dispose déjà de données sur la magnétosphère de Mercure, elle décide d’élargir son champ d’investigation à celle d’Uranus qui a été très peu étudiée. Elle présente une magnétosphère très particulière, avec une queue magnétique enroulée en hélice, et donc très distincte de celles des autres planètes magnétisées. Pour ce faire, avec son directeur de thèse, elle développe un nouveau code de simulation. Sa recherche a porté sur une étude comparative de Mercure, Saturne et Uranus pour comprendre, d’une planète à l’autre, si c’est la rotation de la planète ou la dynamique du vent solaire qui gouverne la façon dont la magnétosphère change au cours du temps. Elle soutient sa thèse le 10 septembre 2018, dans une quasi parfaite synchronisation avec le lancement de BepiColombo le 18 octobre 2018. Étrange coïncidence n’est-ce-pas ? Qu’elle reconnaît bien volontiers tout en avouant qu’elle n’était pas totalement fortuite. En tant que jeune chercheuse, il est plus intéressant et valorisant de travailler pour le futur que sur des missions qui sont en voie de se terminer.
Lors de la remise des diplômes de docteur PSL, le 5 avril 2019
Crédit photo : Barthélemy Thumerelle
Sous l’angle de la transmission qui à toujours été l’une des motivations de Léa, parlons du futur à présent… Auprès des « astronomes en herbe » qui seront peut-être un jour les chercheurs de demain. Pendant sa thèse, elle s’implique dans des parrainages de classes, essentiellement de collège et de lycée, mais parfois également de maternelle. Chaque parrain s’engage à suivre le projet pédagogique de la classe pendant une année à faire une conférence et, surtout, à inviter les élèves à visiter le site de l’observatoire.
La vulgarisation scientifique également la passionne. En 2018, avec Alain Doressoundiram, elle monte un projet assez ambitieux, « Planètes en Guyane » pour lequel elle crée un jeu de société BepiColombo dessiné par Sylvain Cnudde. En collaboration avec le rectorat, elle implique les quelques 200 scientifiques européens qui sont sur place pour le lancement dans un projet d’intervention devant des classes. Il permet de toucher 3000 élèves pendant une semaine. Après le lancement, ils ont diffusé le jeu et organisé des conférences à l’université de Cayenne. Léa vit alors l’un des plus beaux jours de sa vie, celui du décollage de BepiColombo.
Dans le cadre de l’opération "Planètes en Guyane".
Crédit photo : Sylvain Cnudde / LESIA - Observatoire de Paris-PSL
Elle ressent une certaine fierté d’avoir pris part à cette aventure qui est en outre une première car elle inaugure le fait de lancer deux sondes spatiales coordonnées autour d’une autre planète que la Terre pour en comprendre la dynamique et obtenir des mesures plus précises. Avec une certaine émotion, elle décrit la communauté qui s’est impliquée dans le projet comme une grande famille, internationale et intergénérationnelle puisqu’il a été initié il y a 30 ans et qu’il n’arrivera sur Mercure qu’en décembre 2025. Certains des protagonistes auront donc, entre temps, pris leur retraite et transmis le flambeau à la génération suivante. Nous avons vu plus haut à quel point cette notion de passage de témoin fait sens dans le parcours de Léa !
En 2018, pour son post-doc, deux choix se présentent à elle : soit elle part en Belgique pour continuer d’approfondir sa thématique. C’est toujours un plus de faire un séjour de longue durée à l’étranger. Soit elle poursuit à l’IRAP (Institut de recherche en astrophysique et planétologie) à Toulouse avec Alexis Rouillard, un chercheur qui vient d’obtenir un financement du Conseil européen de la Recherche. Elle pourra ainsi élargir son champ d’investigation en se consacrant à l’étude des origines du vent solaire. Choix cornélien et tactique à la fois pour son plan de carrière quand on connaît la difficulté des concours et la concurrence autour des postes. Ajouter une nouvelle thématique à sa palette de compétences est un atout indéniable. Son choix est fait : cap sur Toulouse donc ! Pendant 3 ans, Léa va travailler sur les missions Parker Solar Probe et Solar Orbiter.
C’est une période qui n’est pas simple pour ces jeunes diplômés qui se présentent à différents concours. Il faut viser l’excellence tant la compétition est rude, tout en n’ayant aucune garantie de succès. Période d’hésitation également car des offres parfois alléchantes se présentent à elle en dehors de la recherche. Que faire ? Toujours certaine de sa voie et encouragée par des collègues du LESIA, elle se donne jusqu’à ses 30 ans pour réussir un concours. Elle assure tout de même son avenir, « au cas où », en obtenant une bourse de post-doc à l’ESA à Madrid à partir de septembre 2021. Elle peut donc avancer l’esprit tranquille. Mais, coup de théâtre : la chance lui tend les bras ! Un poste de maître de conférences est proposé au concours, pour enseigner à Sorbonne Université et mener ses recherches au LESIA sur BepiColombo, Parker Solar Probe, Solar Orbiter, le vent solaire et les magnétosphères. Peut-on rêver mieux ? Rien ne manque à la liste de ses rêves ! Elle saisit alors à bras le corps ce qu’elle nomme « la chance de sa vie », ne ménage pas sa peine et, le 4 mai 2021, réussit son concours. Comme elle le dit avec un large sourire, elle « revient à la maison » le 1er septembre 2021.
Crédit photo : Léa Griton.
Elle intègre alors le pôle Héliosphère et plasmas astrophysiques, à la convergence des deux communautés de recherche et des deux thèmes qui la passionnent : les magnétosphères de planètes et le vent solaire. Son grand bonheur est de s’y épanouir en bénéficiant de l’expertise de ses collègues. Elle se concentre sur la mission BepiColombo où elle est co-responsable de l’instrument SORBET qui est fabriqué par notre laboratoire. Elle se consacre à faire des simulations numériques de la magnétosphère de Mercure pour tenter d’interpréter les mesures réalisées par SORBET lors du survol de Mercure en octobre 2021. Elle travaille également sur les mesures de Parker Solar Probe qui est LA sonde qui s’est rapprochée au plus près du Soleil. Elle étudie les variations du vent solaire qui mettent en évidence des niveaux d’activités différents selon les régions du Soleil. Ces observations, qui ont donné lieu à la publication d’un article en 2021, viennent confirmer les théories de formation du vent solaire.
L’autre passion de la vie de Léa, c’est Uranus. Cela remonte à sa thèse avec la publication de deux articles, alors qu’il n’y avait aucune mission prévue. Or la physique de la magnétosphère s’étudie « sur place ». Elle avait donc mis ce projet en pause, sans baisser les bras pour autant. Très impliquée dans le groupe d’experts mondiaux qui défendaient l’idée d’une mission vers Uranus, elle continuait à publier des articles et même un ouvrage. Une fois de plus, elle a la preuve que la constance finit toujours par payer ! Le 19 avril 2022, une conférence de la NASA place Uranus en priorité numéro 1 pour une mission flagship, les plus coûteuses et prometteuses de l’Agence. Il faut dire que les contraintes se cumulent pour une telle épopée scientifique. Cette géante de glace fait une révolution autour du Soleil en 84 ans et la fenêtre de tir pour des conditions optimales de voyage requièrent un alignement de Jupiter et d’Uranus qui sera effectif entre 2028 et 2032. Cela laisse tout au plus une décennie pour préparer la mission. Un véritable défi pour les équipes scientifiques et techniques. Des appels d’offres à venir où le LESIA pourrait concourir, peut-être en adaptant SORBET dont nous avons l’expertise technique. Tout cela pour un survol prévu en 2044. Des échelles de temps qui donnent le vertige mais sont si communes en astronomie !
Nous touchons à la fin de notre échange à présent. Léa revient sur une synthèse de ses passions : le temps long de la recherche, souvent son abstraction et, en miroir inversé, l’immédiateté de la transmission, de la formation des esprits par l’enseignement. Des aspirations qui s’étayent et se compensent dans la fonction d’enseignant-chercheur. Elle exprime le bonheur de son métier, celui du lieu où elle l’exerce, d’un cadre professionnel et humain dans lequel elle s’épanouit. Encore une corde à son arc et un investissement : elle est correspondante égalité pour le laboratoire et se passionne depuis toujours pour les questions de femmes et sciences. Le lien est fait avec sa propre histoire, peut-être aussi avec sa rencontre de Jocelyn Bell injustement privée de prix Nobel. Il faut motiver les filles à embrasser les carrières scientifiques, à croire en elles, les alerter sur les stéréotypes de genre. Tout est possible, toutes les portes leur sont ouvertes ! Elle aime dessiner, peindre, raconter des histoires, créer des jeux de société dont un sur Solar Orbiter qui va être édité par le CNES. Pour elle, c’est un bon moyen d’apprendre, même pour les adultes. Une façon aussi d’accéder par le jeu à un certain niveau d’abstraction. Elle est aussi membre du comité de rédaction de l’Astronomie depuis 3 ans ce qui lui permet de s’ouvrir sur d’autres champs de recherche. Passionnée d’histoire et de celle de l’observatoire de Paris en particulier, elle écrit un roman qui se passe sous la révolution française. Musicienne, elle joue de la harpe depuis qu’elle a 6 ans, avec une interruption le temps de faire ses études supérieures. Une activité qui la détend et lui donne de grandes satisfactions dans un temps court qui vient compenser le long investissement de la recherche. Un beau parcours entre recherche, partage et lutte contre les inégalités !