vendredi 18 novembre 2016
L’instrument VIRTIS (Visible and Infrared Thermal Imaging Spectrometer) de la sonde Rosetta a recueilli plus de 200 millions de spectres du noyau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko et de sa coma.
Fabrizio Capaccioni, le responsable scientifique de l’instrument, raconte les coulisses de deux des principales découvertes scientifiques de VIRTIS, qui vécut des débuts difficiles...
Un épisode assez critique pour VIRTIS s’est déroulé lors de la mise en service de l’instrument dans la nuit du 7 avril 2014.
Après 2 ans et demi d’hibernation, nous étions assez tendus et aussi un peu rouillés dans la manipulation de l’instrument ; au point que nous avons fini par télécharger de mauvaises séquences de télécommande ! Le logiciel embarqué était beaucoup plus futé que nous (après tout, il s’était reposé pendant 2 ans et demi) et nous a donné une bonne leçon, en nous renvoyant une bordée de commentaires désagréables sur nous et nos ascendants ! Nous ne pensions pas avoir commis d’erreur, donc nous avons vraiment eu peur quand l’instrument a répondu de cette façon. Les pires pensées nous sont venues à l’esprit : était-ce un capteur cassé ? Un composant défectueux ? Toutes ces années d’attentes et de préparation pour en arriver là ?
Nous avons dû vérifier rapidement les données d’environnement et les séquences téléchargées car nous n’avions pas beaucoup de temps. Notre session interactive ne durait que quelques heures seulement et nous avions de nombreuses vérifications à faire.
De gauche à droite Andrea Cicchetti, Fabrizio Capaccioni, Sophie Jacquinod, Stéphane Erard, Stefano Giuppi, Florence Henry, Roberto della Porta et Gianrico Filacchione. Crédit photo : F. Capaccioni
Une consultation minutieuse des parties écrites en petits caractères du manuel d’utilisation nous a remis sur le bon chemin. Nous avions en effet inversé l’ordre de certaines télécommandes ; nous avons dû revenir aux séquences téléchargées durant la phase de croisière et recommencer la procédure d’initialisation en quelques minutes, en espérant ne pas avoir fait d’autres erreurs. Grâce à l’implication de toutes les personnes présentes, tout se passa bien et le logiciel de bord finit par se calmer. Et nous sommes restés en bons termes avec lui depuis.
Ce fut une bonne chose car VIRTIS était conçu pour faire de nombreuses découvertes sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, y compris la première identification de matière organique sur un noyau cométaire... mais cela n’a pas été un long fleuve tranquille, comme le raconte Fabrizio.
Dans la première phase de la mission (juillet-septembre 2014) le domaine infrarouge entre 1 et 5 microns était notre gamme spectrale de prédilection parce que nous nous attendions à y identifier les principaux composés : glace d’eau, dioxyde de carbone, méthanol, et d’autres composés carbonés. Après un rapide coup d’œil au spectre correspondant, sans signature spectrale particulière, la voie visible (couvrant la gamme visible de 0,25 à 1,0 microns) a été laissée de côté. D’autant que plusieurs artefacts instrumentaux dans le domaine de l’infrarouge nous ont donné du fil à retordre lorsque nous avons essayé d’interpréter les signatures observées : était-ce du bruit ? Un signal de fond ? Des restes d’étalonnage ? Nous observions une large structure à 3,2 microns, mais on ne pouvait pas être sûr de son origine sans confirmation indépendante.
Au début du mois de septembre, Priscilla Cerroni (une co-I de VIRTIS) a étudié les spectres de certains matériaux contenant du carbone. Ceux-ci étaient utilisés dans le passé comme élément de comparaison avec des météorites primitives (les chondrites carbonées). Ces matériaux, connus sous le nom de "goudron" ou "kérogène", contiennent une grande quantité de carbone sous forme de cycles aromatiques, d’hydrocarbures, ainsi que des ponts aliphatiques courts et des chaînes latérales. Les spectres que Priscilla analysait, bien que n’ayant pas de signatures spectrales particulières (les bandes d’absorption, qui sont les marqueurs spécifiques de molécules ou de minéraux), présentaient cependant une forme particulière dans la région des courtes longueurs d’onde (en-dessous de 1 micron). En fait dans la voie visible de VIRTIS, que nous avions d’abord mis de côté, les spectres de la comète montraient une absorption aux alentours de 1,0 micron, qui correspondait presque exactement à celle observée dans le spectre de laboratoire de goudron. Ces analyses nous ont indiqué la piste permettant d’interpréter la bande à 3,2 µm comme étant due à une forte abondance de molécules carbonées, indiquant une chimie organique sur le noyau de 67P.
Quelques semaines plus tard, Andrea Raponi (un post-doctorant travaillant à l’IAPS-INAF) a été en mesure de générer une matrice de correction qui a éliminé efficacement tout le signal indésirable, montrant clairement que la bande à 3,2 µm était effectivement compatible avec la présence d’un composant semi-volatile qui pourrait être assimilé à des acides carboxyliques (comme démontré récemment par Eric Quirico dans son article Icarus).
C’était la première identification de la présence généralisée de matière organique à la surface d’un noyau cométaire, et cela a des conséquences très importantes sur la compréhension de la formation et de l’évolution primitive du Système solaire.
Note : Dans la plupart des cas, les chiffres de VIRTIS-M (mapper) visible (VIS) et (IR) canaux infrarouges, et des sous-systèmes VIRTIS-H (haute-résolution) ont été additionnés. La répartition est la suivante :
VIRTIS-M images cubes : M-VIS : 7054 ; M-IR : 1653 ;
Spectres : 216 millions de VR-M spectres (M-VIS : 181.559.400 ; M-IR : 34.940.200) et 2.395.164 VR-H spectres ;
Opérations Cyro-cooler : VR-M : 2535 heures ; VR-H : 7307 heures ;
Activations obturateur : VR-M : 35460 ; VR-H 574,248 ;
Cycles ouverture-fermeture du couvercle : VR-M 2085 ; VR-H 2662 ;
Couvercle ouvert : VR-M 4100 heures ; VR-H 4845 heures ;
Cycles on-off des lampes de calibration : VR-M : 30 ; VR-H : 228.
La découverte du cycle de l’eau de la comète n’a pas non plus été toute simple...
Nous avions montré pour la première fois la présence massive de matières organiques sur un noyau cométaire, mais d’où provenait l’eau observée en abondance par MIRO et ROSINA ? Nous ne voyions que quelques indices de glace d’eau dans certaines régions, mélangée en très petite quantité avec les matériaux sombres omniprésents. Etait-il possible que toute la glace d’eau soit cachée sous la surface ?
À la fin du mois de septembre 2014, alors que je passais devant le bureau de Maria Cristina de Sanctis (soit dit en passant, durant ces premiers mois, presque toutes les personnes du couloir étaient, et sont encore, impliquées dans l’analyse des spectres du noyau de 67P et la plupart du temps, les écrans de leur PC montraient soit des spectres, soit des images en fausses couleurs du noyau obtenus par VIRTIS), elle me dit : "Fabrizio viens ici, j’ai quelque chose d’intéressant à te montrer". En effet elle venait d’identifier pour la première fois les signatures spectrales indubitables de la glace d’eau : ce sont des bandes d’absorption situées à 1,05, 1,2, 1,5, 2,0 et 3,0 microns. La plus intense de ces bandes est la bande à 3,0 microns, qui est malheureusement presque superposée à la bande organique à 3,2 microns que nous avions découvert précédemment. La profondeur et l’intensité d’une bande d’absorption dépendent de l’abondance du matériau qui la produit, de sorte que la faible quantité de glace, liée à la superposition à la bande plus intense des organiques, rendait cette bande quasiment indétectable. Mais ce n’étaient pas la seule raison de notre incapacité à identifier la glace d’eau plus tôt : nous ne l’avions pas observé avant parce qu’il fallait l’observer non seulement au bon endroit, mais aussi au bon moment de la journée !
Le cycle quotidien de la glace d’eau, tel qu’observé sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko. Pendant la journée locale, de la glace d’eau sur et à quelques centimètres au-dessous de la surface sublime et s’échappe ; pendant la nuit locale, la surface se refroidit rapidement, tandis que les couches profondes sont encore chaudes, de sorte que la glace d’eau souterraine continue de sublimer et de trouver son chemin vers la surface, où il gèle à nouveau. Le jour cométaire suivant, la sublimation recommence, à partir de glace d’eau dans la couche de surface nouvellement formée.
Copyright ESA/Rosetta/VIRTIS/INAF-IAPS/OBS DE PARIS-LESIA/DLR ; M.C. De Sanctis et al (2015).
Voir l’histoire complète dans l’actualité "Rosetta observe le cycle de la glace d’eau sur la comète".
Cristina nous a montré plusieurs spectres dans lesquels la profondeur de la bande d’absorption (et par conséquent la quantité de glace d’eau présente) diminuait, et devinez quoi ? La bande de glace d’eau diminuait à mesure que nous nous éloignions des régions plongées dans l’ombre, indiquant une corrélation directe entre la température de surface et l’abondance de la glace d’eau : les zones plus froides contenaient plus de glace d’eau que les régions plus chaudes. On pourrait dire : "Est-ce une découverte ? Où est-il le plus probable de trouver de la glace sur la Terre : au pôle sud ou dans le Sahara ?". Cela est bien sûr vrai mais une comète n’est pas la Terre ! L’ "atmosphère" cométaire est trop ténue pour permettre la recondensation de la coma. Nous avions besoin d’un mécanisme de réapprovisionnement pour permettre à la glace de se former à la surface durant la nuit à partir d’une source interne plutôt que d’une source externe. Au cours d’une discussion de groupe, nous sommes arrivés à trouver une explication et les conditions pour que cela fonctionne : une structure en couches très isolantes sous la surface. En d’autres termes, nous avions besoin d’une couche extérieure de quelques millimètres d’épaisseur, capable de protéger les couches sous-jacentes des variations de température induites par les effets d’ombre des deux lobes et par les variations jour-nuit plus classiques. Sur la comète il n’y a pas d’atmosphère, et les échanges radiatifs entre la surface et le vide spatial se font directement. Une couche isolante, lorsqu’elle est exposée aux conditions nocturnes, se refroidit très rapidement jusqu’à moins de 100K (-173ºC) tandis que l’intérieur met plus longtemps à se refroidir. La glace sublime à partir de l’intérieur et atteint la surface, qui est maintenant un piège froid qui provoque la recondensation de la vapeur d’eau.
Après de nombreuses discussions avec les principales revues scientifiques, nous avons finalement pu publier le résultat dans Nature près d’un an après la découverte initiale.
Au cours de sa mission, VIRTIS a mesuré les variations de température de la comète pendant son orbite autour du Soleil. Lors de son arrivée en août 2014, la température mesurée se situait entre -93ºC et -43ºC, mais en août 2015, lorsque la comète était au plus proche du Soleil, les mesures de pointe atteignaient +54ºC (note : ce n’est pas nécessairement la valeur la plus élevée sur la comète mais la plus élevée enregistrée par VIRTIS, dans un endroit particulier de l’hémisphère sud de la comète). Un an plus tard, alors que la comète s’éloignait à nouveau du Soleil et retournait vers le Système solaire externe, elles avaient chuté à nouveau à des valeurs similaires à celles mesurées au début.
Tout cela, et bien plus encore, fut obtenu par un instrument qui ne nécessite que 60 W pour fonctionner - autant qu’une ampoule standard !
Le spectromètre VIRTIS (Visible, InfraRed and Thermal Imaging Spectrometer) a été construit par un consortium d’instituts italien, français et allemands, sous la responsabilité scientifique de l’IAPS (Istituto di Astrofisica e Planetologia Spaziali) de l’INAF, Rome (Italie), qui conduisit également les opérations scientifiques. Le développement de l’instrument VIRTIS pour l’ESA a été financé et géré par l’ASI (Agence spatiale italienne), avec des contributions du LESIA de l’Observatoire de Paris, financées par le CNES, et du DLR. Le maître d’oeuvre industriel de l’instrument VIRTIS fut initialement Officine Galileo, puis Leonardo (Groupe Finmeccanica) à Campi Bisenzio, Florence (Italie).