vendredi 1er septembre 2017, par Karine Issautier
Structure à grande échelle du vent solaire hors écliptique
L’étude de la structure tridimensionnelle de l’héliosphère sur plus de 17 ans est l’une des motivations de la mission Ulysse. Lors de son premier passage polaire en minimum solaire en 1994-1995, Ulysse est resté continûment immergé dans le vent rapide stationnaire et unique des hautes latitudes. Nous avons ainsi mis en évidence dans le vent rapide la variation avec la distance de la densité, de la température et des propriétés supra-thermiques des électrons, obtenues par la méthode QTN : avec une expansion sphérique à vitesse constante, la température varie entre un comportement adiabatique et isotherme. Ces données nous ont également permis de vérifier la structure bimodale du vent solaire : vent rapide aux hautes latitudes (supérieures à 40°), vent rapide et lent entre 22°S et 21°N. Dans le cas du maximum solaire de 2001, la structure à grande échelle du vent est complètement modifiée. Le vent solaire est en effet dominé par un mélange de plusieurs types de vents à toutes les latitudes (Issautier et al., 2004).
Spectre dynamique obtenu par Ulysse/URAP en 2007 en minimum solaire. Les densité et température des électrons sont déduites par la méthode QTN. Le spectre permet d’identifier deux régions distinctes en latitude, reflétant la structure bimodale du vent solaire : vent rapide et lent entre 30°S et 37°N, vent rapide au-delà [Issautier et al., 2008].
En février 2007, Ulysse a entamé son troisième survol rapide hors écliptique à nouveau en période de minimum solaire, mais avec un renversement du champ magnétique solaire comparé au dernier minimum. Les propriétés à grande échelle du vent rapide ont été étudiées et comparées au premier passage hors écliptique de 1994-1995 en minimum solaire. Contrairement à ce qui était attendu, le vent rapide provenant des trous coronaux polaires des deux hémisphères est moins dense (autour de 20%) et moins chaud (autour de 13%) qu’au dernier minimum. Les mesures de densité et température des électrons montrent également un élargissement de plus de 10° de la lame neutre (comprise ici entre 30°S et 37°N), confirmée par les mesures de champ magnétique indépendantes. Celui-ci subit par ailleurs une décroissance de plus 35% comparé au dernier cycle alors que la vitesse du vent rapide est restée stable autour de 750 km/s (Issautier et al., 2008). Les variations observées sur les propriétés du vent solaire sur plus d’un cycle solaire pourraient être reliées au cycle solaire de 22 ans à cause des fluctuations de la dynamo solaire.
Structure à grande échelle du vent solaire dans l’écliptique
Depuis son lancement en 1994, le récepteur radio de la sonde WIND permet d’étudier la structure à grande échelle dans le plan de l’écliptique en fonction du cycle solaire. A partir de la méthode QTN, les distributions de la densité et température des électrons du vent solaire (échantillon de plus de 2 millions de mesures) ont révélé que le vent solaire est plus froid (autour de 20%) et plus dense (autour de 15%) pendant le minimum d’activité solaire qu’en période de maximum solaire (Issautier et al., 2005). Par ailleurs, une anticorrélation de la densité électronique avec le nombre de taches solaires a été confirmée, pour la population la moins dense de la distribution en densité.
Variations au cours du temps de la densité Ne et température thermique Tc des électrons, et de la vitesse du vent solaire obtenues pour les neuf premières années de la mission WIND, à 1 UA. Les moyennes annuelles sont représentées par la ligne noire. Les valeurs moyennes de chaque population de vent solaire (voir Fig. 2 de Issautier et al., 2005) sont données par les autres courbes.
Evolution radiale des fonctions de distribution dans le vent solaire Les modèles exosphériques du vent solaire (Zouganelis et al., 2004) et les simulations cinétiques supposent une distribution d’électrons non thermique à la couronne. Avec cette hypothèse majeure, inspirée par la présence de telles distributions dans le vent solaire, ces modèles expliquent les vitesses du vent rapide observées. Des éléments de réponse ont été apportés par Maksimovic et al. (2005) en étudiant les caractéristiques des distributions électroniques observées dans le vent solaire à partir des sondes Hélios, Wind et Ulysse. Le résultat de ce travail est que les queues non thermiques des fonctions de distribution des électrons deviennent de plus en plus prononcées avec la distance. Une analyse détaillée du « strahl » montre un comportement opposé, c’est-à-dire que sa densité tend à diminuer avec la distance. Combiné avec le fait que la densité du cœur reste constante avec la distance, cela suggère que les électrons du halo seraient en partie alimentés par ceux du strahl. Étant donné le faible niveau de collision des électrons du strahl, le mécanisme qui expliquerait leur diffusion devrait inclure des interactions ondes-particules ou des inhomogénéités de champ à grande échelle.
Variations radiales de la densité relative pour le « cœur » (rouge), le « halo » (bleu) et le strahl (noir), composantes de la fonction de distribution des électrons. La densité du « cœur » reste constante sur l’intervalle de distance. Alors qu’ils varient de façon similaire entre 0.3 et 0.5 UA, les composantes « halo » et « strahl » varient au-delà en opposition en fonction de la distance radiale. Ces résultats suggèrent que pendant le transport du vent solaire entre 0.3 et 1.5 UA, une importante partie des électrons constituant le strahl peut être diffusée vers les électrons du « halo ». D’après Maksimovic et al., JGR, 2005.
Expansion du vent solaire
Le vent solaire est un plasma extrêmement peu collisionnel. Ainsi, un électron du vent ne subit en moyenne qu’une seule collision avec une autre particule au cours de son voyage entre son lieu d’origine, la couronne solaire, et la Terre. Pour un proton, le nombre de collisions est encore plus petit ce qui garantit de pouvoir parcourir la même distance sans collisions. Dans ces conditions, et en l’absence d’ondes, un calcul simple indique que la température des protons dans le plan perpendiculaire au champ magnétique décroit avec le carré de la distance héliocentrique, alors que la température dans la direction parallèle au champ magnétique reste constante. A l’orbite de la Terre, les protons du vent solaire devraient alors être environ dix mille fois plus chauds parallèlement au champ magnétique que perpendiculairement à ce dernier.
Observations de Helios à 0.3, 0.9 et de Ulysses entre 1.5 et 2.5 AU. Les differentes seuils d’instabilité pour les instabilités engendrées par l’ anisotropie de température sont reportées avec differentes courbes : ion-cyclotron (courbe en trait continue), miroir (courbe en pointillés), fire hose parallèle (courbe en tirets) et fire hose oblique (courbe en points et tirets). La droite en trait represent l’adjustement des données Helios entre 0.3 et 1 AU et est en accord avec la correlation trouvée par Marsch et al. (2004) ; la droite en traits et points dans la première fenêtre correspond à la prédiction adiabatique. Cette étude montre que les protons du vent solaire évoluent de façon non adiabatique et que des interactions onde-particule, instabilités cinétiques et chauffage ion-cyclotron, jouent un rôle dans l’evolution du plasma. Figure publiée dans Matteini et al. (2007).
Une étude statistique étendue du vent solaire, menée pour différentes distances au Soleil (de 0.3 à 2.5 UA) à partir des sondes Helios et Ulysse, donne une vision globale de l’évolution des protons dans le milieu interplanétaire (Matteini et al 2007). Elle confirme, entre autre, que dans le vent dit « rapide » (> 600 km/s) à l’orbite de Mercure, la température perpendiculaire est environ le double de la température parallèle. Cet excès disparait à l’orbite de la Terre au delà de laquelle les deux températures sont similaires. Pour résoudre ce problème, Matteini et al (2007) ont démontré que le mécanisme qui limite l’anisotropie de la température des protons au delà de l’orbite de la Terre est dû à des ondes plasma engendrées par l’instabilité dite "firehose". Cette instabilité est déclenchée lorsque la différence entre température parallèle et perpendiculaire dépasse un seuil critique, dépendant des paramètres du plasma. Par contre, dans l’héliosphère interne (< 1 UA), le plasma est stable vis-à-vis des différents types d’instabilités. Comment alors expliquer que l’anisotropie n’est pas aussi forte que prévue ? Matteini et al. (GRL 2007, SSR 2011) suggèrent que c’est la turbulence électromagnétique, omniprésente dans le vent solaire, qui « isotropise » les ions.
Flux d’énergie
Parmi les nombreuses différences et similitudes entre le vent solaire rapide et lent, ni l’anticorrélation entre la densité et la vitesse, ni la constance du flux d’énergie du vent solaire ne sont encore expliquées. Le flux d’énergie peut être approximé comme étant la somme de l’énergie cinétique du vent solaire plus l’énergie nécessaire pour que celui-ci échappe de l’attraction du Soleil. Le flux de chaleur, les ondes et l’enthalpie du vent solaire sont négligés, ce qui se justifie aisément vue la différence d’ordre de grandeur entre ces quantités. Dans cette étude, nous avons utilisé les données des sondes Helios entre janvier 1976 et mars 1980, Ulysse entre avril 1992 et juin 2009 et Wind entre décembre 1994 et septembre 2011. Ces ensembles de données permettent d’étudier le flux d’énergie du vent solaire sur plusieurs cycles d’activité solaire, et à différentes latitudes héliocentriques grâce à l’orbite d’Ulysse. Cela a permis de montrer qu’en moyenne le flux d’énergie du vent solaire est une constante globale, avec des différences inférieures à 10% entre le vent lent et le vent rapide quelque soit la latitude. Une telle constance est surprenante car elle implique que les différences entre les sources des différents vents, les différences dans l’expansion de leurs tubes de flux respectifs, et les interactions entre les différents flux s’adaptent de façon à ce que le flux d’énergie soit le même à grande distance.
Carte de la densité massique en fonction de la vitesse d’ensemble du vent solaire mesurées par Wind/3DP. Cet ensemble de données représente plus de 1.9 milliards de mesures obtenues entre décembre 1994 et septembre 2011. La ligne continue représente la relation théorique entre la densité et la vitesse du vent solaire obtenue à partir de la valeur la plus probable du flux d’énergie, les lignes pointillées correspondent à la largeur à mi-hauteur.
L’indépendance du flux d’énergie du vent solaire permet également de trouver une relation semi-empirique entre la vitesse et la densité du vent solaire. Une telle relation formalise l’anticorrélation entre la vitesse et la densité du vent solaire, comme illustré. Ces résultats sont publiés dans Le Chat et al., Solar Physics, 2012.