lundi 4 septembre 2017, par Karine Issautier
L’espace interplanétaire n’est pas vide de matière : le vent solaire (gaz ionisé provenant du soleil) et de petites particules solides, ou poussières, constituent (en proportion à peu près égales) la majorité de sa masse volumique, de l’ordre de 10-20 kg/m3 à une unité astronomique du soleil (c’est à dire au niveau de l’orbite terrestre). A titre de comparaison, la masse volumique de l’atmosphère terrestre au niveau de la mer est d’environ 1kg/m3 : autant dire que le milieu interplanétaire est très ténu en comparaison de notre environnement quotidien.
On peut différencier les poussières interplanétaires par leur origine. Un certain nombre d’entre elles tire son origine du système solaire en lui-même : ce sont par exemple les poussières éjectées par les comètes, et responsables des pluies d’étoiles filantes observées à intervalles réguliers, lorsque l’orbite de la Terre croise celle d’une comète. Ce sont aussi les poussières générées par fragmentation de corps plus gros, en particulier dans la ceinture d’astéroïdes, et qui sous l’influence de la lumière solaire qui agit sur elles comme une force visqueuse, perdent de l’énergie et croisent notre orbite. L’étude de ces poussières est importante car leur flux, tout comme leur composition chimique, nous donnent des informations sur l’origine de la matière composant le système solaire.
Mais l’on observe aussi des poussières d’une origine bien plus lointaine. En effet le milieu interstellaire autour de notre étoile est lui aussi riche en poussières, et le déplacement du soleil par rapport aux nuages de gaz et de poussières l’environnant va entrainer l’entrée et la dérive de grains de poussière interstellaire dans le milieu interplanétaire.
Une équipe de chercheurs du LESIA a montré qu’il était possible d’utiliser les instruments radio embarqués sur les sondes orbitant dans le milieu interplanétaire pour mesurer localement les flux de poussières. Récemment, les données fournies par l’instrument STEREO/WAVES développé au LESIA ont permis d’observer pour la première fois une population de poussières de taille nano-métrique, formées proche du soleil et accélérées à de grandes vitesses par le vent solaire (Meyer-Vernet et al., Sol. Phys., 2009).
Ces mêmes données, étudiées plus en détail grâce au mode « forme d’onde » de l’instrument, montrent que les impacts de poussières se divisent en fait en deux catégories (fig.1), qui se différencient par la corrélation des signaux observés sur les trois antennes lorsqu’un impact se produit (Zaslavsky et al., JGR, 2012). Grâce à un travail de modélisation des impacts, la première catégorie a pu être interprétée comme due aux impacts de nano-poussières, et les calculs de flux de ces nano-poussières sont en parfaite adéquation avec ceux obtenus précédemment (Meyer-Vernet et al, 2009).
Cette découverte s’est accompagnée d’un travail de modélisation du processus de génération du signal électrique détecté par les antennes radio lors d’un impact de poussière sur une sonde interplanétaire (Pantellini et al., , Plasma Phys. Control. Fusion 54 , 2012). L’interprétation est en effet fondée sur des modélisations numériques de l’expansion d’un nuage de plasma à l’aide de codes de type N-corps (Beck & Pantellini, PPCF, 2009). Ces simulations montrent que les sauts de potentiel observés par STEREO ne donnent pas une mesure directe du potentiel dans le nuage, trop faible, mais est le résultat de l’action du nuage sur la population de photoélectrons qui entourent le satellite.
La seconde catégorie de signaux a pu être interprétée comme due à l’impact de poussières de tailles sub-microniques (0.1-0.3 µm) sur le corps de la sonde. La variation en fonction du temps du flux obtenu dans cette gamme de taille présente une très forte modulation, qui se trouve parfaitement corrélée avec la longitude de la sonde par rapport au soleil (fig. 2). Cette modulation est due à la présence d’une population de poussière se déplaçant dans une direction particulière par rapport au système solaire dans son ensemble : le flux apparent (densité de poussière multipliée par la vitesse relative entre les poussière et la sonde) sera plus important lorsque la sonde se déplace à l’encontre de cette direction particulière, que lorsqu’il se déplace dans cette même direction, provoquant une modulation sinusoïdale du flux apparent en fonction de la longitude. La modélisation de cette dépendance à la longitude nous à permis de déterminer précisément la direction de dérive de cette population de poussière : 259° de longitude, c’est à dire précisément la direction de dérive du soleil par rapport à son environnement interstellaire. L’amplitude de la modulation du flux apparent nous a permis de déterminer le flux de ces particules : il s’agit de la première mesure in-situ du flux de poussière interstellaires à une unité astronomique (Zaslavsky et al., JGR, 2012 ; Belheouane et al., Sol. Phys., 2012).
Cette technique de détection radio in-situ a aussi été appliquée lors du survol de Jupiter par la sonde Cassini. Ce travail a permis de mesurer des flux de nano-poussières accélérées par les forts champs électriques de co-rotation joviens, donnant des résultats comparables aux mesures de l’analyseur de poussières embarqué sur cette sonde (Meyer-Vernet et al., Geophys. Res. Lett., 36 2009). Le pôle "plasmas" du LESIA participe aussi à des études de l’interaction des poussières avec le vent solaire (Mann et al. 2010, 2011), à des mesures complémentaires de poussières de plus grande taille (St.Cyr et al. 2009 ; Davis et al. 2012), ainsi qu’à des calculs de charge électrique des nanopoussières en plasmas froids, comme les plumes d’Encelade ou les ionosphères planétaires (Meyer-Vernet 2013 ; Mann et al. 2014).
Quelques résultats récents obtenus sur STEREO
Les résultats obtenus par l’analyse des données STEREO/WAVES/LFR sont compatibles avec les données de STEREO/WAVES/TDS ainsi qu’avec les modèles de productions des nano poussières par fragmentation de plus grosses particules lors de collisions. Cependant, un tel processus n’explique pas a priori les périodes d’absence de détection de poussière qui semble être la conséquence d’effets géométriques complexes, les impacts devant avoir lieu suffisamment près d’une antenne pour être observés (Le Chat, et al, Solar Phys., 2013). Des simulations simplifiées de la dynamique des nanoparticules de poussière (Thèse de Belheouane, 2014) dans le milieu interplanétaire ont permis d’établir que ces absences de détection étaient dues à la configuration à grande échelle du champ magnétique interplanétaire, qui concentrait les nano-poussières dans la lame neutre (croisée par STEREO toutes les demi-révolutions) et qui depuis 2010 les repousse à haute latitude héliocentrique où elles ne peuvent être observées par STEREO.
La lame neutre est inclinée à 30°. Notons que même avec une lame neutre inclinée, les particules de masses inférieures à 10-‐20 kg peuvent toujours atteindre 300 km/s. Cependant, elles possèdent une vitesse minimale de 200 km/s contrairement au cas d’une lame neutre non inclinée où leurs vitesses minimales peuvent être nulles. Le nombre de particules qui entrent dans la zone de détection est d’environ 17% du nombre total des particules libérées. Ce taux représente environ la moitié du taux lorsque la lame neutre n’est pas inclinée. L’inclinaison de la lame neutre joue alors un rôle de filtrage des grains de poussières (Thèse de Belheouane 2014).
Ces travaux de dynamique ont permis de déterminer les propriétés générales des nanopoussières à partir d’un modèle simple ; notamment, nous avons pu étudier la variation du flux de nano en fonction du cycle solaire, du champ magnétique et de la vitesse du vent solaire, mais aussi de la longitude et latitude de STEREO par rapport à la lame neutre.
Les six ans de mesures obtenues par le récepteur radio STEREO/WAVES/LFR ont montré une relation du flux de nano poussières interplanétaires avec les périodes orbitales et de rotation de Mercure et Vénus ainsi qu’avec les éjections de masse coronales (Le Chat, et al., 2015)
Récemment, Le Chat et al., Sol. Phys. 2015 ont mis en évidence une interaction complexe entre les nuages magnétiques [ICME] et les nanoparticules de poussières observées à 1 UA. Nous avons montré que les ICME dont la vitesse caractéristique est comparable à celle des poussières à 1 UA, soit ne dépassant pas les 400 km/s, piègent dans leur champ magnétique les nanopoussières, produisant un flux de particules de un à deux ordres de grandeur supérieur à l’échantillon complet. Par ailleurs, l’étude du périodogramme du flux de poussière à 1 UA a permis de confirmer que la variation périodique du flux de nano poussières observé est due à la dynamique, et de mettre en évidence pour la première fois une influence des planètes Mercure et Vénus sur le flux de nano-poussière.
Autres résultats récents à partir des sondes Wind et Cassini
Par ailleurs, nous avons mené une étude théorique expliquant la non détection de nanoparticules de poussières sur la sonde WIND. En effet, nous avons comparé l’importance du signal en mode monopole et dipôle des antennes sur différents satellites et pour différents environnements. Cela explique la faible sensibilité des antennes dipôles sur la sonde WIND et la non détection de nanopoussières contrairement à STEREO (Meyer-Vernet et al. 2014).
A partir des données de Cassini entre la Terre et Jupiter, nous avons montré [Schippers et al., ApJ, 2015] que le flux de nanopoussières varie avec la distance au Soleil en accord avec la théorie [Mann I., Meyer-Vernet N., Czechowski A., Physics Reports, 2014], et que des observations attribuées précédemment à une éjection par Jupiter ont en réalité une origine dans le système solaire interne. Finalement, nous avons déterminé les fréquences à utiliser pour la détection de ces particules plus près du Soleil avec les projets Solar Orbiter et Parker Solar Probe, et montré [Meyer-Vernet et al., JGR, 2016] que les nanopoussières réagissent aux perturbations locales du vent solaire comme prévu par la théorie [Meyer-Vernet et al., PPCF, 2015].
Effets planétaires sur les nanopoussières interplanétaires