jeudi 26 mai 2011, par Jean-Michel Reess
Le projet DAMNED (Dual Achromatic Mask for Nulling Demonstrator), est destiné à valider expérimentalement un nouveau concept instrumental pour la détection directe exoplanète de type terre.
La dĂ©tection directe d’une planète en orbite autour d’une autre Ă©toile que le Soleil, ou exoplanète exige d’attĂ©nuer presque totalement la lumière de l’Ă©toile. La raison en est l’Ă©norme diffĂ©rence d’Ă©clat (106-10) entre l’Ă©toile et la planète, ainsi que la très petite sĂ©paration angulaire (10-6 radians ou 0.2") entre les deux objets. Dans l’infrarouge moyen, une solution proposĂ©e par Bracewell1, est la mise en oeuvre d’un principe d’interfĂ©romĂ©trie annulante. On utilise au moins deux tĂ©lescopes dont les faisceaux sont recombinĂ©s de façon cohĂ©rente, de sorte que la lumière Ă©blouissante de l’Ă©toile est supprimĂ©e par interfĂ©rence destructive, ce qui permet, en principe, de "voir" la planète en orbite.
Dans cette solution, un dĂ©phasage de Ď€ (180°) doit ĂŞtre appliquĂ© Ă la lumière sur l’un des bras de l’interfĂ©romètre, de sorte qu’un système de franges montrant une frange centrale sombre est projetĂ© sur le ciel. L’Ă©toile, placĂ©e sur cette frange sombre, est fortement attĂ©nuĂ©e, tandis que la planète, pour peu qu’elle soit sur une frange brillante, peut alors ĂŞtre dĂ©tectĂ©e. L’obtention d’un dĂ©phasage de Ď€ Ă diffĂ©rentes longueurs d’onde simultanĂ©ment (il est dit achromatique) est obligatoire parce que d’une part le nombre de photons est si faible qu’on doit en capter le maximum et d’autre part il est ainsi possible d’aborder un nouveau domaine de recherche de bio-signature par spectroscopie. En effet, certaines molĂ©cules comme par exemple l’eau ou l’oxygène potentiellement caractĂ©ristiques de forme de vie ont des signatures spectrales (ou bio-signatures) dans un domaine de longueurs d’onde très Ă©tendu (typiquement 6-18 ÎĽm).
Figure 1 : schĂ©ma d’implantation d’un miroir-damier dans un interfĂ©romètre en recombinaison multi-axiale.
DiffĂ©rentes mĂ©thodes ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es en vue d’obtenir ce dĂ©phasage achromatique de Ď€ dans un large domaine de longueurs d’onde3 : elles font gĂ©nĂ©ralement appel Ă un interfĂ©romètre asymĂ©trique et demandent plusieurs composants optiques parfois complexes Ă rĂ©gler. Ici c’est une solution nouvelle 4,5 qui est proposĂ©e, permettant la symĂ©trie complète et mettant en oeuvre un unique composant, en principe sans rĂ©glage : un double miroir en damier composĂ© de cellules de diffĂ©rentes Ă©paisseurs. Les cellules d’un des damiers produisent des diffĂ©rences de chemin optique qui sont des multiples impairs de la moitiĂ© de la longueur d’onde centrale (λo/2) alors que les cellules de l’autre damier, produisent des multiples pairs. C’est de plus la distribution particulière des Ă©paisseurs des cellules qui rend le dĂ©phasage de Ď€ quasi-achromatique sur un vaste domaine. Entre toutes les distributions possibles des diffĂ©rentes Ă©paisseurs, il en est une qui, Ă©tonnamment, permet en fait d’Ă©tendre cette propriĂ©tĂ© Ă un large domaine spectral centrĂ© sur λo. Cette distribution est Ă©trangement fournie par le "triangle de Pascal", c’est-Ă -dire les termes du dĂ©veloppement du polynĂ´me (a+b)n. Dans notre application, chaque damier comporte alors 2n cellules. Dans cet assemblage, c’est une propriĂ©tĂ© d’Ă©galitĂ© entre des sommes de puissances d’entiers pairs et impairs qui est mise en jeu. De telles relations, dites diophantiennes (du nom du mathĂ©maticien alexandrin Diophante, Ă l’origine de l’Ă©tude de ces problèmes et qui vĂ©cut vers le IIIe siècle de notre ère), apparaissent dans d’autres problèmes d’optique examinĂ©s par l’Ă©quipe6, qui propose de dĂ©nommer optique diophantienne ce rameau nouveau de l’optique.
La distribution des cellules sur la surface des miroirs en x et y joue aussi un rĂ´le important pour amĂ©liorer le contraste exoplanète / Ă©toile. Une distribution a donc Ă©tĂ© dĂ©finie, construite par rĂ©currence sur une base mathĂ©matique diophantienne, qui est optimale en terme de minimisation des rĂ©sidus de l’Ă©toile (flux rĂ©siduel de l’Ă©toile non affectĂ©e par les damiers). La Figure 2 montre un exemple de la structure des deux damiers lorsque n = 5. Les niveaux de gris reprĂ©sentent les Ă©paisseurs de chaque case.
L’Ă©quipe a dĂ©veloppĂ© un simulateur, entièrement analytique, pour prĂ©dire la performance des solutions.
L’animation ci-dessus montre Ă l’Ă©chelle logarithmique la dĂ©tection simulĂ©e d’une exoplanète au travers d’un damier achromatique lorsque la longueur d’onde varie. L’exoplanète en rouge, est un million de fois plus faible que son Ă©toile en bleu.
Figure 4 : EfficacitĂ© d’annulation d’une Ă©toile un million de fois plus brillante qu’une planète.
La figure 4 compare, pour une planète un million de fois plus faible que son Ă©toile, l’efficacitĂ© d’annulation Ă l’Ă©chelle logarithmique en fonction de Δλ / λo (Ă©cart normalisĂ© Ă la longueur centrale) pour les diffĂ©rentes tailles croissantes du damier optimum (en couleur). Il convient de noter le comportement relativement plat du rapport "rĂ©sidu Ă©toile sur rĂ©sidu de la planète" en fonction de λ . La bande passante est typiquement [0,85 λo - 1,7 λo], c’est-Ă -dire une octave. A noter qu’une erreur rĂ©aliste (processus de rĂ©alisation) sur les Ă©paisseurs des cellules est introduite dans le modèle.
Le projet DAMNED (Dual Achromatic Mask for Nulling Experimental Demonstrator) destiné à valider expérimentalement le concept est fait en collaboration avec différents laboratoires de l’Observatoire de Paris. Le banc de test réalisé est basé sur le principe d’un interféromètre de type Fizeau à base réduite (les deux pupilles sont juxtaposées). Le banc de test des coronographes de l’expérience SPHERE a été modifié pour pouvoir intégrer de façon modulaire une voie de mesure DAMNED.
Figure 6 : Détails de quelques cellules du damier fabriqué par la société Silios (une cellule fait 600µm de côté)
Nom | Fonction dans l’Ă©quipe | Laboratoire |
---|---|---|
Daniel Rouan | Responsable scientifique et modélisation numérique | LESIA |
Jean-Michel Reess | Chef de projet | LESIA |
Jacques Baudrand | Expertise optique | LESIA |
Damien Pickel | Thésitif | LESIA |
Didier Pelat | Modélisation numérique | LUTH |
Fanny Chemla | RĂ©alisation des masques de phase | GEPI |
Mathieu Cohen | Tests et mesures en laboratoire | GEPI |
Les premiers résultats très encourageants sont obtenus à partir d’un composant de 8 × 16 cellules, avec une dimension de chaque cellule de 600 μm, fabriqué par la société SILIOS-France en utilisant la technique de gravure par ions. Les deux damiers (impair et pair) sont placés côte à côte.
Figure 7 : Première franges obtenues en laboratoire (image de gauche) comparée à la simulation (image de droite)
La figure 7 montre les toutes premières images de laboratoire en recombinaison Fizeau6,7. La mesure est effectuĂ©e à λo = 650 nm (longueur d’onde nominale des damiers) et à λ= 500 nm. Comme prĂ©vu par la simulation (figure de gauche), on voit une frange centrale sombre qui, en première approximation, reste fixe Ă diffĂ©rente longueurs d’onde.
Références