mercredi 6 janvier 2010, par Bruno Bézard
Le 8 décembre 2005 a paru dans la revue Nature une série d’articles sur les premières analyses des données envoyées par la sonde Huygens. Elles apportent quantité d’informations nouvelles sur la surface et l’atmosphère de Titan, nous révélant un monde complexe et fascinant, potentiellement proche de la Terre, mais gelé à un stade précoce de son développement. L’article « Rain, winds and haze during the Huygens probe’s descent to Titan’s surface » par M. Tomasko et al. (Nature 438, 765-778) présente les résultats obtenus par l’expérience DISR.
À cause de l’opacité de la brume photochimique, DISR n’a commencé à distinguer la surface qu’à partir de 55 km environ. La première mosaïque construite à partir d’images entre 49 et 20 km d’altitude montre des régions claires séparées par des allées plus sombres, mais il est difficile de comprendre leur nature. On ne voit pas de cratères d’impact. Le panorama suivant, assemblé à partir d’images entre 17 et 8 km, révèle un vaste plateau clair creusé d’un grand nombre de chenaux.
Vue de Titan constituée d’images enregistrées entre 17 et 8 km d’altitude. Le nord est en haut. La trajectoire de la sonde est indiquée par des tirets blancs et le cercle au centre indique la position du panorama suivant. Un plateau clair apparaît creusé de chenaux plus sombres. Le réseau ramifié vers le nord résulte très vraisemblablement de précipitations (pluies de méthane) et celui plus rectiligne, vers l’ouest, a peut-être été alimenté par des sources.
Vue en perspective du haut plateau situé 5 km au nord du site d’atterrissage. Le modèle en gris et en fausses couleurs indique l’altitude (en plus clair l’altitude la plus élevée). La région, qui couvre approximativement 1x3 km, comprend le réseau de chenaux ramifiés sur le haut plateau et une portion du lac asséché (en bleu) au sud de la ligne côtière. L’analyse stéréographique indique que les chenaux ont une largeur de 100-200 m et une profondeur de 50-100 m avec des pentes atteignant par endroits 30°, proche de l’angle d’éboulement. Des écoulements rapides dans les lits de rivières ont probablement créé ces vallées profondément incisées, avec une érosion due à des glissements de terrain abrupts sur leurs pentes.
Deux types de réseaux sont visibles : un réseau de drainage très ramifié vraisemblablement creusé par des précipitations, et un réseau avec des chenaux plus rectilignes, trapus, et commençant (ou se terminant) souvent par des étendues sombres circulaires. Les chenaux étroits convergent vers de larges rivières qui se déversent dans une vaste étendue sombre en contrebas. Le dernier panorama, constitué d’images enregistrées entre 7 et 0,5 km d’altitude, montre à haute résolution la région d’atterrissage dans cette plaine sombre. On y voit là aussi des traces d’écoulement récent, avec une crête érodée, coupée par une douzaine de chenaux étroits. Cette étendue sombre évoque une suite de lacs asséchés avec des « îles » et des « hauts fonds » plus clairs. La frontière entre régions claire et sombre s’interprète comme une ligne côtière.
Vue de la surface vers le site d’atterrissage à 1,2 km d’altitude (panorama composé d’images prises entre 7 et 0,5 km). La crête vers le centre est coupée par une douzaine de chenaux étroits (10-20 m de large) plus sombres. Ceci suggère que des écoulements de méthane liquide orientés vers le sud-est ont déposé ou exposé un matériau plus clair, peut-être de la glace d’eau, sur les versants amont des crêtes dans la vaste plaine sombre. Le site d’atterrissage est marqué d’une croix.
Il fait peu de doute que c’est le méthane liquide qui a creusé ces chenaux, vu la température régnant à la surface de Titan (94 K ; -179°C) et l’abondance de ce gaz ( 5%) dans la basse atmosphère. Le matériau sombre charrié par les chenaux et s’accumulant dans les dépressions pourrait être constitué des particules de la brume formées dans la stratosphère et tombant continûment à la surface. Les chenaux rectilignes ont peut-être été alimentés par des résurgences de méthane liquide. DISR n’a pas vu d’étendues liquides dans la région explorée (typiquement 20 x 20 km) mais il peut en exister ailleurs. La fréquence des précipitations qui ont créé les réseaux ramifiés reste une question ouverte. On voit par endroits quelques structures qui résultent peut-être du cryovolcanisme, avec extrusion de glace d’eau à la surface. Les images de la surface de Titan prises après l’atterrissage évoquent une rivière ou un lac asséché. Des « galets », de 10 à 15 cm de diamètre, vraisemblablement constitués de glace d’eau, reposent sur un substrat granulaire plus sombre, rappelant du gravier. On peut penser que ces matériaux ont été transportés et érodés par des écoulements de méthane liquide.
Vue prise de la surface de Titan après l’atterrissage. DISR regarde en gros vers le sud. Les images prises par les caméras SLI (Side Looking Imager) et MRI (Medium Resolution Imager), visant plus près du nadir, ont été combinées pour produire cette image. Des galets, de 10 à 15 cm de taille, vraisemblablement constitués de glace d’eau, reposent sur un lit de « gravier » plus sombre. La scène évoque un lac asséché. Une région avec peu de « rochers » suit l’orientation générale, vers le sud-est, des écoulements visibles dans le panorama à 1,2 km.