mercredi 6 janvier 2010, par Bruno Bézard
En avril 2008, paraissait un numéro spécial de Planetary and Space Science « Titan as seen by Huygens » consacré aux dernières analyses des données enregistrées par la sonde Huygens. Les co-investigateurs du LESIA ont participé à l’analyse des données DISR et ont collaboré à trois articles de ce numéro spécial.
Grâce à sa lampe de surface, DISR a obtenu, à une altitude de 25 m, un spectre de réflectivité de la surface sur lequel se superposent les bandes d’absorption du méthane. En utilisant de nouvelles mesures en laboratoire dans des conditions proches de celles de ce spectre avec lampe, il a été possible de déterminer très précisément la fraction molaire du méthane à la surface, 5,1%, ce qui correspond à une humidité proche de 50%. La valeur déduite d’un spectre de la surface éclairée par la lampe à 45 cm de distance (90 sec après l’atterrissage) conduit à une valeur similaire, ce qui exclut tout dégazage important dû à l’atterrissage.
Quant à la réflectivité de la surface, elle est maximale dans le rouge, vers 800 nm de longueur d’onde, et rappelle, dans le domaine visible, celles des « tholins », ces analogues des aérosols produits en laboratoire. On observe dans l’infrarouge une absorption vraisemblablement due à la glace d’eau à la longueur d’onde de 1540 nm. Cette absorption est plus prononcée dans le spectre après atterrissage que dans celui enregistré à 25 m d’altitude, ce qui indique une hétérogénéïté de la surface. Mais la caractéristique la plus inattendue de ces spectres est une décroissance régulière de la réflectivité de 800 à 1500 nm. Ceci reste aujourd’hui inexpliqué et des travaux sont en cours pour évaluer si des mélanges de glace et de certains composés organiques peuvent reproduire ces caractéristiques spectrales.
Le spectre de la surface éclairée par la lampe à 25 m d’altitude est comparé à des calculs correspondant à plusieurs valeurs de la fraction molaire du méthane gazeux
Référence : D. Jacquemart, E. Lellouch, B. Bézard, C. de Bergh, A. Coustenis, N. Lacome, B. Schmitt, M. Tomasko 2008. New laboratory measurements of CH4 in Titan’s conditions and a reanalysis of the DISR near-surface spectra at the Huygens landing site. Planetary and Space Science 56, 613-623.
Les spectres visibles et infrarouges enregistrés par DISR, en regardant vers le soleil mesurent la croissance de l’absorption du méthane au fur et à mesure de la descente. Grâce à la reconstruction précise du profil de descente de la sonde (azimut et altitude en fonction du temps), il a été possible de déduire des mesures DISR les coefficients d’absorption du méthane dans l’atmosphère de Titan. Ce travail délicat sera fort utile notamment pour analyser les spectres enregistrés à distance par l’instrument VIMS à bord de Cassini.
Dans le domaine infrarouge proche (850-1600 nm), les coefficients utilisés jusqu’alors apparaissent inadaptés pour modéliser le spectre de Titan - et d’autres planètes comme Uranus et Neptune - car ils étaient extrapolés de mesures en laboratoire enregistrées dans des conditions de parcours, pression et température très différentes de celles régnant sur Titan. En particulier, l’extrapolation à basse température du modèle de bande de Irwin et al. [2006. Improved near-infrared methane band models and k-distribution parameters from 2000 to 9500 cm-1 and implications for interpretation of outer planet spectra. Icarus 181, 309–319] sous-estime fortement l’absorption dans les fenêtres de transparence du méthane déduite des mesures DISR. Par contre, les observations des bandes faibles du méthane dans Titan en-deçà de 830 nm sont en accord avec les coefficients d’absorption de Karkoschka [1994. Spectrophotometry of the jovian planets and Titan at 300- to 1000-nm wavelength : the methane spectrum. Icarus 111, 174–192].
Transmission de l’atmosphère de Titan, due au méthane uniquement, en fonction de l’altitude dans la direction du Soleil (symboles). Les données sont ajustées par des sommes exponentielles à chaque longueur d’onde échantillonnée par l’instrument (traits continus). Les tables de coefficients ainsi obtenues permettent de modéliser au mieux l’absorption atmosphérique à la résolution spectrale de DISR (environ 17 nm)
Référence : M. Tomasko, B. Bézard, L. Doose, S. Engel, E. Karkoschka 2008. Measurements of methane absorption by the descent imager/spectral radiometer (DISR) during its descent through Titan’s atmosphere. Planetary and Space Science 56, 624-647.
Les spectres visibles et infrarouges collectés par DISR tout au long de la descente ont permis de déterminer l’absorption du flux solaire (par le méthane et les aérosols) et donc le taux de chauffage solaire en fonction de l’altitude. Le calcul utilise les coefficients d’absorption du méthane ainsi que les propriétés optiques et la distribution verticale des aérosols déduits de DISR. À 10°S (latitude de la descente de Huygens), environ 80% du flux solaire incident est absorbé pendant une journée de Titan, 60% l’est en dessous de 150 km et 11% par la surface.
Le taux de chauffage a pu être comparé au taux de refroidissement radiatif calculé en utilisant les spectres d’émission thermique enregistrés par l’instrument CIRS à bord de Cassini. En effet, à partir de spectres enregistrés au limbe et au nadir vers la même latitude (10°S), on a pu déterminer les profils verticaux d’abondance des gaz et d’opacité des aérosols, calculer alors le flux thermique en fonction de l’altitude, et en déduire le taux de refroidissement radiatif. Ce taux de refroidissement radiatif est très proche du taux de chauffage solaire moyenné sur la planète en supposant la même structure de la brume à toutes les latitudes. Par contre, à la latitude de Huygens, le taux de chauffage solaire excède le taux de refroidissement avec un écart maximum de 0,5 K par journée de Titan vers 120 km. C’est la circulation générale qui vraisemblablement redistribue cet excès de chaleur vers les plus hautes latitudes.
Ce travail, qui fournit un bilan radiatif précis à une latitude et une saison donnée, permet de mieux contraindre les modèles de circulation générale de l’atmosphère actuellement développés.
Taux de refroidissement radiatif calculés à partir des données Cassini/CIRS (rouge : toutes sources d’opacité incluses, gaz et aérosols ; vert : seulement l’opacité gazeuse ; bleu : seulement l’opacité induite par collisions). Le taux de chauffage solaire, déduit des mesures DISR, est aussi tracé sur la figure (moyenné sur le satellite).
Référence : M. Tomasko, B. Bézard, L. Doose, S. Engel, E. Karkoschka, S. Vinatier 2008. Heat balance in Titan’s atmosphere. Planetary and Space Science 56, 648-659.
Contact : Bruno Bézard