mercredi 28 juin 2023, par Eric Michel & Kévin Belkacem
Les étoiles sont les briques élémentaires de l’Univers. Comprendre leur structure et leur évolution est donc essentiel et joue un rôle dans un grand nombre de domaines de l’astrophysique. L’unique façon de sonder l’intérieur des étoiles consiste à analyser les ondes sismiques qui les agitent en vue de recueillir des informations sur leur structure interne et les processus dynamiques complexes qui s’y déroulent.
La sismologie stellaire est une thématique qui connaît depuis plusieurs années un essor très important grâce aux observations des satellites CoRoT , Kepler et TESS. L’équipe SEISM du LESIA est pionnière dans le domaine et possède une expertise qui va de l’acquisition et l’analyse de données aux études théoriques et numériques.
On estime à 200 milliards le nombre d’étoiles dans la Voie lactée, notre galaxie (Fig.1), qui constitue notre univers proche. Les étoiles sont des acteurs essentiels de notre environnement, puisque ce sont elles qui fabriquent les atomes autres que l’hydrogène et l’hélium qui constituent tous les objets qui nous entourent et dont nous sommes nous-mêmes constitués.
Vue d’artiste de notre galaxie établie à partir des grands relevés infra-rouges (Spitzer Space Telescope). Crédit : R. Hurt, NASA.
En première approximation, les étoiles peuvent être décrites comme en équilibre hydrostatique, c’est à dire que, partout dans l’étoile, le gradient de pression compense la gravité. Leur évolution résulte principalement de processus qui ont eu lieu dans les couches profondes. L’énergie fournie par la fusion nucléaire peut être transportée des régions centrales vers la surface par trois grandes classes de mécanismes ; les transports conductif, radiatif et convectif.
Par exemple, dans les étoiles de faible masse, l’essentiel de l’énergie est transporté par le flux radiatif dans le centre de l’étoile. Néanmoins, la température diminue vers les couches les plus externes et le plasma devient de plus en plus opaque au rayonnement, ce qui rend le transport par les photons inefficace. Dès lors, la convection prend le relais et, par la mise en mouvement de matière, permet de transporter l’énergie vers la surface de l’étoile. Le cas des étoiles massives est différent avec l’existence d’un cœur convectif lié aux réactions nucléaires dans ces étoiles. L’intense production d’énergie est très localisée au centre des étoiles, ce qui créé un important gradient de température. En d’autres termes, la production d’énergie est très importante et le flux radiatif n’est plus en mesure, à lui seul, d’assurer le transport d’énergie.
Ainsi, les étoiles sont des systèmes dont la description fait appel à une grande diversité de processus, qui relèvent de branches variées de la physique :
Ces processus se produisent sur des échelles (spatiales et temporelles) très diverses, qui vont du microscopique au macroscopique. Les conditions extrêmes que l’on rencontre dans ces objets en font des laboratoires sans équivalent sur Terre. L’étude des processus physiques qui s’y déroulent fournit alors une occasion unique d’y accéder.
La sismologie stellaire consiste à analyser les ondes sismiques qui animent les étoiles en vue de recueillir des informations sur leur structure interne. C’est un peu comme analyser le son d’un violon et, à partir de là, comprendre comment le corps du violon résonne et comment l’archet le stimule. De la même manière, c’est grâce aux ondes sismiques générées lors des tremblements de terre que la structure interne de notre planète nous a été révélée.
Illustration des perturbations (par exemple de température) engendrées par l’oscillation à l’intérieur d’une étoile. A la surface, ces perturbations engendrent une variation du flux lumineux émis par l’étoile. Crédit : E. Michel
On utilise actuellement deux techniques pour mesurer les oscillations stellaires : la photométrie, qui consiste à mesurer les variations de lumière induites par les oscillations ; et la mesure de vitesse radiale, qui consiste à mesurer, dans une ou plusieurs raies du spectre stellaire, les décalages Doppler associés aux mouvements des couches superficielles de l’étoile.
Ces deux techniques présentent des avantages et des limitations qui les rendent complémentaires. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de mesurer, avec une grande précision, des variations très faibles (quelques parties par millions), sur des périodes qui peuvent être courtes (de l’ordre de la minute dans les étoiles comme le Soleil). Cela implique de construire des instruments extrêmement stables, de s’affranchir ou de corriger les effets environnementaux (atmosphère, variation de température...). Cela nécessite également des observations de longue durée (typiquement de plusieurs semaines à plusieurs mois).
Dans l’espace, le projet CoRoT (2006-2012, CNES) et le projet kepler (2009-2013, NASA) ont permis de révéler la micro-variabilité stellaire sous un jour totalement neuf. CoRoT a détecté les vibrations de toutes sortes d’étoiles, certaines similaires au Soleil, d’autres très différentes comme les géantes rouges ou bien les étoiles massives. Outre la découverte de nombreuses planètes extra-solaires,ces missions ont ainsi permis de faire un énorme bond en avant quant à notre connaissance des intérieurs stellaires.
Le satellite CoRoT, lancé en décembre 2006, mesure les oscillations stellaires avec une précision, une durée et une continuité alors inégalées. Crédit : CNES
Les données de CoRoT ont donc ouvert un champ nouveau, celui de la microvariabilité stellaire à des échelles de temps de plusieurs mois. C’était la condition nécessaire pour mesurer avec précision dans les étoiles les oscillations de très faibles amplitudes identiques à celles observées sur le Soleil.
Dans les pulsateurs de type solaire, ces observations ont été un succès avec les premières mesures de ce type. Ces analyses ont donné pour la première fois accès aux fréquences précises, mais aussi aux durées de vie des modes et à leurs amplitudes individuelles, permettant des études jusque-là limitées au Soleil.
Les autres types d’étoiles pulsantes ne sont pas en reste. En abaissant le bruit d’un facteur entre 100 et 1000 et en augmentant les durées d’observation d’un un facteur 10 par rapport aux données disponibles auparavant, CoRoT a mis à jour des comportements prévus et d’autres tout à fait inattendus : des oscillations de type solaire dans des étoiles massives et très massives, des centaines de modes dans des étoiles δ Scuti, etc... Au-delà des oscillations, ces données ont révélé la signature fine d’un grand nombre de phénomènes divers : granulation, taches associées à l’activité magnétique ou à des anomalies d’abondance de surface, éclipses, déformation gravitationnelle due à la binarité ...
Un exemple marquant concerne les géantes rouges. Alors qu’on connaissait moins de dix géantes rouges pulsantes avant le lancement de CoRoT, la première séquence d’observation d’une durée de 150 jours en a révélé 700. En étudiant la nature des oscillations, on a montré que l’on pouvait obtenir une estimation précise (de l’ordre du %) du rayon et de la masse de ces objets, alors que les indices classiques (température effective, gravité, luminosité) ne permettent pas de caractériser de manière satisfaisante les étoiles dans cette phase de leur évolution.
Mais les choses ne se sont pas arrêtées là, et actuellement, grâce notamment à des observations de très longue durée (jusqu’à 4 ans) effectuées avec le satellite Kepler, il est possible de sonder le cœur des étoiles géantes rouges, stade évolutif qui constitue l’avenir de notre Soleil. Ces mesures ont permis de mettre en évidence que le cœur des géantes rouges ralentit fortement au cours de leur évolution. Ce comportement inattendu suscite actuellement de nombreux travaux théoriques.
Outre l’intérêt intrinsèque de comprendre et de contraindre les processus physiques se déroulant dans les intérieurs stellaires, une description précise et réaliste des étoiles a une portée bien plus importante. En effet, les étoiles en tant que briques de base de l’univers et des galaxies sont essentielles si l’on veut comprendre l’évolution chimique et les populations des galaxies, ou encore pour contraindre les scénarios de formation planétaires.
Par exemple, la compréhension des systèmes planètes-étoiles requiert la détermination de l’âge, de la masse et du rayon des planètes, qui ne peuvent être déterminés que par une connaissance extrêmement précise des étoiles hôtes. Néanmoins, les modèles stellaires actuels sont loin d’être parfaits. Par exemple, ils ne donnent actuellement qu’une précision de l’ordre de 30 % sur les âges et de 20% sur les masses. Or, une précision de l’ordre de 10% sur l’âge, de l’ordre de 4% sur la masse sont nécessaires afin, par exemple, de caractériser les planètes et de contraindre les processus de formation planétaires.
De tels progrès passent obligatoirement par une amélioration significative de la description des processus dynamiques à l’œuvre dans les étoiles. Prenons un exemple : la rotation est responsable d’un transport d’éléments chimiques dans les régions centrales. Il en résulte des changements de composition chimique qui affectent l’âge des modèles stellaires par l’intermédiaire des réactions nucléaires. Prendre en compte ces processus de mélange liés à la rotation nécessite donc la connaissance du profil de rotation, qui dépend des mécanismes de transfert de moment cinétique lors de l’évolution des étoiles. Afin de faire des progrès significatifs en termes de modèles stellaires, il est donc important d’inclure les processus de transport et la sismologie est seule à nous donner des contraintes précises sur ces processus.
En plus de la sismologie, le développement récent des techniques de spectropolarimétrie et d’interférométrie optique apportent la promesse d’informations complémentaires précieuses avec la mesure des champs magnétiques, des rayons d’étoiles et de leur aplatissement éventuel (sous l’effet de la rotation). Il faut également mentionner les travaux numériques de simulation hydrodynamiques et les mesures de distance précises pour un grand nombre d’étoiles apportées par Gaia.
Le projet de mission spatiale PLATO (PLAnetary Transits and Oscillations of Stars) sélectionné par l’ESA est un bel exemple de synergie entre plusieurs domaines. Il s’inscrit dans le cadre du programme Cosmic Vision 2015-2025 (M3) et l’équipe SEISM y contribue fortement. Il s’agit d’un instrument doté de plusieurs télescopes avec un très large champ permettant ainsi d’observer un très grand nombre d’étoiles brillantes.
L’objectif scientifique de la mission est de détecter, grâce à la méthode des transits planétaires, des planètes rocheuses situées dans la zone habitable de leur étoile et, simultanément, de déterminer, grâce à la sismologie, les caractéristiques des étoiles hôtes. Ceci est important pour faire progresser notre connaissance de la formation et de l’évolution des systèmes planétaires mais constitue également une étape essentielle afin de préparer de futures études des atmosphères planétaires. Cette mission bénéficiera également d’une très forte synergie avec la mission Gaia ainsi que d’un suivi spectroscopique au sol. Tout ces éléments permettront à PLATO de fournir des contraintes sur le système planète-étoile avec une précision sans précédent.
Citons également d’autres projets instrumentaux en astérosismologie, tels que le projet Stellar Observations Network Group (SONG) dont l’objectif est de mettre un place un réseau global de télescopes de 1m, ou encore le projet BRITE qui propose une constellation de nano-satellites afin d’observer les étoiles les plus brillantes du ciel. Le projet spatial TESS (lancé en 2018 par la NASA) et dédié à la détection d’exoplanètes par transits photométriques, représente également une opportunité très intéressante pour la sismologie stellaire avec des observations de la quasi-totalité du ciel pendant des durées de l’ordre du mois.
L’ensemble de ces perspectives permet d’envisager un pas de géant dans la compréhension des intérieurs stellaires et de leur évolution. Ceci aura nécessairement un impact majeur dans nombre de domaines de l’astrophysique.
Chercheurs impliqués dans cette thématique :
* Arrivée en octobre 2023
Quelques publications récentes du LESIA dans ce domaine :
– Philidet, J. ; Belkacem, K. ; Goupil, M. -J. Coupling between turbulence and solar-like oscillations : A combined Lagrangian PDF/SPH approach. II. Mode driving, damping and modal surface effect, 2022, A&A 664
– Goupil, M. -J. Introduction to Asteroseismology, 2022 Sub-Saharian Africa Astronomy Summer School
– Belkacem, K. ; Kupka, F. ; Philidet, J. ; Samadi, R. Surface effects and turbulent pressure. Assessing the Gas-Γ1 and Reduced-Γ1 empirical models , 2021 A&A 646
– Reese, D. R. ; Mirouh, G. M. ; Espinosa Lara, F. ; Rieutord, M. ; Putigny, B. Oscillations of 2D ESTER models. I. The adiabatic case, 2021 A&A 645
– Michel, Eric ; Haywood, Misha ; Famaey, Benoît ; Mosser, Benoît ; Samadi, Réza ; Monteiro, Mario J. P. F. G. ; Kjeldsen, Hans ; Belkacem, Kévin ; Miglio, Andréa ; Garcia, Rafael ; Katz, David ; Suarez, Juan Carlos ; Deheuvels, Sébastien ; Campante, Tiago ; Cunha, Margarida ; Aguirre, Victor Silva ; Ballot, Jerôme ; Moya, Andy Chronos - Take the pulse of our galactic neighbourhood, 2021 Experimental Astronomy 51
– Ouazzani, R. -M. ; Lignières, F. ; Dupret, M. -A. ; Salmon, S. J. A. J. ; Ballot, J. ; Christophe, S. ; Takata, M. First evidence of inertial modes in γ Doradus stars : The core rotation revealed, 2020,A&A 640
– Lebreton, Y. ; Reese, D. R. SPInS, a pipeline for massive stellar parameter inference. A public Python tool to age-date, weigh, size up stars, and more, 2020, A&A 642
– Samadi, R. ; Deru, A. ; Reese, D. ; Marchiori, V. ; Grolleau, E. ; Green, J. J. ; Pertenais, M. ; Lebreton, Y. ; Deheuvels, S. ; Mosser, B. ; Belkacem, K. ; Börner, A. ; Smith, A. M. S. The PLATO Solar-like Light-curve Simulator. A tool to generate realistic stellar light-curves with instrumental effects representative of the PLATO mission, 2019, A&A 624
– Mosser, B. ; Michel, E. ; Samadi, R. ; Miglio, A. ; Davies, G. R. ; Girardi, L. ; Goupil, M. J. Seismic performance, 2019, A&A 622 – Baglin A., Belkacem K., Chaintreuil S., Deleuil Magali, Lam-Trong Thien et l’équipe CoRoT, "CoRoT, une mission bien remplie". L’astronomie #103, mars 2017