vendredi 17 mai 2013
Aux confins du Système solaire, à des milliards de kilomètres du Soleil, l’exploration des objets primordiaux progresse. Grâce à l’observatoire spatial Herschel, de l’Agence spatiale européenne (ESA), une équipe du Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique - LESIA de l’Observatoire de Paris obtient des données plus précises et inédites sur neuf objets primitifs, transneptuniens et Centaures, du Système solaire extérieur.
Les objets transneptuniens (OTN) et les Centaures sont des petits corps glacés en orbite autour du Soleil. Ils évoluent aux confins du Système solaire, au-delà de Neptune pour les uns et entre Jupiter et Neptune pour les autres. Ce sont les corps les plus primitifs connus du Système solaire. Il y a une vingtaine d’années, on ne savait rien d’eux. Les techniques de détection n’étaient alors pas suffisamment avancées. Depuis leur découverte marquante en 1992, plus de 1600 de ces objets ont été détectés à ce jour et l’on estime qu’il en existe plus de 30 000 d’une taille supérieure à 100 km. À travers leur étude, l’enjeu est une meilleure compréhension de la composition de la nébuleuse primitive et des processus à l’œuvre dans les premiers temps de l’histoire du Système solaire.
La caractérisation des objets transneptuniens et Centaures constitue un axe de recherche du LESIA. Ainsi, le laboratoire s’est impliqué dans un programme clé de Herschel [1] dédié à l’observation de ces objets à l’aide de deux instruments : les photomètres imageurs Photodetecting Array Camera and Spectrometer - PACS et Spectral and Photometric Imaging Receiver - SPIRE. [2]
Un article à paraître dans la revue scientifique Astronomy and Astrophysics révèle des données inédites sur neuf objets, les plus brillants observés dans ce programme. Ils appartiennent à différentes classes dynamiques. L’échantillon comprend notamment : la planète naine Haumea, deux transneptuniens parmi les plus gros (Orcus et Quaoar), et les deux plus grands Centaures connus à ce jour (Chiron et Chariklo). Les données acquises permettent de mesurer avec une précision inégalée et dans un domaine spectral jamais encore observé leur taille, leur pouvoir de réflexion de la lumière solaire (albédo) et leurs propriétés thermophysiques.
Elle a un diamètre de 1070±38 km et une densité d’environ 2,2 g/cm3. Quaoar évolue lentement dans le ciel ; elle a été observée deux fois à une semaine d’intervalle. Cette image est donc la combinaison des deux observations (première image moins la deuxième : Quaoar apparaît en positif et en négatif, une technique qui permet de corriger le fond ciel autour de l’objet).
Crédits : ESA / SPIRE / Observatoire de Paris / LESIA
Quaoar, découvert en 2002, est un objet de la population classique des transneptuniens. Il a un petit satellite, Weywot. Les observations de Herschel, combinées à celles du télescope Spitzer de la NASA, ont permis une mesure plus précise de leur taille : Quaoar affiche un diamètre de 1070±38 km et son satellite, un diamètre beaucoup plus petit de 81±11 km. Une densité d’environ 2,2 g/cm3 (comparable à celle de Pluton) en a été déduite, invalidant une estimation antérieure très élevée à 4,2 g/cm3. Elle indique la présence d’abondantes quantités de matériaux rocheux alors que la surface est riche en glace d’eau.
Orcus de son coté est un objet de type « plutino » : le demi-grand axe de son orbite autour du Soleil est le même que celui de la planète naine Pluton. Il est aussi doté d’un satellite, Vanth. Les données de Herschel ont permis de déduire la taille d’Orcus : 917±17 km, et de Vanth : 276±17 km. L’albédo avoisine 23% et la densité 1,53±0,15 g/cm3. Cette dernière indique la présence d’une forte abondance de glace d’eau à l’intérieur d’Orcus.
Pour la planète naine Haumea, il a été confirmé qu’elle possédait une taille comprise entre 1180 et 1308 km et une forte valeur d’albédo : 80%.
Un résultat marquant obtenu lors de ce programme est que ces petits corps apparaissent de plus en plus « froids » aux grandes longueurs d’onde. Ceci s’interprète par le fait que ces radiations proviennent du sous-sol, et non de la surface elle-même. Les matériaux enfouis en profondeur reçoivent moins de rayonnement solaire pour les chauffer. Et le regard particulier du télescope Herschel donne accès à de nouvelles régions d’ordinaire inobservables en lumière visible classique.
Depuis un peu plus de vingt ans, la découverte et la caractérisation d’une vaste population d’objets glacés qui évoluent dans les régions externes du Système solaire constituent un domaine à la pointe de la recherche en planétologie. Herschel apporte sa pierre à l’édifice. Il l’éclaire d’un jour nouveau, infrarouge et froid.
[1] Sous l’intitulé "TNOs are Cool : a survey of the Transneptunian region", ce programme de Herschel a consacré 370 heures à l’observation de 130 objets au total.
[2] Les instruments PACS et SPIRE ont fourni chacun des mesures de flux dans le submillimétrique, à trois longueurs d’onde dans le domaine 70 - 500 micron, de ces objets célestes froids, dont la température de surface est d’environ 40 K (-233 C). Tous les objets ont été observés avec PACS à 70, 100, et 160 micron, et seuls, les plus brillants, avec SPIRE à de plus grandes longueurs d’ondes (250, 350, et 500 micron).