lundi 5 décembre 2022
Le Système solaire abrite plusieurs populations de petits corps : les astéroïdes, les comètes et les objets transneptuniens. L’étude de la nature physique, la distribution, la formation et l’évolution des petits corps du Système solaire est fondamentale si l’on souhaite comprendre comment les planètes se sont formées et, en définitive, comment la vie est apparue sur Terre. En tant que témoins primitifs restés intacts, pour une grande partie d’entre eux, depuis la formation du Système solaire, ils nous donnent des informations sur le mélange chimique à partir duquel les planètes se sont formées, il y a 4.6 milliards d’années, et nous permettent d’appréhender l’origine du Système solaire.
Les astéroïdes sont de petits corps rocheux dont la majeure partie se situe dans la Ceinture Principale, entre 2,1 et 3,4 UA du Soleil. Un certain nombre évolue sur les orbites de Mars et Jupiter, comme par exemple les Troyens, aux points de Lagrange de Jupiter. D’autres ont une orbite plus elliptique et peuvent s’approcher très près de la Terre : ce sont les géocroiseurs (ou NEO, pour Near Earth Objects). Ces objets sont étudiés au LESIA par le biais de la photométrie et de la spectroscopie dans le domaine visible et infrarouge afin d’en déduire leur composition, leur période et axe de rotation, leurs forme et densité, et les propriétés de leur surface. Les plus grands télescopes au sol et en orbite terrestre sont utilisés à cette fin.
Crédits : NASA/Goddard/University of Arizona
La caractérisation spectrale des jeunes familles dynamiques, ensembles d’objets qui résultent de la fragmentation récente d’un corps parent, permet d’étudier les phénomènes d’altération de surface (space weathering) dus à l’irradiation par les particules du vent solaire et les rayons cosmiques, la structure interne et la composition des corps parents. Des expériences d’irradiation effectuées en laboratoire apportent de précieuses informations sur ces processus d’altération. Une thématique particulièrement développée au LESIA est l’étude de l’altération aqueuse des astéroïdes qui permet de comprendre la distribution de l’eau dans le Système solaire primitif, et l’évolution chimique des astéroïdes en présence d’eau liquide. Un résultat important a été la première détection de vapeur d’eau autour d’un astéroïde (Cérès, le plus gros des astéroïdes, qualifié de planète naine) avec le satellite Herschel. La mission DAWN a, par la suite, détecté la glace d’eau à la surface de Cérès, ainsi que des brumes de poussières libérées par la sublimation de l’eau.
L’étude des astéroïdes géocroiseurs permet de déterminer leur région d’origine et leur évolution dynamique dans le Système solaire. Depuis 2012, le LESIA est impliqué dans les projets européens NEOshield, NEOshield 2 et maintenant NEOROCKS, des projets visant à déterminer la meilleure technique pour protéger la Terre contre les impacts des géocroiseurs, et à caractériser les propriétés physiques de ces objets, notamment ceux de petite taille. Plusieurs concepts de missions spatiales vers un astéroïde géocroiseur ont été développés par le LESIA, dont la mission de retour d’échantillons MarcoPolo-R, finalement non retenue pour le programme Cosmic Vision 2 de l’agence spatiale européenne (ESA). Les missions Hayabusa2 (JAXA) et OSIRIS-REx (NASA), lancées respectivement en 2014 et 2016, sont deux missions de retour d’échantillons d’astéroïdes primitifs auxquelles le LESIA a participé activement notamment concernant la sélection des sites de prélèvement, par leur caractérisation spectrale et physico-chimique.
Les comètes se sont formées dans les régions extérieures du Système solaire et ont pu piéger les éléments volatils sous forme de glaces. Les observations des molécules composant les atmosphères cométaires permettent d’aborder les problèmes de l’origine des comètes, de la composition de leurs noyaux, des phénomènes de sublimation de leurs glaces, de la formation et du développement de leurs atmosphères. Le LESIA est particulièrement impliqué dans les observations spectroscopiques de ces molécules en radio et dans l’infrarouge. Il a une expertise de longue date dans la modélisation des processus physico-chimiques dans les atmosphères cométaires.
Un suivi systématique de la production de gaz de toute comète brillante est assuré par l’observation des raies à 18 cm du radical OH avec le radiotélescope de Nançay. Les observations d’environ 150 comètes sont accessibles dans une base de données. La composition chimique et isotopique des comètes est étudiée par spectroscopie millimétrique et submillimétrique, principalement à l’Institut de Radioastronomie Millimétrique (IRAM), avec l’Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array (ALMA) et avec les satellites Herschel et Odin. Ces observations sont complétées par des observations infrarouges. La distribution spatiale des molécules et des poussières dans les régions internes des atmosphères cométaires est cartographiée par des observations utilisant les interféromètres NOEMA (Plateau de Bure) et ALMA, ce qui permet de localiser les sources de gaz à la surface du noyau et de mesurer ses propriétés rotationnelles.
Ces études mettent en évidence une grande diversité de composition des comètes. Aucune différence significative n’a été établie entre les comètes à longue période, provenant du nuage de Oort, et celles à courte période (dites de la famille de Jupiter) provenant de la ceinture de Kuiper. Des molécules organiques complexes ont été identifiées, les plus récentes découvertes étant le glycolaldéhyde (le plus simple des sucres) et l’alcool éthylique dans la comète C/2012Q2 (Lovejoy).
Le LESIA a été fortement impliqué dans la mission cométaire de l’ESA, Rosetta. Lancée le 2 mars 2004, la mission a fait un long périple de 10 ans dans le Système solaire interne, survolant les astéroïdes (2867) Steins (septembre 2008) et (21) Lutetia (juillet 2010), avant de se mettre en orbite autour de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko en juillet 2014. Pour la première fois dans l’histoire de l’exploration spatiale, Rosetta a posé un atterrisseur, Philae, sur un noyau cométaire. Rosetta a suivi sa cible pendant plus de 2 ans permettant ainsi d’étudier le noyau, l’activité cométaire et leur évolution au cours du temps. Le LESIA a réalisé la voie à haute résolution spectrale du spectro-imageur visible et infrarouge VIRTIS, et a fortement contribué à l’analyse des données de deux autres instruments : le système d’imagerie OSIRIS et l’instrument micro-onde MIRO.
Crédit : Fornasier et al., 2017, MNRAS 467, S93
Les données ont montré que le noyau de la comète est un objet binaire, sombre et poreux avec une grande variété de structures géologiques. La composition du noyau indique la présence de matériaux organiques. La glace est rare à la surface, et présente surtout dans les éboulements de falaises. Des variations diurnes et saisonnières de la couleur de la surface ont été observées, résultant respectivement de la formation de dépôts de givre pendant la nuit et d’un enrichissement superficiel en glace d’eau au périhélie. Pour la première fois, de la glace de dioxyde de carbone a été mise en évidence sur la surface d’un noyau cométaire. Les observations de la coma ont montré que l’activité globale de la comète a varié de plus d’un facteur 1000 lorsqu’elle est passée à proximité du Soleil ; des variations saisonnières des abondances relatives des molécules ont été mises en évidence, qui sont liées à leur différente volatilité. Un résumé des principaux résultats de la sonde Rosetta est accessible en ligne.
Les objets transneptuniens (TNO, ou objets de Kuiper) sont des petits corps en orbite autour du Soleil au-delà de Neptune. Pluton, aussi classifiée planète naine, est l’un d’entre eux, et il est de loin le plus brillant à cause de sa taille (2380 km), de son albédo élevé, et du fait qu’il est le plus proche du Soleil parmi les gros objets transneptuniens. En incluant les Centaures, plus proches mais dynamiquement apparentés, plus de 3000 de ces objets ont été détectés à ce jour. Avec les comètes du nuage de Oort, ce sont probablement les corps les plus primitifs du Système solaire car ils contiennent le matériau thermiquement le moins perturbé. Les études menées au LESIA sont très diverses et complémentaires. Elles visent à caractériser la densité et l’extension radiale de la ceinture de Kuiper, la taille et la composition de ces objets, leurs propriétés thermiques, ainsi que l’évolution de leur surface et de leur structure interne depuis leur formation.
Crédit : Myriam Rengel & « TNOs are cool » team
Pour l’étude de ces objets peu lumineux, les planétologues du LESIA utilisent les très grands télescopes, notamment le VLT de l’ESO et l’observatoire spatial Herschel de l’ESA, fonctionnant respectivement dans les domaines visible/infrarouge et submillimétrique. Une première taxonomie des objets a pu être établie sur la base des mesures de photométrie à différentes longueurs d’onde. La spectroscopie a permis de mettre en évidence les signatures de glaces d’eau cristalline, de méthane, de méthanol, d’ammoniac hydraté et d’azote. L’observation en ondes millimétriques et submillimétriques permet de mesurer la taille et l’albédo des objets, et de caractériser leurs propriétés thermophysiques fonctionnant dans le domaine infrarouge et submillimétrique.
L’observation d’un échantillon d’environ 130 objets transneptuniens avec Herschel dans le cadre du programme "TNOs are Cool" a montré une grande diversité d’albédos, et une corrélation couleur-albédo qui suggère que l’origine des couleurs est liée à la région de formation des objets.
Depuis des années, le LESIA explore le monde des objets transneptuniens via des occultations stellaires, c’est-à-dire le passage d’une étoile derrière l’un d’entre eux. Cette technique permet de mesurer avec une précision kilométrique la taille des objets les plus gros, et de rechercher des atmosphères ténues autour de ces objets. En particulier, l’atmosphère de Pluton et son évolution saisonnière a été caractérisée avec grande précision, mettant en lumière une expansion spectaculaire depuis 1988, et la présence d’ondes de gravité atmosphériques. Une occultation observée en 2013 a permis la découverte de deux anneaux étroits (quelques km), denses et fortement confinés, autour du Centaure Chariklo (diamètre 240 km). Cette découverte est surprenante car seules les planètes géantes étaient jusqu’alors connues pour avoir des anneaux.