mercredi 28 juin 2023
Le Soleil connaît des périodes de forte activité, avec entre autres des émissions de particules électriquement chargées qui ionisent l’atmosphère de la Terre et constituent une dose de radiations pour le personnel navigant des compagnies aériennes. Une équipe du LESIA a étudié les 23 événements forts survenus entre 1971 et 2012. Un article vient d’être publié dans la revue en ligne Journal of Space Weather and Space Climate. Il établit un profil temporel typique qui soulève des questions sur sa relation avec l’activité solaire et pourrait offrir des possibilités de prévision pour la météorologie de l’espace.
La Terre est en permanence bombardée par le rayonnement cosmique. Il est constitué de protons et de noyaux atomiques qui sont accélérés lors d’évènements cataclysmiques comme les supernovae ou dans les noyaux actifs de galaxies. En de très rares occasions - moins d’une fois par an en moyenne - une éruption solaire conduit à un flux temporairement accru de particules qui se propagent à une vitesse proche de celle de la lumière. Elles sont qualifiées de relativistes. On parle alors d’un évènement solaire à particules relativistes. Ce sont des cas extrêmes d’accélération de particules dans la couronne solaire.
Nous surveillons le rayonnement cosmique avec des détecteurs de particules au sol, appelés moniteurs à neutrons. Ils mesurent surtout les neutrons résultant de réactions nucléaires lorsque le rayon cosmique primaire interagit avec l’atmosphère de la Terre. Deux moniteurs à neutrons sont hébergés par l’Institut polaire français (IPEV) aux Iles Kerguelen et en Terre Adélie. L’Observatoire de Paris-PSL (service 3Soleil/CERCLe) en a la responsabilité scientifique et prend en charge l’exploitation et la diffusion de leurs données. Ces deux instruments font partie d’un réseau international d’une cinquantaine de moniteurs.
La surveillance du rayonnement cosmique tente de répondre à une question astrophysique : comment des particules électriquement chargées, comme les protons, sont-elles accélérées à des vitesses et énergies élevées ? Une autre problématique relève de la météorologie de l’espace : les réactions nucléaires qui se produisent dans l’atmosphère de la Terre créent des radiations ionisantes auxquelles est exposé le personnel navigant de l’aviation civile. Ces doses de radiations doivent être surveillées. C’est une activité menée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans le cadre du projet SIEVERT.
Le service 3Soleil/CERCLe y contribue par la fourniture de données, d’outils logiciels et d’expertise. Un service de surveillance en temps réel a, d’autre part, été mis en place par l’organisation internationale de l’aviation civile (OACI) en 2019. La société CLS à Toulouse assure la partie « radiations » pour la contribution française. Pour ce faire, elle utilise les outils et données du service 3Soleil/CERCLe pour évaluer les doses dues aux éruptions solaires. En cas d’évènement significatif, une alerte est émise.
L’alerte pour la météorologie de l’espace repose sur la détection automatisée d’un évènement à partir des données fournies par nos moniteurs à neutrons et la base de données internationale NMDB (Neutron Monitor Data Base), qui comprend la plupart des moniteurs à neutrons au niveau mondial. On ne sait pas dire actuellement combien de temps une alerte donnée sera valable.
Événement solaire a particules relativistes observé le 24 octobre 1989 par les moniteurs à neutrons.
Crédit : Ludwig Klein
Événement solaire à particules relativistes observé le 15 avril 2001 par les moniteurs à neutrons.
Crédit : Ludwig Klein
La figure ci-dessus montre les profils temporels de deux évènements observés en 1989 et 2001. Comme on peut le constater, les deux profils se ressemblent et présentent une montée relativement rapide du signal, suivie d’une décroissance lente. Ce profil reflète le fait que des particules qui sont relâchées par le Soleil lors d’un évènement éruptif, se frayent un chemin dans le milieu interplanétaire puis arrivent jusqu’à la Terre où elles sont alors détectées. Au bout de quelque temps la source solaire se tarit et de moins en moins de particules parviennent jusqu’à nous.
Quand on regarde l’échelle de temps des deux figures, on voit que l’évènement de 1989 dure bien plus longtemps que celui de 2001. Ce n’est pas surprenant car les temps de montée et de décroissance dépendent de l’éruption solaire et de l’état du milieu interplanétaire. Ces deux données n’ont donc aucune raison d’être les mêmes lors de deux évènements singuliers et éloignés dans le temps. Mais malgré la différence des durées, les profils sont similaires.
Avec Sophie Musset, chercheuse à l’ESA (Pays-Bas), nous avons conduit une étude systématique des temps de montée et de décroissance des évènements solaires observés depuis 1970. Cette étude montre effectivement que le temps de décroissance augmente proportionnellement à la durée de la montée. À partir de ce constat, qui confirme des publications antérieures, nous avons conclu qu’il doit y avoir un profil temporel type quand on normalise le profil temporel par le temps de montée. Ce nouveau temps normalisé est égal à zéro au début d’un évènement et atteint 1 à son maximum. En normalisant tous les évènements par leur maximum, nous aboutissons à un profil médian d’un évènement solaire type.
Profils normalisés des 23 évènements solaires à particules relativistes analysés.
Crédit : Ludwig Klein
L’ensemble des profils analysés est montré dans la figure de gauche ci-dessus, et le profil médian dans la figure de droite, avec en rouge une fonction mathématique assez simple qui représente bien la partie décroissante du profil. La figure de gauche nous a interpellés : d’une part on voit bien que presque tous les évènements sont confondus autour d’un profil moyen. Mais un des évènements, survenu le 14 juillet 2000, est clairement au-dessus du profil médian. Que peut-on en conclure ? Soit les écarts des profils individuels peuvent être si forts que le profil médian n’a pas de sens physique ou bien, dans cet évènement-là, il y avait une source supplémentaire de particules, qui ne viendraient donc pas seulement du Soleil.
En 2002, une équipe scientifique de l’Université du Delaware (USA) avait publié une analyse de ce même évènement et montré une particularité. Dans la majorité des évènements solaires on voit, en effet, les particules qui viennent du Soleil et se propagent vers l’espace interplanétaire lointain. Or, dans ce cas précis, des particules ayant dépassé la Terre sont revenues, réfléchies par un obstacle situé au-delà de l’orbite de la Terre. Il s’agissait d’une éjection de masse qui était passée, la veille, à proximité de notre planète. Une telle réflexion arrive de temps en temps, mais lors de cet évènement le nombre de particules réfléchies était particulièrement important.
En comparant nos résultats avec les leurs, nous avons vu que l’excès constaté au-dessus du profil médian commençait bien au moment précis où les particules réfléchies par l’éjection de masse arrivaient, conformément aux prédictions de l’analyse de l’équipe américaine. De plus l’excès au-dessus du profil médian était bien compatible avec leurs estimations de la fraction de particules réfléchies. Il y avait donc bien une source inhabituelle de particules, à savoir un « rebond » sur cet obstacle. L’écart au profil médian qui nous intrigue dans la figure de gauche ci-dessus n’est donc pas un argument qui viendrait invalider le sens physique de ce dernier. C’est au contraire une confirmation que ce profil médian caractérise bien le flux de particules en provenance du Soleil. Il pourra sans doute servir de diagnostic indépendant pour détecter la réflexion des particules sur une éjection de masse solaire située au-delà de la Terre.
Ce résultat a une application potentielle pour la météorologie de l’espace : le profil médian peut être appliqué à l’observation d’un évènement en cours. Dès que le taux de comptage des moniteurs à neutrons aura dépassé son maximum, nous pourrons donc prédire son profil de décroissance et estimer combien de temps il va encore durer. Le profil médian, adapté à l’événement en cours, nous permettra d’estimer la durée pendant laquelle les doses de radiations ionisantes seront élevées. C’est une information précieuse pour le planning des vols en cas d’évènement exceptionnellement fort.
L’utilité du profil médian d’un événement solaire à particules relativistes devra être validée par un service opérationnel, en simulant des événements réels ou en rejouant des événements historiques. L’autre question, de nature astrophysique celle-là, est d’expliquer la relation relativement étroite entre les temps de montée et de décroissance des flux de ces particules solaires.
Nous avons trouvé des indications qui tendraient à démontrer que ces temps ont un lien avec les paramètres de l’activité éruptive du Soleil. Mais entre le Soleil et la Terre, le milieu interplanétaire modifie les profils temporels. Pour mieux comprendre comment, nous disposons actuellement des sondes spatiales Parker Solar Probe (NASA) et Solar Orbiter (ESA/NASA) qui étudient ces processus près du Soleil. Leurs résultats devraient nous aider à mieux comprendre les processus de transport de particules dans le milieu interplanétaire. Mais ces sondes ne peuvent mesurer les particules de très hautes énergies que voient les moniteurs à neutrons. Ces instruments terrestres, complémentaires aux missions spatiales, restent donc l’équipement clef pour la mesure et l’étude des particules solaires les plus énergétiques.
ces trois articles sont à découvrir sur le site du LESIA.