Comment découvrir les taches solaires et les protubérances
vendredi 26 juin 2009, par Régis Le Cocguen
Observer le Soleil est une activité de loisir passionnante. Son aspect change de jour en jour selon son activité magnétique. Une simple petite lunette permet déjà de suivre le développement des taches solaires et avec un petit instrument spécialisé, on peut observer les magnifiques protubérances sur le limbe du disque, comme Bernard Lyot après avoir inventé le coronographe. Les progrès de l’imagerie numérique rendent aujourd’hui accessible la prise de clichés réservée naguère aux observatoires les mieux équipés.
Pour observer des détails sur le Soleil, il faut utiliser un instrument. Il en existe deux types, Le télescope réfracteur (ou lunette astronomique) et le télescope réflecteur..
L’instrument est toujours composé d’un objectif, caractérisé par son diamètre, qui fait converger la lumière en un point appelé foyer. Ce foyer définit le plan-image. La distance entre l’objectif et le plan-image est la distance focale. De par les lois de la diffraction, la résolution d’un télescope dépend du diamètre de son objectif et de sa focale. A focale constante, plus le diamètre de l’objectif est grand, plus l’instrument peut résoudre de fins détails. Un objectif de 12 cm peut résoudre en théorie un détail de une seconde d’arc.
Le Soleil mesure 32 minutes de diamètre en moyenne. Une seconde d’arc représente 720 km sur le Soleil. C’est la taille d’un granule.
La lunette astronomique utilise les lois de la réfraction. La lumière doit traverser un objectif composé de deux ou trois lentilles. Cet objectif doit être achromatique, c’est à dire que les différentes longueurs d’onde convergent dans le même plan image. Dans la pratique, une lunette n’est jamais parfaitement achromatique mais l’aberration est négligeable dans les petits diamètres.
Le télescope est basé sur l’utilisation de miroirs.
Pour les petites dimensions, jusqu’à 10cm, on préfèrera toujours la lunette dépourvue d’obstruction centrale. L’usage d’un télescope est intéressant à partir de 15 cm.
L’oculaire du télescope est une petite loupe composée de plusieurs lentilles. Sa focale détermine le grossissement de l’instrument. Si F est la focale de l’objectif et f celle de l’oculaire, le grossissement est F/f.
Entre le Soleil et nous, il y a notre atmosphère. Les différentes circulations atmosphériques provoquent un incessant bouillonnement des images, c’est la turbulence. Les effets peuvent être dévastateurs dans certains cas. On se rend compte de ces effets en regardant une route goudronnée un jour d’été. On voit la route qui semble danser. Un effet analogue trouble les images télescopiques. Une image subit des mouvements dans les trois dimensions. Elle se déplace de haut en bas, de droite à gauche et semble devenir plus ou moins floue. Si on réduit de plus en plus le diamètre de l’objectif, on constate qu’en deçà d‘une limite inférieure, l’image est parfaitement stable. Cette limite s’appelle le paramètre de Fried. Ce paramètre vaut environ 3 cm sur les pelouses de Meudon, 7 cm en haut de la tour solaire et 20 cm dans les meilleurs sites comme le Pic du Midi. Dans la pratique, on peut utiliser un instrument dont le diamètre n’excède pas trois fois ce paramètre. Au delà de cette valeur, l’image sera fortement dégradée. Cette notion est très importante car elle va définir l’instrumentation d’un observatoire solaire.
Dans les établissements professionnels on utilise généralement des lunettes de 13cm pour la surveillance du Soleil entier. Ce diamètre permet de résoudre la seconde de degré qui est considéré comme une limite dans un site de plaine. La plus grande lunette solaire sur le sol français est celle de 50cm du Pic du Midi. C’est avec cet instrument qu’ont été réalisées les premières images à haute définition de la granulation photosphérique. Le plus grand instrument actuel est la tour suédoise sur l’île de La Palma aux Canaries, avec un diamètre de un mètre.
Observer le Soleil présente un danger si on ne respecte pas des règles de sécurité strictes. Le flux intense de la lumière solaire dans le visible mais surtout dans l’infrarouge risque de provoquer des lésions oculaires irréversibles. Notre rétine est insensible à la douleur, mais elle est très fragile. Une brûlure rétinienne est indolore, mais irréversible. Il faut donc filtrer la lumière à l’entrée de l’instrument, ou bien projeter l’image du Soleil sur un écran. Pour observer une éclipse partielle, on utilisera des lunettes agréées, ou un écran à verre de soudure de grade 14 qui ne laisse passer que 1/100000ème de la lumière. Ces filtres doivent être parfaitement opaques aux IR et aux UV.
La photosphère est une couche de l’atmosphère du Soleil épaisse d’environ 300km. C’est elle qui nous envoie la lumière blanche naturelle. On y observe les taches et la granulation. La méthode la plus simple pour observer les taches solaires consiste à projeter l’image du Soleil sur un écran blanc.
Petit appareil simple et peu onéreux permettant de montrer les taches solaires par projection. Crédit Société Solarscope
Pour un examen rapide en groupe ou au sein d’une classe, on utilisera un appareil très simple appelé "Solarscope". Cet appareil, commercialisé dans les magasins spécialisés pour environ 60 €, donne une image correcte mais ne permet pas de faire des mesures précises. Pour faire une observation plus fine, il faut équiper une lunette astronomique d’un dispositif de projection. Il est fortement déconseillé d’utiliser un télescope à miroir. Le miroir primaire étant très ouvert, la lumière est fortement concentrée au niveau du miroir secondaire et le risque d’échauffement des pièces mécaniques est grand. On pourrait placer un diaphragme de quelques centimètres pour limiter cet échauffement. On choisira donc de préférence une lunette ayant une ouverture comprise entre 10 et 15. Une lunette de 6 cm de diamètre est suffisante pour ce travail car on ne recherche pas une grande résolution angulaire. On équipe la lunette d’un oculaire et on projette l’image sur un écran placé dans l’axe de la lunette. Il est important de placer en amont un écran percé qui laisse passer le faisceau, mais crée une ombre sur l’écran de projection. En réglant la distance entre l’oculaire et l’écran, on fait varier le diamètre apparent du Soleil. En donnant à celui-ci un diamètre de 140mm, on établit un rapport d’échelle de 1/1010 soit 1mm = 10000 km. Si la lunette est montée en équatorial, on coupe la motorisation pendant quelques minutes pour repérer sur l’écran le sens du défilement de l’image que l’on note au crayon. Cette indication est précieuse car elle permettra ensuite de superposer au dessin une grille indiquant les coordonnées solaires des taches. L’orientation du Soleil variant au cours de l’année, il faut donc rechercher la grille qui correspond au jour de l’observation. Ces grilles sont disponibles sur http://bass2000.obspm.fr. De nombreux observatoires professionnels observent chaque jour le soleil par projection sur un écran. Un observateur est chargé de dessiner les taches au crayon.
L’observation visuelle derrière un oculaire nécessite de filtrer considérablement la lumière solaire. Il existe plusieurs moyens que nous allons passer en revue.
L’hélioscope : C’est un dispositif très ancien qui était très employé au dix-neuvième siècle par les astronomes. L’hélioscope de Herschel est un renvoi coudé atténuateur. La lumière est réfléchie sur une lame prismatique à hauteur de 4% du flux. Les 96% sont rejetés hors du dispositif. Il faut encore atténuer le flux par un filtre que l’on place sur l’oculaire. Le filtre ne risque pas d’éclater contrairement aux petits filtres SUN que l’on trouve avec les appareils basiques du commerce et dont il faut impérativement bannir l’utilisation. Il existe aussi des dispositifs à double réflexion vitreuse dont l’hélioscope de Colzi qui n’est plus fabriqué de nos jours. L’hélioscope présente l’avantage d’être placé près du plan-image. La planéité de la face réfléchissante n’ayant pas besoin d’être parfaite. Son inconvénient majeur étant l’échauffement du tube de la lunette car la totalité du flux pénètre à l’intérieur. Cela risque de provoquer une très forte turbulence instrumentale.
Filtres en verre traité. Ils ne laissent passer que 0.001% de la lumière. Crédit Thousand Oaks Ltd.
Le filtre à pleine ouverture : On place devant l’objectif de la lunette ou du télescope un filtre qui possède le même diamètre que l’instrument et ne laisse passer que 1/100000 de la lumière. Ce filtre peut être en verre chromé ou en mylar. Les filtres en verre donnent une image jaune. Il sont parfaitement sécurisés mais leur qualité optique laisse à désirer. La lame de verre n’est pas polie optiquement ce qui a pour effet de dégrader considérablement la résolution de l’image. Ils sont intéressants pour les petits instruments. La firme Baader-planétarium, en Allemagne, produit une feuille de mylar baptisée Astrosolar qui est très fine et filtre parfaitement la lumière solaire sans dégrader l’image. On peut confectionner un filtre en plaçant un disque d’Astrosolar en sandwich entre deux rondelles de carton fort. Ces filtres sont optiquement parfaits, mais ils sont fragiles et fortement déconseillés pour une utilisation scolaire.
Pour l’observation visuelle, on prendra une lunette de 6 à 10 cm de diamètre. Pour utiliser un instrument plus grand, il faut bénéficier d’un site de très bonne qualité. Inutile de grossir beaucoup, une centaine de fois est amplement suffisant. En lumière blanche, on peut parfaitement observer de nombreux détails dans la pénombre des taches, les facules brillantes au bord du disque et même deviner la granulation. Pour améliorer le contraste de l’image, il est fortement conseillé d’utiliser un filtre coloré. C’est dans le vert, vers 520 nm que le contraste est le plus accusé. Un filtre interférentiel à 10 nm de bande passante est préférable, mais un simple verre teinté suffit. Le filtre permet de supprimer les inévitables défauts de chromatisme de l’objectif. Un instrument plus important de 15 à 20 cm de diamètre permet de réellement résoudre la granulation. Pour ce faire, il faut de bonnes conditions et les granules ne sont visibles que pendant de courts instants. Une telle observation n’est possible que quelques jours par an, de préférence par de belles matinées de printemps. Les journées anticycloniques d’hivers sont toujours très agitées, et l’été, la chaleur produit une forte turbulence dès le début de la matinée. Observer le Soleil est une école de patience.
Photographier la photosphère
Réaliser un bon cliché solaire est à la portée de tout astronome amateur patient et méticuleux. C’est Jules Janssen qui a établi les bases de la photo solaire en donnant les critères à respecter. Ces critères sont toujours les mêmes depuis 1880.
L’optique de la lunette ou du télescope doit être précise car on cherche toujours à atteindre la résolution théorique de l’objectif. En réduisant le temps de pose, on arrive à figer la turbulence atmosphérique.
Les meilleures images de la granulation sont prises dans une bande moléculaire à 430.5nm. Selon le capteur dont on dispose, on choisira un filtre bleu ou vert.
Comme pour l’observation visuelle, il faut réduire le flux, mais en imagerie, l’atténuation est dix fois plus faible que pour le visuel pour réduire les temps de pose. On choisira donc un filtre pleine ouverture de densité 4 (1/10000). Il existe un Astrosolar de densité 3.8 qui est remarquable pour l’imagerie. Les dispositifs de type hélioscope sont beaucoup moins adaptés à la photo.
Appareil photo numérique : Les appareils photo numériques de type réflexe sont très intéressants pour l’imagerie du Soleil entier. Avec une lunette de 1.5m de focale, on a la totalité du disque sur le capteur. Malheureusement, la matrice de Bayer a un rendu très inégal selon la couleur. La qualité est nettement inférieure dans le bleu et le rouge que dans le vert (2 pixels verts pour 1 bleu et 1 rouge). Il est fortement conseillé d’utiliser un filtre vert. A Meudon, nous avons essayé de prendre des clichés de taches à haute résolution avec un appareil Nikon D100. Les résultats ont toujours été décevants.
La jonction d’un appareil photo au télescope ne pose aucun problème particulier. On trouve, dans le commerce, des adaptateurs qui permettent de mettre le boîtier au foyer ou bien d’augmenter la focale par une lentille divergente ou par projection oculaire. Ces raccords sont munis de filetages pour les filtres colorés.
Webcam : Le capteur CCD d’une webcam est comparable à celui d’un appareil numérique. Il est possible de faire un film en AVI puis de traiter ce film par un logiciel, comme Registax (logiciel gratuit) par exemple, qui prend chaque image individuellement, les recentre et les additionne. Le résultat n’est pas réellement satisfaisant. Il est souvent préférable de faire une rafale d’image et de sélectionner la meilleure.
Exemple d’image réalisée avec une lunette d’amateur et une petite caméra noir et blanc. Crédit LESIA, Régis Le Cocguen.
Caméra noir et blanc : Depuis quelques années, des caméras noir et blanc sont disponibles dans les magasins spécialisés. Ces caméras sont équipées de capteurs cmos. Elles ont une bonne dynamique (8 ou 10 bit) et sont idéales pour l’imagerie de la photosphère. Il est vivement conseillé d’utiliser un filtre interférentiel et de réaliser des rafales de 10 à 20 images. Un filtre centré sur la bande moléculaire à 430.5nm permet d’avoir le plus haut contraste au niveau de la photosphère. Les poses sont de quelques millièmes de seconde ce qui a pour effet de figer les déplacements dus à la turbulence. En faisant une rafale, on a une série d’images plus ou moins nettes à cause des effets de la turbulence. On peut alors choisir la plus nette de la série. Pour ce type d’imagerie, il faut un collecteur adapté au site. Si la turbulence moyenne est faible, on pourra utiliser un petit télescope de 15 à 20 cm et résoudre régulièrement la granulation sur les clichés. Obtenir une très belle image, comme on en voit dans certains magazines d’astronomie, demande une longue expérience et de nombreuses heures d’observation. Les bonnes conditions sont rarement réunies.
Pour atteindre la résolution de l’instrument, il faut calculer l’échantillonnage sur le capteur selon le théorème de Shannon qui dit que la valeur angulaire du pouvoir séparateur de l’objectif doit couvrir deux pixels. Si on utilise un objectif de 12cm, le pouvoir séparateur est de 1 seconde de degré. Pour une caméra dont les pixels mesurent 6µm de côté, l’échantillonnage est donc de 0.5 seconde par pixel, valeur que l’on obtient avec une focale résultante de 2.4m.