samedi 4 février 2012, par Eric Gendron
Cette image représente la façon
dont les masses d’air chaud et
d’air froid se mĂ©langent de façon
turbulente dans l’atmosphère, et
perturbent la lumière. Les zones
claires traduisent un air plus ch-
aud et donc une avance de phase,
les zones noires un air plus froid
et donc un retard de l’onde lumineuse.
L’optique adaptative est un remède Ă un mal que connaissent tous les astronomes. Aussi, avant de dĂ©crire le remède doit-on expliquer le mal dont il est question.
Video : Image d’une Ă©toile
vue à travers un télescope,
brouillée à cause des effets
de la turbulence atmosphérique
Tous les tĂ©lescopes au sol observent Ă travers l’atmosphère terrestre. Celle-ci est le lieu de mouvements turbulents de masses d’air Ă diffĂ©rentes tempĂ©ratures. Ces diffĂ©rences de tempĂ©rature engendrent des diffĂ©rences dans l’indice optique du milieu traversĂ©, et s’en suivent des perturbations dans la propagation lumineuse : l’onde, initialement plane avant de pĂ©nĂ©trer dans l’atmosphère terrestre, parvient au sol sur l’ouverture du tĂ©lescope avec des avances et des retards de chemin optique alĂ©atoires entre deux rayons voisins. Le front d’onde est dĂ©formĂ©, ce qui conduit Ă une dĂ©gradation de l’image de l’objet.
Le principe de l’optique adaptative est de faire rĂ©flĂ©chir cette onde dĂ©formĂ©e sur un miroir dont la surface serait elle aussi dĂ©formĂ©e de façon Ă rajouter des avances et retards de chemin optique opposĂ©s Ă ceux que l’atmosphère terrestre a introduits. De cette façon, on restore sa planĂ©itĂ© initiale et on redonne aux images leur qualitĂ©, qui n’est alors limitĂ©e que par la limite physique fondamentale imposĂ©e par la taille de l’ouverture de l’instrument : la limite de diffraction.
L’optique adaptative permet de corriger en temps rĂ©el les dĂ©formations que le front d’onde lumineux a subi en traversant l’atmosphère terrestre. Cette correction se fait Ă l’aide d’un Ă©lĂ©ment optique actif : un miroir dĂ©formable, dont la surface peut ĂŞtre dĂ©formĂ©e Ă volontĂ© de quelques micromètres, et sur lequel l’onde se rĂ©flĂ©chit. Après rĂ©flexion, et si la forme du miroir est appropriĂ©e, le front d’onde aura retrouvĂ© sa planĂ©itĂ©. Cette planĂ©itĂ© est mesurĂ©e par un sous-système particulier, l’analyseur de surface d’onde. Tout dĂ©faut de planĂ©itĂ© identifiĂ© est envoyĂ© Ă un calculateur, qui rĂ©agit alors sur la forme du miroir dĂ©formable, le tout dans un laps de temps de l’ordre de 0.001s, c’est Ă dire plus vite que le temps caractĂ©ristique d’Ă©volution de l’atmosphère.
Le système d’optique adaptative ne doit pas ĂŞtre confondu avec l’optique active : l’optique active est intĂ©grĂ©e au tĂ©lescope et agit sur celui-ci, son rĂ´le est de maintenir en forme grâce Ă des vĂ©rins l’Ă©lĂ©ment principal du tĂ©lescope, le miroir primaire (plusieurs tonnes). Son temps de rĂ©action est de plusieurs minutes et elle est destinĂ©e Ă corriger les dĂ©fauts du tĂ©lescope. L’optique adaptative, elle, se place après le tĂ©lescope : elle rĂ©cupère l’image distordue par la turbulence atmosphĂ©rique fournie par le tĂ©lescope, et transforme optiquement le front d’onde pour envoyer vers l’instrument scientifique une image parfaite. Elle est destinĂ©e Ă corriger les dĂ©fauts atmosphĂ©riques.
Ces diffĂ©rents liens renvoient vers des explications du fonctionnement de l’optique adaptative.
La première rĂ©fĂ©rence Ă l’optique adaptative est la publication de H. Babcock, dans les Publ. Astr. Soc. Pacific vol 65, en 1953. Il est le premier Ă avoir l’idĂ©e d’associer un système de mesure et un système correcteur de front d’onde temps rĂ©els. Il est malheureusement trop tĂ´t pour la technologie de l’Ă©poque pour aboutir Ă un système opĂ©rationnel.
Dans les annĂ©es 1970, aux Etats-Unis les programmes de dĂ©fense s’intĂ©ressent Ă l’optique adaptative afin de surveiller les satellites espions, ou pour focaliser des lasers de puissance sur des satellites Ă partir du sol. Ces projets, qui seront progressivement partiellement dĂ©classifiĂ©s dans les annĂ©es 90, contribuent Ă dĂ©velopper l’optique adaptative aux Etats-Unis. En France, c’est dans les annĂ©es 1980 que la dĂ©fense française se penche sur le problème.
En astronomie dans les annĂ©es 1980, le VLT dĂ©bute sa construction, mais il est important de prĂ©parer l’avenir : les 4 tĂ©lescopes du VLT sont faits pour ĂŞtre utilisĂ©s in fine en mode interfĂ©romĂ©trique, ce qui suppose -pour une qualitĂ© optimale- de corriger le front d’onde sur chacun d’eux.
Pierre LĂ©na donne en France et Ă l’ESO l’impulsion nĂ©cessaire pour qu’en 1986, un consortium rĂ©unissant l’ONERA, l’Observatoire de Paris, la CGE (maintenant CILAS), et l’ESO dĂ©cide de fabriquer un prototype d’optique adaptative pour un grand tĂ©lescope astronomique. Le projet s’appelle COME-ON, il est le clĂ´ne d’un système de dĂ©fense et va bĂ©nĂ©ficier des investissements et des avancĂ©es du domaine militaire.
COME-ON possède un miroir dĂ©formable Ă 19 actuateurs, et un analyseur de front d’onde Ă 5x5 sous-pupilles. Le succès de COME-ON est immĂ©diat, il permet de publier les premières images corrigĂ©es par optique adaptative d’abord en France sur le tĂ©lescope de 1m52 de l’OHP, puis sur le tĂ©lescope de 3.60m de l’ESO Ă l’Observatoire de La Silla.
On voit sur les images ci-dessus le prototype COMEON en labo Ă gauche, et installĂ© au foyer CoudĂ© du 1m52 de l’OHP (Obs. Haute Provence). Ci-contre, la salle de contrĂ´le et ses 6 claviers pour contrĂ´ler l’ensemble de l’expĂ©rience. Notez le grand rack vertical Ă gauche de l’image qui est le calculateur temps rĂ©el analogique qui calculait les centres de gravitĂ© des spots.
Ci-contre Ă gauche une photographie de l’Ă©cran de la camĂ©ra IR (cible 32x32) le 13 octobre 1989, prise en bande L (à λ=3.5µm) et la photographie de l’Ă©cran vidĂ©o du Shack-Hartmann de COME-ON au-dessus, alors Ă 5x5 sous-pupilles. Ces deux images ont Ă©tĂ© prises Ă l’Observatoire de Haute Provence.
En 1991 l’Observatoire de Paris, avec les mĂŞmes partenaires, construit Come-On-Plus : le miroir compte alors 52 actionneurs, les analyseurs ont 7x7 sous-pupilles et les rĂ©sultats sont tels que deux ans plus tard l’ESO dĂ©cide d’offrir cet instrument Ă la communautĂ© des astronomes sur le tĂ©lescope de 3.60m Ă La Silla, sous le nom d’ADONIS (site de ADONIS Ă l’ESO, non maintenu car l’instrument n’existe plus depuis 2002). Ci dessous on voit le tĂ©lescope de 3.60m de l’ESO Ă La Silla, et le banc ComeOnPlus installĂ© au foyer Cassegrain, en Mai 1992.
En 1996, le système PUEO est mis en service sur le tĂ©lescope de 3.60m du CFH. Sa conception a dĂ©butĂ© en 1991. PUEO n’est pas basĂ© sur un Shack-Hartmann, mais sur le concept d’analyseur de courbure de François Roddier (Univ. Hawaii). C’est un système comportant un miroir bimorphe, Ă 19 Ă©lectrodes. Il est construit par le CFH, le DAO (Victoria, Canada) et CILAS, il est intĂ©grĂ© et testĂ© Ă l’Observatoire de Paris (pour en savoir plus : site du CFH).
La qualité du site du CFHT et la qualité du senseur de courbure feront de PUEO un instrument exceptionnel, qui va générer un nombre de publications exceptionnel en particulier dans la science extragalactique où les sources de référence sont très faibles et légèrement étendues (noyaux de galaxies) et sont inaccessibles à ADONIS et autres systèmes à Shack-Hartmann.
De 1996 Ă 1998, l’Observatoire dĂ©veloppe RASOIR. Ce n’est pas un système d’optique adaptative entier, mais juste un analyseur de surface d’onde qui a la particularitĂ© de travailler dans l’infra-rouge (1 Ă 2.5µm). Il vient comme une extension du système ADONIS, et c’est un prototype. L’analyse de front d’onde dans l’infra-rouge est intĂ©ressante pour tous les objets sans contrepartie visible, c’est-Ă -dire les objets enfouis dans un cocon de poussière. La construction de cet analyseur est rendue possible au LESIA grâce Ă toute l’expĂ©rience acquise dans ce dĂ©partement sur les dĂ©tecteurs infra-rouges pour l’astronomie et leur intĂ©gration.
RASOIR sera surtout le prototype permettant, plus tard, de concevoir l’analyseur de surface d’onde infra-rouge de NAOS.
Titan, satellite de Saturne, observé
avec NAOS Ă 1.28µm. L’atmosph-
ère de Titan est transparente Ă
cette longueur d’onde, et laisse
apercevoir le sol. Le diamètre de
Titan est de 0.8’’.
De 1996 Ă 2001, l’Observatoire de Paris participe au système NAOS (voir liens vers sites de l’ESO, de l’ONERA et de l’Observatoire), dĂ©veloppĂ© sous la maĂ®trise d’Ĺ“uvre de l’ONERA et en collaboration avec l’Observatoire de Grenoble. NAOS Ă©quipe le foyer Nasmyth de l’un des VLT (UT4 dit Yepun), c’est un système avec un miroir dĂ©formable de type piezostack Ă 185 actionneurs, des analyseurs Ă 14x14 sous-pupilles et Ă 7x7 sous-pupilles pour les objets faibles, et de nombreux modes de fonctionnement. Il comporte un analyseur de surface d’onde travaillant dans le visible, et -nouveautĂ©- un autre travaillant dans l’IR (1 Ă 2.5 µm) dĂ©veloppĂ© grâce aux acquis de RASOIR et utile pour tous les objets qui n’ont pas de contrepartie visible. La frĂ©quence d’Ă©chantillonage de la boucle d’optique adaptative (la vitesse de rafraĂ®chissement) est de 440 Hz au maximum pour les Ă©toiles brillantes, jusqu’Ă 25 Hz pour les Ă©toiles les plus faibles. Un effort important a Ă©tĂ© effectuĂ© pour rendre ce système opĂ©rationnel pour des astronomes qui n’ont pas vocation Ă connaĂ®tre les dĂ©tails internes de l’optique adaptative. Il est egalement Ă©quipĂ© de systèmes permettant de suivre et de compenser le mouvement diffĂ©rentiel des planĂ©toĂŻdes par rapport Ă la rotation terrestre lorsqu’il est asservi sur une Ă©toile, permettant Ă©galement de compenser les effets de la dispersion atmosphĂ©rique diffĂ©rentielle, de compenser ses propres micro-flexions mĂ©caniques. NAOS dĂ©livre des images corrigĂ©es pour un instrument : CONICA, qui est un spectro-imageur infra-rouge (0.8-2.5µm). L’ESO a donnĂ© le nom de NACO Ă l’ensemble des deux instruments NAOS+CONICA.
NAOS a demandĂ© 5 ans de dĂ©veloppement. Le LESIA Ă©tait impliquĂ© Ă diffĂ©rents niveaux, essentiellement dans l’Ă©tude système, dans la responsabilitĂ© du dĂ©veloppement de l’analyseur infra-rouge, dans la responsabilitĂ© des intĂ©grations et tests, dans l’algorithmie.
NAOS est un système basĂ© sur la technologie et l’expĂ©rience directe venant de ADONIS.
Depuis les annĂ©es 70, l’astronomie a eu besoin d’installer dans ses instruments des miroirs pouvant pivoter rapidement et avec prĂ©cision sur de touts petits angles. Cette technologie est utile Ă chaque fois qu’il est nĂ©cessaire de dĂ©-pointer et re-pointer le tĂ©lescope rapidement. Avec l’optique adaptative, cette expertise s’est transformĂ©e et a Ă©voluĂ©, pour fabriquer des miroirs dits "de basculement" ou "miroirs tip-tilt" qui corrigent le mouvement de l’Ă©toile sur le capteur et permettent de stabiliser sa position.
Ces miroirs sont utilisĂ©s dans tous les systèmes d’optique adaptative, et sont prĂ©sents dans tous les systèmes de COMEON Ă SESAME, mais aussi dans d’autres systèmes internationaux. Le LESIA a rĂ©alisĂ© tellement de systèmes tip-tilt avec tant de caractĂ©ristiques diffĂ©rentes qu’une page spĂ©ciale y a Ă©tĂ© consacrĂ©e : en savoir plus.
En Juillet 2001, encore sous l’impulsion de Pierre LĂ©na et grâce Ă un rapprochement avec le labo de biophysique de l’HĂ´pital Lariboisière, l’Observatoire de Paris obtient les premières images en Europe de la rĂ©tine humaine in vivo. C’est le programme OEIL qui est alors lancĂ©.
A partir de 2002, l’Observatoire dĂ©veloppe le banc SESAME, un banc polyvalent d’Ă©tudes et de tests en optique adaptative, qui permet d’explorer de nouveaux concepts en analyse de surface d’onde, en techniques de reconstruction de front d’onde, et qui permet de tester des composants. SESAME est ouvert Ă la communautĂ© travaillant en HRA en dĂ©cembre 2005.
En parallèle du dĂ©veloppement de SESAME, l’Observatoire invente un nouveau concept auquel les laboratoires amĂ©ricains donneront le nom de MOAO en 2004. A l’Observatoire de Paris, l’instrument se nomme FALCON. Il s’agit d’une optique adaptative distribuĂ©e, fonctionnant en boucle ouverte. Au dĂ©but des annĂ©es 2000, le concept est trop nouveau pour ĂŞtre acceptĂ© en Europe. Les tests relatifs Ă FALCON seront nĂ©anmoins poursuivis sur SESAME et quelques annĂ©es plus tard les rĂ©sultats seront rĂ©-investis dans des projets comme CANARY, EAGLE qui sont des projets de MOAO en vue du futur tĂ©lescope gĂ©ant E-ELT. En effet, l’exemple du dĂ©veloppement de la MOAO aux USA sur le TMT (Thirty Meter Telescope) a fini par convaincre les EuropĂ©ens.
Les annĂ©es 2000 marquent un tournant dans l’activitĂ© internationale de l’optique adaptative. D’une part, de nombreux laboratoires europĂ©ens -restĂ©s discrets jusqu’alors par rapport au cas français- se lancent dans la course de l’optique adaptative, avec la 2ième gĂ©nĂ©ration des instruments du VLT. D’autre part, l’expansion du tĂ©lescope gĂ©ant europĂ©en (que ce soit OWL (2000-2004) ou l’E-ELT (Ă partir de 2005)), motive des Ă©tudes de faisabilitĂ© auxquelles participent de nombreux laboratoires europĂ©ens. L’optique adaptative s’oriente alors vers les grands systèmes, et vers les systèmes tomographiques.
Dans les annĂ©es 2000 le principe mĂŞme de fonctionnement de l’optique adaptative se diversifie, en introduisant trois concepts nouveaux :
Selon les ingrĂ©dients choisis, on obtient alors diffĂ©rents types d’optiques adaptatives, auxquelles des acronymes ont Ă©tĂ© donnĂ©s comme nom, et qu’on retrouve maintenant partout dans la littĂ©rature. On peut citer :
SCAO signifie single conjugate AO, c’est l’optique adaptative classique des annĂ©es 90, qui opère en boucle fermĂ©e sur une Ă©toile naturelle avec un miroir dĂ©formable. C’est l’optique adaptative "classique". Elle fonctionne sur des Ă©toiles brillantes (magnitude < 16-17), et dispose d’une couverture du ciel très limitĂ©e (<0.01%)
La LTAO, pour laser tomography AO, utilise plusieurs Ă©toiles lasers pour compenser l’effet de cĂ´ne grâce Ă une analyse tomographique et une Ă©toile naturelle pour compenser le tilt (et dĂ©focalisation), le tout en boucle fermĂ©e sur un miroir dĂ©formable dans le plan pupille.
Elle compense le dĂ©faut de couverture du ciel de la SCAO grâce aux Ă©toiles laser et possède un haut degrĂ© de correction grâce Ă la compensation de l’effet de cĂ´ne par l’analyse tomographique.
Elle souffre du mĂŞme problème d’anisoplanĂ©tisme que la SCAO : le champ corrigĂ© est petit (typ. 20-50’’) puisqu’il n’y a qu’un seul miroir dĂ©formable.
MCAO, concept initialement publiĂ© par J. Beckers en 1988 mais qui a mis du temps Ă voir le jour, et qui utilise possiblement un mĂ©lange arbitraire d’Ă©toiles laser et naturelles et par analyse tomographique pilote en boucle fermĂ©e plusieurs miroirs dĂ©formables en sĂ©rie sur le trajet lumineux et conjuguĂ©s des couches turbulentes en altitude.
Elle possède la facultĂ© de pouvoir corriger un grand champ (typ. 60-150’’) La correction est bonne dans tout le champ, mais sensiblement moindre qu’en LTAO.
MOAO, qui utilise un mĂ©lange arbitraire d’Ă©toiles laser et naturelles et par analyse tomographique pilote en boucle ouverte plusieurs miroirs dĂ©formables en parallèle sur des trajets lumineux correspondant Ă diffĂ©rents points du champ, et conjuguĂ©s de la pupille. Ici on corrige un grand nombre (10-20) de petites (1-5’’) zones du champ, prises dans un immense champ (5-20 minutes d’arc)