Comment l’Observatoire s’est lancé dans l’espace...
Conférence donnée par Jean-Louis Steinberg à l’Observatoire de Meudon le 6 avril 1998.
Quatre ans après son lancement, ISEE-3 fut envoyé dans la queue de la magnétosphère terrestre (analogue à celle d’une comète), puis, en 1985, dans la queue de la comète Giaccobini-Zinner. C’était le premier rendez-vous d’un engin construit par l’Homme avec une comète. Au cours de la traversée de la queue de cette comète, l’analyse du spectre thermique a permis de mesurer les caractéristiques du plasma en fonction du temps ou de la position de ISEE-3 dans la queue.
Sur le fond, on voit la comète Giaccobini-Zinner et sa tête en bas à gauche. En travers de la queue, un trait noir représente la trajectoire de ISEE-3. Au milieu de la figure, on voit dix spectres du bruit thermique enregistrés à divers instants, c’est-à-dire en différents points de la queue. D’un spectre à l’autre, on voit la position en fréquence du pic varier : à partir de l’entrée dans la queue (en haut de la figure), fp augmente et le pic se déplace vers la droite. Le processus inverse se produit quand ISEE-3 commence à sortir de la queue (vers le bas de la figure). A droite sont les résultats de l’exploitation de tous ces spectres. La densité au pic atteint des valeurs élevées qui n’ont pu être mesurées par aucun des autres instruments de ISEE-3 parce que trop grandes pour eux.
Dès 1974, les Américains et les Européens avaient commencé l’étude d’une mission destinée à l’étude du milieu interplanétaire hors de l’écliptique, le plan où se meuvent la Terre et les planètes du système solaire. Pourquoi vouloir sortir de ce plan ? L’écliptique est proche (à 7 degrés près) du plan équatorial du Soleil. A la surface du Soleil, on voit des taches et des zones actives dans une gamme de latitudes solaires de ± 30°. Dans cette région sont enracinés des jets coronaux que l’on voit bien sur les photos d’éclipse.
Dans ces régions, le milieu interplanétaire est relativement dense, sa structure magnétique complexe et le vent solaire dû à l’évaporation de la couronne relativement lent : 400 km/sec. Vers les pôles du Soleil, la structure du milieu est plus simple : le champ magnétique devient radial et le vent solaire rapide de 800 à 1000 km/sec. On voulait étudier de près ces structures dépendant de la latitude et, évidemment, de la distance au Soleil.
La mise au point de ce projet a pris de nombreuses années et exigé de nombreuses réunions. Je me souviens de m’être souvent rendu à Los Angeles pour 24 heures jusqu’à ce que j’exige de pouvoir y rester 2 ou 3 jours pour me remettre du décalage horaire.
On envisagea d’abord en 1972 de mettre en orbite autour du Soleil des sondes munies de moteurs ioniques qui les pousseraient hors de l’écliptique. Il fallait développer ces moteurs : c’était long et coûteux. La manoeuvre devait aussi être longue. On passa à deux sondes en 1974 : une seule sonde posait de gros problèmes de partage des responsabilités entre la NASA et l’ESA et ne suffisait pas à faire voler tous les instruments jugés utiles par les scientifiques. Le projet fut approuvé en 1977-78 avec 2 sondes. En 1981, la NASA renonça unilatéralement à construire sa sonde. La sonde restante devait être lancée en février 1983. Le lancement a été retardé de 3 ans puis encore de un an et demi après l’accident de la navette Challenger. Finalement l’unique sonde restante a été lancée par la navette le 6 octobre 1990, 18 ans après le début du projet ! Quelquefois, la recherche spatiale est une très longue patience. Il a été décidé d’utiliser l’attraction de Jupiter, une planète grosse et lourde, pour dévier la sonde. Ce fut le projet Ulysse.
Nous avons monté sur Ulysse un récepteur encore plus performant que ceux emportés par ISEE-3 et Wind ; les responsables techniques du projet étaient Bob Manning et François Wouters. Nous avons étudié le plasma tout au long de l’orbite, en particulier en 1995 quand la sonde est passée de l’hémisphère Sud du Soleil à l’hémispère Nord.
Aujourd’hui les équipes techniques et scientifiques du labo sont très sollicitées en Europe et aux USA, pour des collaborations ; ce qui est un bel hommage à leurs compétences.
Je n’ai pas pu citer tous les participants aux missions que j’ai décrites, ils et elles sont trop nombreux. Je me suis limité aux plus anciens, ceux qui ont démarré les affaires ; pas mal d’entre eux ont pris leur retraite, comme moi. Plusieurs de ces retraités m’ont dit que les années qu’ils avaient passées au labo étaient parmi les plus belles de leur vie. Rien ne pouvait me faire plus plaisir que d’entendre ces paroles.