Comment l’Observatoire s’est lancé dans l’espace...
Conférence donnée par Jean-Louis Steinberg à l’Observatoire de Meudon le 6 avril 1998.
Enregistrement d’un sursaut solaire depuis la Terre et depuis la sonde Mars-3 qui est dans une direction formant un angle de 33 degrés avec celle de la Terre (données de Mars-3 tracées en échelons). Ces deux enregistrements sont très différents, ce qui montre que le signal reçu dépend de la direction d’observation.
Une autre expérience analogue, mais fonctionnant sur 30 et 60 MHz (ondes décamétriques) a été lancée en 1973 sur MARS-7 : chef de projet Georges Dumas.
Ces deux missions ont fourni les premières mesures directes de la directivité du rayonnement radio solaire de type III. Il y eut de nombreuses publications ou communications et la thèse de Michel Poquérusse. Le labo était entré dans la coopération spatiale internationale.
Vers 1970, on décida, sur ma demande, de construire un bâtiment spatial aujourd’hui le bâtiment N° 16. Le CNES nous avait prêté un administrateur, Georges Decottignies (un officier d’administration à 4 galons) qui gérait toutes nos affaires administratives et financières. Il était très compétent et, de plus, il comprenait parfaitement qu’il devait être de notre côté dans les conflits administratifs. Lui et René Knoll ont dirigé la construction du bâtiment. A cette époque lointaine, nous prévoyions d’avoir un jour sur le toit un miroir de poursuite des satellites ! En 1972, G. Decottignies nous a quittés ; il a fallu le remplacer. J’ai mis une annonce dans la presse et reçu une douzaine de réponses, tous des chefs du personnel civils ou militaires. Leur profil ne me paraissait pas adéquat pour un labo de recherche. Mais il y avait aussi une candidate. Elle avait des qualités très importantes pour nous : elle avait une formation scientifique, travaillé 3 ans dans un labo de recherche et un an de formation administrative. Malgré l’opposition des deux autres femmes les plus proches de moi dans le labo, Madeleine Steinberg et Michèle Boischot qui objectaient à l’embauche d’une femme, j’ai embauché Jacqueline Thouvay et je m’en suis toujours félicité.
Le labo devait s’apprêter à se lancer dans des expériences beaucoup plus complexes.
En 1973, pour la première fois, la NASA et l’Agence Spatiale Européenne ou ESA, lancent ensemble un appel à expériences pour une mission d’étude des relations entre le Soleil, le milieu interplanétaire et la Terre, le programme ISEE. La mission doit mettre en oeuvre 3 satellites, 2 en orbite terrestre et un stationné au point de Lagrange à 1.5 million de km de la Terre en direction du Soleil, là où les attractions du Soleil et de la Terre s’équilibrent.
L’ESA fournira ISEE-2 et la NASA les deux autres. Les agences recoivent 105 propositions dont 28 sont retenues : parmi celles-ci les 2 de Meudon.
Entre ISEE-1 et -2, nous propagerons des ondes de fréquences très différentes : celle de plus haute fréquence sera très peu affectée par le milieu, l’autre, de fréquence bien plus basse, le sera beaucoup plus. On comparera les deux temps de propagation pour en tirer la densité du milieu.
L’expérience est placée sous la responsabilité scientifique de Chris Harvey et technique de Bob Manning. Elle fournira 32 mesures par seconde de la densité du plasma interplanétaire ; ce qui permettra à Ludwig Celnikier et à ses collaborateurs d’obtenir, dans le mileu même, un spectre des fluctuations de cette densité.
ISEE-3 est placé sous la responsabilité technique de René Knoll travaillant en équipe avec les deux Gérard, Epstein et Huntzinger. J’en suis le responsable scientifique, l’investigateur principal ou PI. Cette expérience devait être menée en coopération avec un Laboratoire de la NASA au Centre de Recherche de Goddard à Washington. En fait, les Américains n’ont pratiquement rien pu faire dans cette entreprise faute de moyens. Même au niveau de la proposition, il nous a fallu tout rédiger à Goddard. La NASA s’est chargée de l’approvisionnement des antennes de 45 mètres de long produites au Canada. Le malheureux chercheur qui avait à s’en occuper était accablé de tâches par un autre labo du Centre. Comme nous étions exaspérés par cette inertie, nous avons envoyé une lettre assez sévère au responsable américain Bob Stone. Il n’y avait pas encore de courrier électronique. La première fois que nous sommes allés à Goddard après ce courrier, Bob Stone nous a expliqué qu’il n’y pouvait rien et que, même si toute la Marine Française s’y mettait, rien ne changerait. Le lendemain nous sommes arrivés dans son bureau vêtus de t-shirts imprimées "French Navy". Une bonne occasion de rigoler. Et puis, je me suis fait un ami proche à Goddard. Quand Joe Fainberg a constaté que je venais plusieurs fois par an visiter son équipe, il m’a dit "écoute Jean-Louis, à partir de maintenant, quand tu viendras à Washington, tu logeras chez nous : voici les clefs de la maison". Par la suite, j’ai usé et abusé avec plaisir de cette offre, j’ai ainsi connu de nombreux autres américains amis des premiers. Et je ne suis pas sûr que quantités de mes compatriotes agiraient de cette façon pour un visiteur étranger. Sur le plan professionnel, nos collègues de Goddard ne se sont réveillés que lorsque les premières données sont arrivées.
L’expérience était destinée à mesurer entre 30 kHz et 1 MHz la direction des émissions radio solaires. ISEE-3 pouvait même mesurer cette direction à 2 dimensions car il emportait deux antennes dipôle.
Un dipôle est formé de deux brins métalliques colinéaires. Entre ces deux brins, au milieu du dipôle, un récepteur mesure le signal reçu par l’antenne. Sur un satellite en rotation, on peut placer deux dipôles : un sur l’axe de rotation OZ qui tourne alors sur lui même. Un autre , perpendiculaire à l’axe de rotation, qui tourne dans un plan perpendiculaire à OZ. Ce second dipôle peut être beaucoup long, et donc beaucoup plus sensible que le premier, pour des raisons mécaniques.
Un dipôle est insensible au rayonnement d’une source étroite placée dans la direction des brins ; mais il est sensible à celui d’une source située dans un plan perpendiculaire aux brins. Quand le dipôle tourne dans ce plan, le signal reçu d’une source proche de ce plan est maximum quand cette source est vue dans une direction perpendiculaire au dipôle, mais très faible quand la source est dans l’axe des brins. Cette variation de la sensibilité de l’antenne en fonction de la direction de la source est représentée par le tore jaune. Au cours de la rotation, on peut ainsi mesurer la direction d’une source dans le plan de rotation de l’antenne.
Si l’on dispose aussi d’une antenne alignée le long de l’axe OZ, on peut obtenir, sous certaines conditions, une direction complète : le tore jaune de la figure montre la distribution dans l’espace de la sensibilité du dipôle OZ.
Le récepteur conçu par Gérard Epstein était doté d’une excellente sensibilité, ce qui lui permettra de "voir" des phénomènes jusque-là négligés, et d’une calibration précise à mieux que 10%. ISEE-3 observera des milliers d’événements radio solaires de différents types, en particulier des sursauts de type III.