mardi 25 septembre 2012, par Karl-Ludwig Klein, Nicolas Fuller, Karine Issautier
L’atmosphère externe (couronne et vent) et l’activité du Soleil ne sont pas seulement des laboratoires d’astrophysique proches, mais affectent directement l’environnement plus ou moins lointain de la Terre et des planètes. Des événements solaires extrêmes peuvent, par exemple, conduire au dysfonctionnement de satellites, à des perturbations des communications et de la géolocalisation par ondes hertziennes, ainsi qu’à l’interruption du transport d’électricité par les lignes de haute tension dans des régions exposées de la Terre, aux hautes latitudes. Ils sont également une menace potentielle pour les astronautes. Le terme « météorologie de l’espace » désigne les recherches sur les phénomènes et processus de l’activité solaire qui ont un impact sur l’Héliosphère et l’environnement de la Terre, comprenant la magnétosphère, la haute atmosphère et des effets au sol. Elle comprend le développement de méthodes de prévision et des activités d’études et recherches appliquées en coopération avec des utilisateurs de domaines variés en dehors de la recherche astrophysique. Pour cela, elle utilise des instruments de recherche ou bien des instruments spécifiques.
La plupart des émissions mentionnées ne sont en fait observables qu’avec des instruments spécifiques, en dehors de la protection que procurent l’atmosphère et le champ magnétique de la Terre. En effet, l’atmosphère absorbe le rayonnement X et une partie du rayonnement UV du Soleil, alors que le champ magnétique de la Terre dévie les particules chargées.
Le champ magnétique, engendré par des mouvements de fluides conducteurs à l’intérieur de la Terre, ressemble à celui d’un aimant (dipôle) près de la Terre, mais est déformé par le vent solaire à plus grande altitude. Les lignes de champ sont tracées par les lignes bleu-gris épaisses dans le dessin de la Fig. 1. C’est l’interaction avec le vent solaire qui donne à ce champ magnétique son allure caractéristique : comprimé du côté tourné vers le Soleil, allongé en « queue magnétosphérique » dans la direction opposée.
Dessin schématique d’un proton en mouvement autour d’une ligne de champ magnétique (à gauche) et de la rencontre entre des protons de différentes énergies et le champ magnétique de la Terre (à droite), vue par un observateur au-dessus du pôle nord. Les lignes de champ magnétique dans le plan équatorial (points encerclés) pointent vers le lecteur. Selon son énergie E, le proton incident suit différentes trajectoires. Les protons de basse énergie sont réfléchies dans l’espace.
Les particules électriquement chargées, comme les protons et électrons, ne peuvent se propager librement en présence d’un champ magnétique : leurs trajectoires s’enroulent autour des lignes de force, comme le montre le schéma à gauche de la Fig. 2. Une particule chargée arrivant de l’espace va donc rencontrer le champ magnétique de la Terre, faire un demi-tour à l’intérieur de la magnétosphère, puis la quitter, si son énergie ne dépasse pas un certain seuil (trajectoire étiquetée E < E0 sur la figure). La très grosse majorité des particules chargées est ainsi réfléchie par le champ magnétique de la Terre. Ce n’est que dans la région des cornets polaires que les particules peuvent accéder à l’atmosphère sans obstacle du champ magnétique – c’est le parcours indiqué par la flèche tiretée de la Fig. 1. Ces régions sont petites et ne laissent passer, en temps normal, qu’un faible nombre de particules. Les électrons précipités ainsi dans l‘atmosphère contribuent à de très faibles aurores diffuses, mais l’origine des aurores brillantes est autre, comme nous le verrons plus loin. En revanche, des bouffées de protons de haute énergie du Soleil peuvent y pénétrer et créer une ionisation supplémentaire à la normale.
Les particules qui passent l’obstacle du champ magnétique impactent l’atmosphère de la Terre. Elles rencontrent le long de leur trajectoire de plus en plus d’atomes et se mettent tôt ou tard à interagir avec eux, notamment en détruisant les noyaux atomiques et en produisant ainsi des faisceaux de particules secondaires qui poursuivent la traversée de l’atmosphère. Ces particules interagissent de nouveau avec les atomes et molécules ambiants, par exemple en arrachant des électrons (ionisation). L’ionisation supplémentaire de la basse ionosphère, au-delà du taux créé par le rayonnement UV solaire, est une conséquence typique de la pénétration de particules solaires énergétiques dans les régions polaires.
Les particules pénétrant dans les régions polaires se propagent le long des lignes de champ magnétique, qui ne leur oppose donc aucun obstacle. Dans d’autres régions, seulement des particules de très haute énergie (1 GeV ou plus – voir ici pour cette unité d’énergie) franchissent le bouclier magnétique. Les particules secondaires qu’elles engendrent sont si énergétiques qu’elles atteignent le sol et peuvent y être détectées. Toutefois, le Soleil n’accélère des particules à de telles énergies que lors de quelques rares événements (en moyenne un par an). On peut utiliser les particules secondaires arrivant au sol comme diagnostic des particules de haute énergie incidentes.
Le champ magnétique de la Terre ne modifie pas la propagation des ondes électromagnétiques. Les rayons X et EUV sont absorbés par les molécules de la haute atmosphère, notamment l’ozone. « Absorber » veut dire que l’énergie de ces rayonnements est transformée : les molécules et atomes frappés par ces rayonnements se mettent en mouvement plus rapide – ce qui implique que l’atmosphère est chauffée par les rayonnements. Certains atomes perdent des électrons sous l’impact du rayonnement : à partir de 80 km au-dessus du sol, on constate que l’atmosphère de la Terre est ionisée. Cette couche de l’atmosphère est appelée ionosphère. Elle est notamment utilisée pour réfléchir des ondes hertziennes, de longueurs d’onde dépassant quelques mètres, émises depuis le sol. Cela nous permet de communiquer, par ondes courtes, avec des correspondants lointains que nous ne pouvons atteindre directement du fait de la courbure de la surface terrestre. Le gros des rayonnements X et EUV du Soleil provient des régions actives et varie donc à différentes échelles temporelles : lentement au cours du cycle d’activité solaire d’environ 11 ans, plus rapidement à la suite de la rotation du Soleil en environ 27 jours, et encore plus rapidement, en quelques minutes, lors d’une éruption. Toute cette variabilité se retrouve donc dans la température, la densité et le degré d’ionisation de la haute atmosphère de la Terre.
Le chauffage de l’atmosphère entraîne son expansion. L’atmosphère monte donc et freine des satellites en orbite basse (quelques centaines de km, comme la station spatiale internationale). Une forte activité solaire oblige les opérateurs de satellites à corriger les orbites plus fréquemment qu’en période de faible activité. Les périodes de forte activité solaire sont une menace pour la survie des satellites, et on a, en 2001, fait chuter la station spatiale MIR avant une période de maximum d’activité, afin d’éviter sa chute incontrôlée au cours de ce maximum.
L’ionisation variable de l’atmosphère terrestre par le rayonnement UV modifie les conditions de propagation des ondes hertziennes et affecte les communications tout comme les mesures de position par les satellites GPS, dont le principe repose sur la propagation d’ondes hertziennes entre un système de satellites et les objets terrestres.
Trois images du Soleil en UV extrême (SoHO/EIT, ESA/NASA) avant (gauche) et pendant une grosse éruption. La figure de droite montre d’innombrables points et traits blancs qui proviennent de l’impact de protons de haute énergie sur le détecteur. Ces protons font partie des particules chargées accélérées au cours de l’éruption et de l’éjection de masse associée.
Les protons solaires de quelques dizaines de MeV accélérés au cours d’une éruption et d’une éjection de masse sont bien visibles dans les images de différents instruments du satellite SoHO, comme de petits traits blancs qui aveuglent le télescope EIT (Fig. 3, panneau de droite).
S’ils arrivent à pénétrer dans les cornets polaires, ces protons augmentent l’ionisation dans l’atmosphère, entraînant la perturbation des communications des avions sur des vols transpolaires, majoritairement au voisinage du pôle nord. C’est un problème majeur qui a obligé des compagnies à dérouter certains vols en période de forte activité solaire.
Les particules, qu’il s’agisse des particules accélérées au Soleil ou de celles accélérées dans la magnétosphère, sont susceptibles de perturber l’électronique à bord de satellites. Certaines particules de haute énergie peuvent pénétrer dans les équipements et créer des incidents particuliers, allant de la perturbation des mémoires d’ordinateurs et de la génération de signaux parasites à la destruction physique de parties de l’électronique, notamment par des décharges violentes qui répondent au dépôt de charge électrique par les particules pénétrantes. Certains problèmes peuvent être corrigés par des algorithmes de contrôle. Mais de grands flux de particules restent un problème et suscitent un intérêt pour la prévision de ces phénomènes. Les agences lançant ou opérant des satellites évitent par exemple les manœuvres lors de forts flux de particules énergétiques solaires. L’impact des particules a d’autre part des effets cumulatifs qui entraînent la dégradation lente des équipements.
L’interaction du vent solaire avec le champ magnétique de la Terre donne à la magnétosphère terrestre sa forme caractéristique (Fig. 1) : son côté aplati tourné vers le Soleil et sa queue allongée dans la direction opposée. Cette magnétosphère n’est pas statique : elle fluctue sous l’effet des « bourrasques » du vent solaire et peut, dans certains cas, se reconnecter avec le champ magnétique du vent solaire. C’est le cas lorsque le vent solaire apporte un champ magnétique de polarité opposée à celui de la Terre du côté tourné vers le Soleil.
Dessin schématique de la reconnexion entre une ligne de champ magnétique interplanétaire (Fig. a : en jaune) et une ligne du champ magnétique de la Terre (en vert). Les lignes de champ peuvent se reconnecter dans la région indiquée par le cercle rouge. Elles forment alors deux lignes de champ ancrées d’un côté dans la Terre, s’étendant de l’autre dans le vent solaire (lignes bleues, Fig. b). L’écoulement du vent solaire autour de la Terre ajoute ces lignes de champ à la queue de la magnétosphère (Figs. c-e).
Les deux champs magnétiques peuvent alors se reconnecter (région rouge du dessin de la Fig. 4.a). Les lignes de champ indépendantes jaune (la flèche symbolise une partie d’une ligne de champ du vent solaire) et vert (Terre) reconnectent pour former deux lignes de champ ancrées d’un côté dans la Terre et s’étendant de l’autre côté dans le vent solaire (traits bleus, Fig. 4.b ; voir les pages sur la reconnexion magnétique). Le vent solaire, poursuivant son chemin autour de la magnétosphère, emportera ces nouvelles lignes de champ autour de la Terre et les ajoutera à la queue magnétosphérique (Figs. 4.c, d). La compression du champ magnétique indiquée par les flèches (Fig. 4.e) traduit l’apport d’énergie à la queue de la magnétosphère.
On voit que le champ magnétique a des directions opposées de part et d’autre du plan équatorial. C’est la même situation qu’en Fig. 4.a. La reconnexion magnétique peut donc, ici aussi, reconfigurer le champ magnétique. Cela conduite à des événements explosifs de reconfiguration et de libération d’énergie – les sous-orages magnétiques et, dans le cas de perturbations très fortes notamment par des éjections de masse, des orages géomagnétiques. Des particules sont accélérées dans la queue de la magnétosphère et peuvent précipiter vers l’atmosphère. Les électrons excitent alors les atomes et molécules de la haute atmosphère, générant les aurores boréales et australes.
Lors des orages géomagnétiques, tout le système de courants électriques circulant dans la magnétosphère est perturbé. Cela entraîne des conséquences au sol de la Terre, par l’induction de différences de potentiel entre différents points. Si l’on pose donc des conducteurs électriques près du sol, qu’il s’agisse de câbles électriques ou de lignes de haute tension avec leurs transformateurs, les courants vont s’écouler le long de ces dispositifs. Ils peuvent perturber les signaux passant par les câbles (ce qui causait des problèmes de communications d’abord en télégraphie, puis en téléphonie intercontinentale) ou même endommager les transformateurs des lignes de haute tension, causant des interruptions (plusieurs cas remarquables en Amérique du Nord, USA et Canada).
Les variations du champ magnétique solaire sont certes un facteur majeur des perturbations affectant la Terre, mais elles constituent aussi un écran contre les particules chargées venant de l’extérieur du système solaire, le rayonnement cosmique galactique. La force et la turbulence du champ magnétique interplanétaire varient au rythme du cycle d’activité du Soleil. L’effet répulsif que le champ magnétique interplanétaire exerce sur les rayons cosmiques est plus fort en période de forte activité, et l’intensité du rayonnement cosmique au voisinage de la Terre est moindre. Elle a un minimum en période de forte activité solaire et un maximum aux alentours du minimum du cycle. On parle de la modulation solaire du rayonnement cosmique – un effet que l’on peut assimiler à un potentiel électrostatique répulsif variant avec le cycle solaire, appelé potentiel héliocentrique.
La pénétration dans l’atmosphère de la Terre de particules énergétiques issues du rayonnement cosmique galactique et de quelques événements solaires particulièrement forts entraîne la cassure de noyaux atomiques et la génération de particules secondaires. Ces particules constituent, pour les êtres vivants, une irradiation dont l’importance augmente avec l’altitude. Des astronautes quittant la magnétosphère terrestre, lors d’un vol vers la Lune ou la planète Mars, sont pleinement exposés aux bouffées de particules du Soleil. La seule protection actuellement envisageable semble être la construction d’un abri à bord du vaisseau qui doit, pour protéger contre un grand événement solaire, opposer aux particules solaires une masse de 30 g/cm2 (par exemple une plaque d’aluminium de 11 cm d’épaisseur). La prévision de ces événements et la mise à l’abri des astronautes sont un enjeu crucial pour la reprise des vols spatiaux habités. Les événements solaires individuels sont bien moins importants pour le personnel navigant à bord des avions, mais le rayonnement cosmique galactique constitue une source supplémentaire d’irradiation pour les équipages, notamment ceux survolant fréquemment les pôles. A titre d’exemple, la dose d’irradiation typique lors d’un vol Paris-San Francisco est d’environ 2-3% de la dose moyenne que nous recevons au sol en France en un an. L’origine principale de la dose reçue à bord d’un avion est le rayonnement cosmique galactique. Le personnel navigant recevant cette dose de façon répétée doit être surveillé. Une éruption solaire peut doubler la dose reçue lors d’un vol transatlantique – mais des éruptions produisant des particules à très haute énergie sont rares (1/an en moyenne). Il faut souligner que cet effet biologique est cumulatif : c’est l’exposition quasi-continue du personnel de l’aviation au rayonnement cosmique et non pas l’événement individuel qui constitue le risque à surveiller.
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