vendredi 13 avril 2012
Aujourd’hui, les astronomes mettent en œuvre des techniques de plus en plus sophistiquées pour observer finement des phénomènes se produisant dans l’atmosphère d’étoiles lointaines. Une équipe internationale, comprenant un chercheur CNRS de l’Observatoire de Paris [1], a ainsi pu observer trois étoiles en fin de vie, - des géantes rouges (W Hydrae, R Doradus et R Leonis, situées à 180 et à 340 années-lumière) - à partir d’une technique pionnière dite de « masquage de pupille », installée sur l’un des quatre télescopes de 8 m du Very Large Telescope de l’ESO. En détectant dans leur atmosphère de gros grains de poussières, sources possibles de la présence d’un super vent, ils percent l’énigme liée à la perte de la masse stellaire. Ces résultats sont publiés dans le journal Nature, en date du 12 avril 2012.
Une équipe de chercheurs, menée par Barnaby Norris de l’Université de Sydney en Australie, a mis en œuvre sur le télescope Yepun du Very Large Telescope à Paranal au Chili une technique pionnière qui permet d’observer la polarisation de la lumière au sein de l’atmosphère d’étoiles. Ils ont installé sur le télescope un masque de pupille. Ce masque, l’équivalent d’une paire de lunettes sur laquelle on dessine des figures circulaires, permet d’augmenter la qualité d’image du télescope, pour atteindre une résolution encore jamais obtenue. À titre de comparaison, cette résolution permettrait de distinguer du Chili les deux phares d’une voiture située en Australie.
Les chercheurs ont ainsi pu mettre en évidence la diffusion de la lumière de l’étoile par les couches supérieures de leur atmosphère, et de ce fait, observer des grains de poussières de taille micrométrique, en grande quantité. La présence de ces grains, et leur taille, pourrait être un ingrédient indispensable pour produire le « super vent » propre aux étoiles en fin de vie.
Les étoiles telles que le Soleil finissent leur vie par un “super vent”. Environ 100 millions de fois plus fort que le vent solaire actuel, il permet, au cours des derniers milliers d’années de la vie de l’étoile, de propulser à peu près la moitié de la masse de l’étoile dans le milieu interstellaire. Ce phénomène, dit d’astration, permet le recyclage d’une grande partie de la masse de l’étoile, de façon à ce qu’elle serve de nouveau de matière première à la création de nouvelles étoiles. À l’opposé, le cœur de l’étoile, qui aura échappé à la poussée de ce vent stellaire, deviendra une étoile morte, qui se refroidira lentement jusqu’à devenir un corps noir dérivant dans le cosmos. La connaissance de la physique de ce vent au crépuscule de la vie de l’étoile est donc primordiale pour connaître et prévoir l’évolution des galaxies dans leur ensemble.
Pourtant, l’origine de ce super vent était inconnue. On a longtemps pensé qu’il résultait des photons qui, en étant absorbés par la poussière, le propulsait en transférant une partie de leur énergie. Le problème vient du fait que l’étoile géante est trop brillante. Plusieurs milliers de fois plus brillante que le Soleil. De ce fait, les grains de poussière qui absorbent la lumière sont immédiatement évaporés. À l’opposé, des grains plus transparents ne bénéficieraient pas d’une poussée suffisante pour expliquer le flux de ce vent stellaire.
C’est dans ce contexte que l’équipe de scientifiques a découvert la présence dans l’atmosphère de grains ayant une taille beaucoup plus grande que celle supposé jusqu’alors. Ils ont trouvé des grains de la taille du micron. Une taille considérable pour un vent stellaire. Or, ces grains ont la propriété de dévier la lumière, au lieu de l’absorber. Ainsi, le flux stellaire peut pousser les grains sans les détruire.
« La taille de ces grains a été une grande surprise pour nous » précise Sylvestre Lacour. « L’environnement proche des géantes rouge est bombardé de photons, et on n’explique toujours pas comment dans un environnement aussi extrême, nous pouvons avoir des grains de cette taille ». Pourtant, les observateurs voient bien la poussière quitter l’étoile à des vitesses de l’ordre de 10 km/s, la vitesse d’une fusée (ou 10 fois la vitesse d’une balle de fusil). « Mais même si on n’a pas résolu le problème de la formation des grains, » poursuit Sylvestre Lacour, « leur grande taille permet d’expliquer comment l’étoile peut les propulser dans l’espace, sans les vaporiser avant même qu’ils puissent commencer à se déplacer ».
Image artistique de la présence de grains de poussière entourant l’étoile géante. La poussée sur ces grains est à l’image d’une tempête de sable. De taille modeste par rapport à des grains de sable, mais très grande pour un vent stellaire, ces grains à base de silice expliquent la présence d’un super vent responsable de la perte de masse des étoiles en fin de vie. © Anna Mayall
[1] Sylvestre Lacour est chargé de recherche CNRS au LESIA