Institut national de recherche scientifique français Univerité Pierre et Marie Curie Université Paris Diderot - Paris 7

Tempête en vue sur une exoplanète

jeudi 28 mars 2019

Grâce à la technique de l’interférométrie optique, une équipe internationale dirigée par un chercheur du LESIA, perce pour la première fois l’atmosphère d’une exoplanète et analyse sa composition chimique à un niveau de résolution jamais atteint. Ces travaux, obtenus avec Gravity au VLT, font l’objet d’une lettre parue le 27 mars 2019 dans la revue Astronomy and Astrophysics.

Vue d'artiste montrant l'exoplanète observée, appelée HR8799e
Vue d’artiste montrant l’exoplanète observée, appelée HR8799e

Cette méthode a révélé une atmosphère exoplanétaire complexe avec des nuages de fer et de silicates tourbillonnant dans une tempête planétaire. Cette technique offre des possibilités uniques pour caractériser de nombreuses exoplanètes connues à ce jour.
© ESO/L. Calçada


Faire l’image d’une exoplanète revient à détecter la lumière émise ou réfléchie d’un objet pour en analyser la composition. Il s’agit d’une véritable gageure car il est très difficile de distinguer le signal de l’objet à côté de celui, bien plus puissant de l’étoile autour de laquelle il gravite. La coronographie est l’une des techniques habituellement utilisées pour cela : elle permet d’atténuer la lumière reçue de l’étoile sans affecter celle de l’exoplanète, mais le flux collecté est faible.

Depuis 2014, quelques instruments scrutent les étoiles voisines du Soleil et sont ainsi parvenus à enregistrer l’image d’une quinzaine d’exoplanètes seulement. HR8799e est l’une d’entre elles.


Image grand champ montrant les environs de la jeune étoile HR8799 dans la (...)
Image grand champ montrant les environs de la jeune étoile HR8799 dans la constellation de Pegasus

Cette image a été créée à partir de matériel faisant partie du Digitized Sky Survey 2.
© ESO/Digitized Sky Survey 2


Découverte en 2010, HR8799e est la plus intérieure des quatre exoplanètes gravitant autour de l’étoile HR8799, située à 129 années-lumière de notre Soleil. Les quatre exoplanètes formant le système sont très massives, entre 5 et 10 fois la masse de Jupiter. Elles sont toutes aussi très jeunes, âgées de 30 millions d’années environ, et portent encore les traces de leur formation.

Pour observer HR8799e, des astronomes ont utilisé pour la première fois la technique de l’interférométrie optique. Cette technique qui combine la lumière des 4 télescopes de 8 mètres du VLTI de l’ESO, à Paranal, permet de gagner en résolution angulaire, l’objectif étant l’observation de détails de plus en plus fins. En obtenant par voie directe, le spectre très détaillé de la lumière émise par HR8799e, l’équipe scientifique a validé l’utilisation de cette technique pour l’observation des exoplanètes.

Grâce à la technique interférométrique, les astronomes ont pu isoler précisément la lumière provenant de l’exoplanète : l’onde électromagnétique provenant de la planète est passée par les 4 télescopes à la fois, puis a été recombinée sur un détecteur où les photons issus de la planète ont pu être clairement distingués des photons provenant de l’étoile. Ils ont pu extraire un signal de la planète d’une extrême pureté et ainsi en déduire précisément sa composition chimique.

« Le flux lumineux de l’étoile est de plusieurs dizaines de milliers de fois plus important que celui de l’exoplanète, les deux objets étant si proches ! C’est comme si nous filmions un moustique autour d’un lampadaire, tous deux situés à 10 kilomètres de nous. », précise Sylvestre Lacour, chercheur CNRS au LESIA, premier auteur de l’article.


Principe de l'interféromètre VLT
Principe de l’interféromètre VLT

Schéma de l’interféromètre VLT. La lumière de l’objet céleste pénètre dans deux des télescopes du VLT et est reflétée par divers miroirs dans le tunnel interférométrique, sous la plate-forme d’observation au sommet de Paranal. Deux lignes à retard avec des chariots mobiles ajustent en permanence la longueur des chemins afin que les deux faisceaux interfèrent de manière constructive et produisent des franges au niveau du foyer interférométrique en laboratoire.
© ESO


Ce que les astronomes ont pu voir ?

Leur premier résultat est l’observation d’une concentration importante de monoxyde de carbone et d’un déficit en méthane. Les chercheurs expliquent cette composition chimique par des courants qui viennent mélanger les couches atmosphériques. Les vents y sont si rapides qu’ils empêchent la réaction chimique de formation du méthane à partir du monoxyde de carbone.

Le second résultat est la présence de nuages de poussières qui rougissent la lumière exo-planétaire. Cela s’explique par une condensation de particules de silice et de fer dans les hautes couches atmosphériques, et une température maintenue par effet de serre à plus de 1 000 degrés Kelvin. « On imagine la tempête qu’il doit y avoir là-haut ! », commente Sylvestre Lacour.

Cerise sur le gâteau. Grâce à la technique interférométrique, la position de la planète a pu être déterminée avec précision : HR8799e n’est pas dans le même plan orbital que ses congénères ; plus précisément, elle serait inclinée de 2° par rapport à elles. Comparé à notre Système solaire, ce n’est pas si surprenant, l’orbite de Jupiter étant par exemple inclinée de 1,3° par rapport à celle de la Terre. Mais cela apporte un plus à notre connaissance du système exo-planétaire multiple HR 8799.

Ces observations montrent sous un nouveau jour l’activité atmosphérique régnant sur les jeunes planètes. Loin d’être de simples sphères de matière uniforme, les exoplanètes présentent une atmosphère qui se révèle dans toute sa complexité. La communauté peut désormais compter sur l’interférométrie optique pour essayer de comprendre ce qui s’y passe et remonter aussi aux processus de leur formation. Les perspectives de recherche sont immenses et exaltantes.


Vue aérienne du VLTI avec tunnels superposés
Vue aérienne du VLTI avec tunnels superposés

Trois télescopes auxiliaires (AT) VLTI de 1,8 m et les trajectoires des faisceaux lumineux ont été superposés sur la photo.
© ESO


Référence

A&A 623, L11 (2019)
https://doi.org/10.1051/0004-6361/201935253
© GRAVITY Collaboration 2019

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