lundi 19 mars 2012
(mise à jour le 28 février 2012)
Deux observations continues de 27 et 157 jours par le satellite CoRoT du CNES ont permis à une équipe internationale dirigée par une astronome du LESIA, en collaboration avec un astrophysicien du CEA-IRFU, d’obtenir un résultat important concernant les étoiles massives, actives et en rotation rapide : leur coeur serait de taille 20 % plus importante que prévu. Une étape est franchie dans la compréhension de la structure et de l’évolution de ce type d’astres.
Une fois de plus, l’astérosismologie —cet art de sonder le coeur interne des étoiles en étudiant leurs vibrations globales — ouvre une fenêtre entièrement nouvelle sur les processus physiques qui transportent l’énergie du foyer nucléaire de ces astres vers leur lumineuse atmosphère.
Une longue observation des vibrations lumineuses de deux étoiles Be tardives par le satellite CoRoT durant plus de cent jours consécutifs vient de révéler la taille de leurs noyaux convectifs qui s’avère plus importante que celle prédite par les modèles statiques des étoiles, aussi appelés modèles standards. Ces deux étoiles qui tournent extrêmement rapidement (environ 20 fois la vitesse de rotation du Soleil, soit un tour en 1,5 jour, et 140 fois sa vitesse équatoriale de surface) sont environ 4 fois plus massives que ce dernier et ont un rayon équatorial environ 7 fois plus grand. C’est un résultat important pour l’étude de la structure et de l’évolution des étoiles massives, berceau des éléments lourds de l’Univers, et plus particulièrement pour la physique des étoiles Be. Il s’explique par la dynamique interne liée à la convection du coeur de ces étoiles et aux mouvements dans leur enveloppe externe dus à la rotation rapide. Cette dynamique a été simultanément comprise et contrainte grâce à la combinaison de CoRoT, d’une étude du magnétisme de ces étoiles au Télescope Bernard Lyot de 2 mètres du Pic du Midi et à la modélisation de leurs oscillations et de leur hydrodynamique profonde.
Comparées au Soleil, les étoiles de type Be montrent une structure interne "inversée" avec un coeur nucléaire convectif qui bouillonne et une large enveloppe radiative externe où le transport de l’énergie est assuré par le rayonnement. D’autre part, ces étoiles tournent si rapidement sur elles-mêmes qu’elles sont à 90 % de la limite théorique au-delà de laquelle la gravitation n’assure plus l’équilibre de l’étoile. Ceci induit simultanément un fort aplatissement de l’étoile ainsi que des mouvements à grande échelle et de la turbulence dans l’enveloppe radiative qui vont induire un mélange important des éléments chimiques qui modifie leur structure interne, et en particulier la taille du coeur convectif.
L’axe de rotation est représenté en rouge. Le coeur convectif a un rayon plus important (en noir) que la valeur prédite par les modèles statiques de ces étoiles ne prenant pas en compte la rotation de l’étoile (en pointillés verts). Ceci est dû à la pénétration des mouvements convectifs dans l’enveloppe externe du fait de leur inertie (flèches noires) ainsi qu’aux flots de grande échelle (boucles rouges) et aux turbulences induites par la rotation rapide dans cette dernière. Le disque de décrétion de ces étoiles est représenté dans le plan équatorial.
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Différents types d’oscillations se propagent dans les intérieurs stellaires : les ondes acoustiques dues à la compressibilité du milieu et les ondes de gravité dues à la force d’Archimède. Dans le cas des deux étoiles Be tardives étudiées ici, ce sont les ondes de gravité, fortement influencées par la rotation rapide (on les appelle alors ondes gravito-inertielles) qui permettent de sonder la structure interne jusqu’au coeur nucléaire. C’est alors que la surprise intervient : en comparant le spectre des oscillations observé par le satellite CoRoT au calcul théorique des fréquences, on comprend que ce coeur convectif est 1,25 plus lourd et 1,2 fois plus étendu que ce qui est prédit par les modèles statiques dits standards des étoiles où la dynamique interne, en particulier la rotation, n’est pas prise en compte.
Ceci indique que les processus dynamiques ignorés dans le modèle statique des étoiles sont à l’oeuvre, notamment au niveau de la frontière entre le coeur convectif et l’enveloppe radiative externe. En utilisant les connaissances de l’hydrodynamique interne des étoiles massives et des modèles des pulsations de ces dernières prenant en compte la rotation rapide, les scientifiques ont pu expliquer ce désaccord entre les observations et le modèle statique des étoiles. Tout d’abord, ils ont montré que les mouvements convectifs du coeur qui pénètrent dans l’enveloppe radiative du fait de leur inertie peuvent expliquer les deux tiers de son extension "non-standard’’ observée. Le tiers restant s’explique par les mouvements internes très lents et la turbulence générée par la rotation différentielle de l’enveloppe radiative. De plus, à l’aide d’observations spectro-polarimétriques complémentaires effectuées au Télescope Bernard Lyot du Pic du Midi, ils ont pu montrer que ces étoiles ne présentent pas de champ magnétique de surface détectable et contraindre l’intensité maximale que pourrait avoir un champ magnétique fossile dans l’enveloppe radiative. Ils ont alors conclu que la dynamique serait dominée par la rotation dans le cas de ces étoiles qui tournent de façon extrêmement rapide.
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Ce résultat montre une fois de plus la puissance de l’astérosismologie qui permet, combinée avec d’autres techniques telles que la spectro-polarimétrie pour l’étude des champs magnétiques et la simulation numérique des mouvements internes des étoiles, de contraindre de manière de plus en plus forte la structure et l’évolution des étoiles. Il montre aussi l’importance des étoiles massives en rotation rapide qui constituent un laboratoire précieux pour comprendre le rôle de la rotation dans l’évolution des étoiles en général.