jeudi 8 juin 2017
(mise à jour le 14 juillet 2017)
Le 26 mai 2017 est paru un numéro spécial de la revue « Geophysical Research Letters » rassemblant plus d’une quarantaine d’articles portant sur l’analyse des données de la sonde Juno de la NASA. Trois de ces articles relayent les travaux des chercheurs de l’équipe du pôle « plasmas » du LESIA.
Les travaux se focalisent sur les intenses émissions radio de Jupiter. Celles-ci sont observées depuis longtemps : à la fois au sol, par exemple au réseau décamétrique de la station de radioastronomie de Nançay, et depuis l’espace par de nombreuses sondes (Voyager, Ulysses, Galileo, Wind, Cassini, …). mais ces observations se font toujours à partir du voisinage du plan équatorial.
Juno nous en fournit les premières observations depuis les pôles, et à très courte distance (<10000 km).
En préparation des observations de Juno, l’équipe du LESIA a développé un code de simulation. Baptisé SERPE (Simulateur des Emission Radio Planétaires et Exoplanétaires, soit en anglais ExPRES= Exoplanetary and Planetary Radio Emissions Simulator), ce code se fonde sur la théorie de génération de ces émissions (l’instabilité Maser Cyclotron = IMC) et la description du magnéto-plasma jovien pour prédire les spectres dynamiques (Occurrence des émissions en fonction du temps et de la fréquence) devant être détectés par un observateur quelconque, fixe ou mobile, par exemple Juno.
On sait que les émissions radio sont produites par l’IMC dans un feuillet cônique très ouvert centré sur le champ magnétique dans la source (celle-ci s’étirant le long des lignes de champ magnétiques plongeant dans les aurores ou connectées à Io, Europe ou Ganymède).
Se posent ainsi deux grandes questions :
La réponse a une conséquence directe sur notre compréhension de l’accélération des électrons dans la magnétosphère de Jupiter, avec des conséquences astrophysiques (exoplanètes notamment).
Les trois articles parus récemment apportent quelques éléments de réponse.
L’article de Kurth et al. décrit les observations radio de Juno (instrument Waves) autour du premier périJove (le 27/8/2016). Les spectres dynamiques révèlent des émissions radio en forme de « V », attribuables à des sources concentrées sur un petit faisceau de lignes de champ magnétique (points chauds auroraux ou tube magnétiques satellite-Jupiter).
Sur le diagramme de droite (de Kurth et al., GRL, 2017), la ligne noire est la fréquence cyclotron électronique locale. Les événements A,B,C,D,E correspondent à de possibles traversées de sources radio.
© NASA, GRL
À plusieurs reprises, la fréquence des émissions radio devient inférieure ou égale à la fréquence cyclotron des électrons locale, traduisant une traversée des sources par la sonde (par analogie avec les observations sur Terre et près de Saturne).
A ces moments, les électrons mesurés par l’instrument JADE correspondent à un cône de perte de quelques keV, favorisant donc des émissions obliques (une étude détaillée est présentée dans un autre article de la revue « Geophysical Research Letters » issus de scientifiques de l’IRAP : Louarn et al.).
Ces résultats, qui restent à confirmer par de nombreuses autres études de cas, suggèrent que l’IMC est un mécanisme universel.
Sur Jupiter, comme sur Saturne, où l’essentiel du plasma est confiné près de l’équateur par la rotation rapide de la magnétosphère, l’IMC semble pouvoir opérer partout au-dessus des régions de haute latitude magnétique, alors que sur Terre, il ne se produit que dans des « cavités » aurorales.
L’article de Louis et al. démontre que les simulations ExPRES « obliques » à partir d’électrons d’énergie quelques keV reproduisent remarquablement bien les émissions induites par Io dans le champ magnétique de Jupiter, observées à basse comme à haute latitude, démontrant ainsi la bonne compréhension des mécanismes en jeu.
Quand l’angle d’émission prédit (en haut) est ≥70°, la correspondance simulations-observations est excellente.
© Louis et al. (GRL, 2017)
Cette bonne correspondance simulations-observations n’est obtenue que quand la sonde Juno est dans le même hémisphère que la source radio étudiée, les émissions prédites en provenance de l’hémisphère opposé ne sont pas observées.
Cela s’explique par un aplatissement du cône d’émission dans le plan du méridien (prédit par un article théorique de Galopeau et al. 2016).
On trouve également que le cône d’émission n’a qu’1° d’épaisseur, et l’angle d’émission mesuré est de 70° à 90° par rapport au champ magnétique. L’interprétation des mesures est cependant complexe car une émission produite perpendiculairement dans la source peut ensuite être réfractée dans une direction oblique au cours de sa propagation près de la source.
Il faudra donc multiplier ces travaux pour plusieurs périJoves de Juno avant d’en tirer des conclusions définitives. Quand Juno est à basse latitude, les émissions « Io-Jupiter » dominent le spectre dynamique, mais quand Juno est à haute latitude, de nombreuses émissions d’origine aurorale s’y superposent.
La comparaison d’observations simultanées par Juno, le réseau décamétrique de Nançay et Wind permet d’identifier l’origine de chaque émission.
L’article d’Imai et al. compare les observations de Juno et du réseau décamétrique de Nançay pour deux cas particuliers d’émissions radio observées peu avant le 1er périJove, et corrobore les résultats plus généraux de Louis et al.
Ces premiers résultats augurent bien de la suite de la mission, qui produira de plus un modèle « parfait » du champ magnétique interne de Jupiter, fournissant une topologie fiable et précise du champ magnétique qui guide la trajectoire des électrons, et définit les tubes de flux satellite-Jupiter.
Au LESIA, trois chercheurs : Philippe Zarka, Laurent Lamy et Baptiste Cecconi ont participé à ces articles, ainsi que le doctorant Corentin Louis en premier auteur de l’un d’entre eux.