mardi 6 novembre 2012, par Evelyne Alecian, Claude Catala et Coralie Neiner
Le champ magnétique joue un rôle important dans la formation et l’évolution des étoiles. Pourtant, il est encore rarement pris en compte dans la modélisation que l’on en fait, d’une part à cause de la complexité des phénomènes qui lui sont associés, et d’autre part parce que, à l’exception notable du Soleil, nous n’avons que peu de données d’observation sur le magnétisme stellaire.
Nous sommes impliqués, en collaboration avec des collègues français, notamment de Toulouse, mais aussi des chercheurs du Canada, des Etats-Unis, de Suède, et d’Allemagne dans l’étude du magnétisme des étoiles autres que le Soleil. Notre étude se focalise principalement sur les étoiles massives, jeunes ou plus évoluées, mais aussi sur les étoiles de type solaire et sur les étoiles ayant une planète géante en orbite proche.
Si nous disposons de détails fins sur la structure de surface du Soleil, la plupart des étoiles, trop lointaines, ne sont que des points, non résolus même par les plus puissants télescopes modernes. Pour remplacer cette résolution spatiale, nous utilisons la rotation des étoiles, en étudiant la façon dont leurs spectres varient lorsque l’étoile nous présente successivement les différentes régions de sa surface.
Par ailleurs, le champ magnétique se traduit par une polarisation de la lumière dans les raies spectrales, par effet Zeeman. Cette polarisation peut être analysée à l’aide d’un spectropolarimètre. Là encore, la rotation de l’étoile peut être mise à profit, et les variations de la signature polarimétrique au cours du cycle de rotation permettent de remonter à la structure du champ magnétique qui en est responsable.
Représentation schématique de la signature polarimétrique (paramètre de Stokes V) d’une tache magnétique à la surface de l’étoile en rotation. Dans le cas représenté à gauche (cliquer sur l’image), la tache, située à basse latitude, a une signature qui traverse tout le profil de la raie et qui n’est visible qu’environ la moitié du temps. Dans l’exemple de droite (cliquer sur l’image), où la tache est située à haute latitude, la signature est visible en permanence et ne parcourt qu’une fraction de la largeur de la raie. C’est ainsi que la position de la tache magnétique peut être déterminée. Des programmes de reconstruction sophistiqués permettent de déduire la distribution du champ magnétique de surface, en utilisant des observations de spectropolarimétrie couvrant toute les phases de la rotation de l’étoile.
Nous utilisons quatre spectropolarimètres :
Parmi les étoiles de type spectral A et B de la séquence principale, environ 5% possèdent un champ magnétique, et montrent également d’importantes anomalies d’abondance à leur surface. Ce sont les étoiles chimiquement particulières de type Ap/Bp.
L’hypothèse la plus couramment admise est que le champ magnétique des étoiles Ap/Bp est fossile, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une relique du champ présent dans le milieu progéniteur de l’étoile, amplifié lors de la contraction initiale au moment de sa formation. Dans ces conditions, les progéniteurs des étoiles Ap/Bp, encore dans la phase pré-séquence principale, doivent également être magnétiques.
Nous avons recherché et découvert des champs magnétiques dans les étoiles pré-séquence principale de masse intermédiaire, appelées étoiles Ae/Be de Herbig, dans des proportions compatibles avec celles des étoiles Ap/Bp sur la séquence principale. Ce résultat apporte donc une confirmation de l’hypothèse des champs fossiles pour ces étoiles.
Nous étudions actuellement l’évolution de ces champs magnétiques et de la rotation de ces étoiles pendant la phase pré-séquence principale en les mesurant dans des étoiles membres d’amas ouverts d’âges variés.
La signature polarimétrique du champ magnétique de l’étoile de Herbig HD 200775 est visible sur les tracés étiquetés "Stokes V" sur cette figure. La signature en Stokes V mesure la polarisation circulaire dans les raies spectrales induite par l’effet Zeeman magnétique. On constate une variation du profil de la signature en Stokes V au cours du temps, due à la rotation de l’étoile. L’analyse de cette signature et de sa variation au cours de la rotation permet de déterminer l’intensité du champ magnétique et sa topologie, ici approximativement dipolaire.
Le but principal du programme MiMeS est d’exploiter les caractéristiques uniques des données d’Espadons (au CFHT), Narval (au TBL) et HARPSpol (à l’ESO) pour obtenir des informations critiques manquantes sur les propriétés magnétiques peu étudiées des étoiles massives, pour confronter les modèles et guider la théorie. Les objectifs scientifiques sont :
Le programme MiMeS représente un effort unanime d’une équipe internationale de chercheurs reconnus, principalement français et canadiens. Trois grands programmes de temps d’observations ont déjà été alloués à MiMeS : 640 heures sur Espadons au CFHT pour les semestres 2008B à 2012B, 590 heures sur Narval au TBL de 2010A à 2012B, et 290 heures sur HARPSpol a l’ESO de 2011A à 2012B. Cette immense base de mesures précises du spectre optique et des champs magnétiques des étoiles massives représente le cœur du programme MiMeS et sera utilisée pour contraindre les modèles d’origine du champ magnétique, la structure, la dynamique et les propriétés d’émission de leur magnétosphères, et l’influence des champs magnétiques sur la perte de masse et la rotation - et finalement sur l’évolution des étoiles massives.
Modèle de la magnétosphère d’une étoile massive. Les couleurs graduées de rouge représentent la matière distribuée autour de l’étoile et confinée dans un disque par le champ magnétique. La surface de l’étoile est représentée en bleu, les lignes de champ en vert, l’axe de rotation de l’étoile en jaune et l’axe magnétique en rose. Les contraintes observationnelles du projet MiMeS permet de contraindre ces modèles appelés RRM (Rigidly Rotating Magnetosphere ou Magnétsophère en rotation solide).
Le LESIA est en charge du programme MiMeS pour les étoiles B pulsantes, Be et Herbig Be. Pour plus de détails voir le site MiMeS.
L’étude des étoiles autres que le Soleil peut nous renseigner sur le magnétisme de notre astre. En effet, l’observation d’étoiles magnétiques ayant des propriétés différentes de celles du Soleil (masse, âge, taux de rotation,...) permet d’étudier le magnétisme dans des conditions variées, et de comprendre le rôle de chacun des ingrédients que nous pensons essentiels à la génération et à l’émergence du champ magnétique : zone convective, rotation différentielle,...
C’est ainsi que nous sommes engagés dans une étude systématique du magnétisme des étoiles de type solaire, venant compléter un travail similaire mené à Toulouse. Une vingtaine d’étoiles ont ainsi été étudiées, apportant des éléments essentiels pour notre compréhension du magnétisme stellaire.
Le champ magnétique est susceptible de jouer un rôle important dans l’interaction entre les planètes géantes en orbite proche (les fameux Jupiters chauds) et leurs étoiles-hôtes. Déjà, des indices sérieux de cette interaction ont été obtenus en remarquant que dans certains cas, l’activité magnétique de l’étoile semblait renforcée dans les régions situées à l’aplomb de la planète.
La première mesure d’un champ magnétique dans une étoile-hôte d’un Jupiter chaud, tau Bootis, est venue confirmer un comportement très particulier : une synchronisation de la rotation de l’étoile aux latitudes moyennes avec le mouvement orbital de la planète. Cette observation laisse augurer des interactions extrêmement complexes entre la structure magnétique de l’étoile et son compagnon, peut-être semblables à l’interaction de la magnétosphère de Jupiter avec son satellite Io, qui donne naissance à ce que nous appelons le "tore de Io".
Détection du champ magnétique de tau Bootis. A gauche, le profil en Stokes V (courbe du haut, magnifiée 500 fois) montre clairement la signature polarimétrique du champ. A droite, la composante radiale du champ magnétique, reconstruite à partir des spectres en polarisation observés à différentes phases de rotation. La planète, en rotation synchrone avec les latitudes moyennes de l’étoile, est face à la phase 0.5. Les composantes méridienne et azimutale du champ sont reconstruites également (non montrées ici). Cliquer pour agrandir.
Depuis ces observations obtenues en 2005, l’étoile tau Bootis a été ré-observée à maintes reprises, et ces nouvelles études, menées par une équipe dirigée par un chercheur de Toulouse, ont montré que son champ magnétique change de polarité environ tous les ans, soit 11 fois plus souvent que le Soleil (voir article). Ce cycle d’activité particulièrement rapide pourrait être relié à la forte rotation différentielle observée à la surface de cette étoile.
SPIRou est un instrument de nouvelle génération en cours de développement pour le CFHT, sur lequel il sera implanté en 2017. Il s’agit essentiellement d’une version dans l’infrarouge proche d’ESPaDOnS, avec une stabilité en vitesse radiale grandement améliorée (au niveau du m/s). Les objectifs scientifiques de SPIRou incluent l’étude du rôle du champ magnétique dans le processus de formation des étoiles et des planètes, ainsi que la recherche par vitesses radiales de planètes telluriques dans la zone habitable des étoiles de très faible masse.
L’instrument consiste en un spectrographe échelle cryogénique, alimenté par fibre optique depuis un polarimètre achromatique installé au foyer Cassegrain du télescope. Il fournit une couverture spectrale quasi-complète des bandes JHK, de 0.9 à 2.4 microns, à la résolution spectrale de 50000.
SPIRou sera développé sous la responsabilité du CFHT, en partenariat avec un consortium piloté par le LATT (Toulouse), mené par Jean-François Donati. La participation technique du LESIA à ce développement est en cours de discussion.
A high-resolution spectropolarimetric survey of Herbig Ae/Be stars. I. Rotation, E. Alecian et al., MNRAS sous presse (2012)
A high-resolution spectropolarimetric survey of Herbig Ae/Be stars. I. Observations and measurements, E. Alecian et al., MNRAS sous presse (2012)
An investigation of the magnetic properties of the classical Be star ω Ori by the MiMeS Collaboration, C. Neiner et al., MNRAS 426, 2738 (2012)
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HD 96446 : a puzzle for current models of magnetospheres ?, C. Neiner et al., A&A 546, 44 (2012)
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Detecting and modelling the magnetic field of the β Cephei star V 2052 Ophiuchi, C. Neiner et al., A&A 537, 148 (2012)
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First HARPSpol discoveries of magnetic fields in massive stars, E. Alecian et al., A&A 536, L6 (2011)
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Magnetism and binarity of the Herbig Ae star V380 Ori, E. Alecian et al., MNRAS 400, 354 (2009)
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Discovery of magnetic fields in the very young, massive stars W601 (NGC 6611) and OI 201 (NGC 2244), E. Alecian et al., A&A 481, L99 (2008)
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Characterization of the magnetic field of the Herbig Be star HD200775, E. Alecian et al., MNRAS 385, 391 (2008)
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The magnetic field of the planet-hosting star tau Bootis, C. Catala et al., MNRAS.374, L42 (2007)
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The magnetic field of the pre-main sequence Herbig Ae star HD 190073, C. Catala et al., A&A 462, 293 (2007)
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PCA detection and denoising of Zeeman signatures in polarised stellar spectra, Martinez Gonzalez, M. J. et al., A&A 486, 637 (2008)
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