jeudi 14 mars 2019
La distance au Grand Nuage de Magellan, galaxie satellite la plus proche de la Voie lactée, est déterminée avec une précision inégalée et symbolique de 1%. Fruit de travaux menés depuis plus de 20 ans, ce résultat remarquable auquel ont contribué des chercheurs de l’Observatoire de la Côte d’Azur et du LESIA parait dans la revue Nature, le 14 mars 2019.
Pour la première fois, l’équipe du projet Araucaria a déterminé la distance du Grand Nuage de Magellan avec une précision de 1%. Cette précision est comparable par exemple à celle que l’on peut atteindre en mesurant la taille d’une personne à une longueur de cheveux près, à la « simple » différence que dans le cas du GNM, la distance mesurée correspond à 162 000 années-lumière, soit 1 530 000 000 000 000 000 km.
Le Grand Nuage de Magellan (GNM) sert de point d’ancrage pour étalonner les échelles de distance dans l’Univers. C’est dire l’importance de ces travaux récents qui, par échafaudage, mènent à la détermination de la constante de Hubble, une quantité fondamentale en cosmologie qui caractérise le taux d’expansion de l’Univers.
Le Grand Nuage de Magellan abrite un grand nombre de céphéides, un type d’étoiles pulsantes particulièrement brillantes. Ces étoiles supergéantes se singularisent par la relation existant entre leur période de variation lumineuse et leur luminosité intrinsèque : les céphéides varient avec une période d’autant plus longue qu’elles sont plus brillantes, selon la loi de Leavitt. Cette loi a été découverte par l’astronome américaine Henrietta Leavitt en 1908 grâce à l’étude des céphéides du Grand Nuage de Magellan, où plus de 4000 céphéides sont aujourd’hui répertoriées.
Appliquée aux céphéides détectées dans les galaxies lointaines, la loi de Leavitt permet d’étalonner la luminosité intrinsèque d’un indicateur secondaire de distance permettant d’aller encore plus loin : les supernovae de Type 1a ou SN1a. Ces explosions d’étoile des évènements rares mais extrêmement brillants, et donc détectables à de très grandes distances de plusieurs milliards d’années-lumière. A l’affût des supernovae SN1a, les astronomes cartographient l’univers, et peuvent déterminer le taux d’expansion de l’univers, quantifié par la constante de Hubble H0. Grâce à ces mesures de distance obtenues de proche en proche, on peut ainsi étudier un des problèmes les plus épineux de la cosmologie moderne : la nature de l’énergie noire.
Il existe dans la littérature plusieurs centaines d’estimations de distance du Grand Nuage de Magellan, basées sur un grand nombre d’indicateurs de distance astrophysiques différents, dont les céphéides. Néanmoins, chaque méthode possède ses propres biais.
Au sein du projet international Araucaria, les chercheurs ont étudié des étoiles binaires à éclipses situées dans le Grand Nuage de Magellan. Ces objets remarquables sont constitués de deux étoiles en orbite autour de leur centre de gravité, qui s’éclipsent mutuellement à intervalle régulier.
Les variations de lumière enregistrées lors des éclipses, associées aux variations de vitesse de chacune des deux étoiles, permettent de contraindre avec une grande précision leurs diamètres linéaires. Parallèlement, on utilise le fait que ces étoiles émettent de la lumière selon une relation très précise entre la température ou la couleur de l’étoile, sa magnitude apparente et son diamètre angulaire (sa taille apparente). La combinaison de l’estimation du diamètre linéaire des deux étoiles de la binaire à éclipse, avec celle de leurs diamètres angulaires, permet d’obtenir une mesure précise de sa distance.
L’application pratique de cette technique de mesure est cependant difficile, car les binaires à éclipses visées dans cette étude sont des objets « froids » et qui émettent relativement peu de lumière. Ainsi, l’équipe du projet Araucaria a suivi près de 35 millions d’étoiles dans le GNM pendant plus de 20 ans. Sur ces 35 millions d’objets, vingt binaires à éclipses seulement ont été soigneusement sélectionnées, puis suivies à l’aide de grands télescopes pendant plus de 15 ans. En combinant la distance estimée des vingt binaires à éclipse observées, l’équipe a mesuré une distance au GNM de 162 000 années-lumière, soit 1 530 000 000 000 000 000 km (1,53 milliard de milliards de kilomètres) avec une précision encore jamais atteinte de 1%.
Elle montre les vingt binaires à éclipses détectées dans le Grand Nuage de Magellan (GNM), la plus proche galaxie satellite de la Voie lactée. Grâce à une mesure précise de la distance de ces vingt binaires à éclipse, la distance au GNM a été mesurée avec une précision inégalée de 1.0%.
Il s’agit de la première mesure de distance d’une galaxie avec une telle précision. Elle donne ainsi la meilleure référence absolue pour l’échelle des distances extragalactiques et donc pour la mesure de la constance de Hubble, actuellement objet d’une controverse.
Cette mesure est aussi fondamentale pour mieux comprendre la nature de la mystérieuse énergie noire. D’autres retombées sont attendues comme une meilleure connaissance de toutes les classes d’objets célestes situés dans le GNM, ou encore l’étalonnage et la validation d’autres méthodes de mesure de distance, par exemple les mesures de parallaxes obtenues par le satellite européen Gaia de l’Agence Spatiale Européenne (ESA).
L’apport français à ce résultat est décisif et relève d’une expertise reconnue en interférométrie optique à longue base. L’obtention d’une telle précision n’aurait pas été possible sans un nouvel étalonnage de la relation entre la couleur de l’étoile, sa magnitude apparente et son diamètre angulaire. Il a été réalisé grâce à l’instrument français PIONIER placé au foyer du grand interféromètre optique européen de l’Observatoire Européen Austral (ESO), le Very Large Telescope Interferometer (VLTI) installé au nord du Chili. Les équipes françaises possèdent une position privilégiée au niveau international pour la conception, le développement et l’exploitation des instruments interférométriques.
Ces travaux de recherche rapportés ont bénéficié du soutien de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR, projet UnlockCepheids) et du Conseil Européen de la Recherche (ERC, projet CepBin).