jeudi 22 novembre 2012
Une campagne internationale déployée en Amérique latine, qui inclut neuf chercheurs de l’Observatoire de Paris, de l’Université Pierre et Marie Curie, et du CNRS, a observé l’occultation d’une étoile par la lointaine planète naine et glacée Makemake. Avec Éris et Pluton, il s’agit du troisième plus gros objet connu au-delà de Neptune, aux confins du Système solaire. Surprise : Makemake apparaît dépourvu d’atmosphère globale. Des mesures de sa taille et de son pouvoir réflecteur ont été obtenues. Les résultats paraissent le 22 novembre 2012 dans la revue Nature.
Sa taille correspond environ aux deux tiers de celle de Pluton.
Crédit ESO/L. Calçada/Nick Risinger (skysurvey.org)
L’exploration des objets primordiaux qui évoluent au-delà de Neptune, dans la ceinture de Kuiper, se poursuit. La traque des lointaines planètes naines, résidus de la formation du Système solaire, continue… Dans la nuit du 23 avril 2011, à la faveur d’une conjonction céleste rare, calculée à l’avance par les spécialistes, Makemake (prononcer « Makémaké ») est passée devant une faible étoile de la constellation de la Chevelure de Bérénice. L’événement a été suivi par 16 télescopes soigneusement répartis dans 4 pays d’Amérique du Sud (Brésil, Uruguay, Argentine, Chili). Parmi eux, sept ont enregistré l’extinction, pendant plus d’une minute, de la lumière de l’étoile d’arrière-plan. Pour la première fois, de grands instruments astronomiques - le Very Large Telescope VLT (Paranal) et le New Technology Telescope NTT (La Silla) de l’Observatoire Européen Austral ESO, au Chili - ont pu observer le phénomène. La revue Nature du jeudi 22 novembre 2012 publie les résultats.
Il s’agit du quatrième article publié dans Nature, en dix ans, sur ce même thème à l’initiative du groupe français de chercheurs de l’Observatoire de Paris et du CNRS expert en occultation d’étoiles par les corps du Système solaire, sous la direction de Bruno Sicardy, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, membre de l’Institut Universitaire de France. Ainsi en 2002, cette équipe avait obtenu des données inédites sur l’atmosphère de Pluton. En 2005, elle avait mesuré la taille et la densité de son satellite Charon. Puis en 2010, elle a montré qu’Éris était plus petite que prévu. (136472) Makemake se classe comme la troisième planète naine en taille, derrière Éris et Pluton. Elle évolue actuellement à 7,8 milliards de kilomètres du Soleil (52 unités astronomiques, 1 ua = distance Terre-Soleil), c’est-à-dire à un éloignement intermédiaire entre celui de Pluton (31 ua) et d’Éris (97 ua). Ses taille et composition de surface semblaient en faire, jusque-là, l’un des candidats favoris pour retenir une atmosphère d’azote ou de méthane.
Le NTT de 3,55 m à La Silla ESO, où était installée la caméra rapide de l’université de Sheffield, Royaume Uni
(Stuart Littlefair / Université Sheffield / Observatoire de Paris)
Les calculs vont devoir être repris. Car l’une des retombées majeures de ce travail indique que Makemake ne possède pas d’atmosphère globale, similaire à l’enveloppe gazeuse de Pluton. La limite obtenue lors de cette campagne internationale est que la pression résiduelle exercée par les molécules en surface de l’astre ne dépasse pas un cent-millionième (10-8) de celle de l’air sur Terre, ou encore le millième de l’atmosphère de Pluton. Les astronomes en déduisent de nouvelles informations sur les conditions minimales nécessaires à l’apparition - et surtout au maintien - d’une atmosphère autour d’une planète naine.
Les mesures enregistrées fournissent, par ailleurs, une valeur précise de la taille de Makemake. Elles correspondent à un corps de forme légèrement allongée de 1430 x 1502 kilomètres de dimensions. Le pouvoir réflecteur moyen estimé (albédo, ou éclat en lumière solaire) s’avère de 77 %. C’est-à-dire que Makemake renvoie davantage le rayonnement solaire que Pluton (52 %) mais moins qu’Éris (96 %). Quoi qu’il en soit, Makemake apparaît presque aussi réfléchissante que la neige fraîche (albédo 80 %). Avec ces travaux pionniers menés depuis plus d’une décennie par l’équipe de l’Observatoire de Paris, la voie s’ouvre maintenant pour détecter d’autres occultations d’étoiles par des objets transneptuniens variés. Les événements les plus prometteurs prévus pour les mois à venir impliquent Quaoar et Sedna, susceptibles de retenir une atmosphère, ainsi que Varuna, gros corps de forme allongée et en rotation rapide.
Les télescopes géants au sol et l’observatoire aéroporté Stratospheric Observatory for Infrared Astronomy SOFIA de la Nasa seront sollicités pour ces fascinantes études.
En vert : les 4 stations qui ont observé. En rouge : les 7 qui ont eu mauvais temps.
(Observatoire de Paris / LESIA)
L’opération a été menée à l’initiative d’une équipe espagnole de l’Institut Astrophysique de Grenade, dirigée par Jose Luis Ortiz, en étroite relation avec neuf chercheurs de l’Observatoire de Paris, du CNRS, de l’Université Pierre et Marie Curie et de l’Institut Universitaire de France : Bruno Sicardy, Felipe Braga-Ribas, Emmanuel Lellouch, Jean Lecacheux, Françoise Roques, Pablo Santos Sanz et Thomas Widemann du LESIA, ainsi que François Colas et Daniel Hestroffer de l’IMCCE.
Des équipes de Rio de Janeiro (observatoires National et Valongo), de l’observatoire de Genève, de l’Institut d’Astrophysique de l’université de Liège, de l’université de Sheffield, de l’Observatoire Européen Austral, de l’Observatoire SPACE à San Pedro d’Atacama ont également participé à cette campagne, ainsi que plusieurs autres chercheurs au Chili, Argentine, Uruguay, Brésil, Espagne et Allemagne.