jeudi 5 mars 2009
Une équipe d’astronomes français et allemands, conduite par trois chercheurs du LESIA, a mesuré l’abondance du méthane et la température moyenne de l’atmosphère de la planète naine Pluton. Combinées à des mesures par occultation stellaire, ces observations fournissent des informations inédites sur la structure de cette atmosphère encore mal connue.
On sait depuis les années 1980 que Pluton possède une atmosphère très ténue, environ 100.000 fois moins dense que l’atmosphère terrestre, et composée majoritairement d’azote. Au cours des 20 dernières années, des observations par occultation stellaire ont montré que cette atmosphère est actuellement en expansion, et que sa partie supérieure a une température d’environ 100 K, nettement plus élevée que la température du sol (50 K environ). En revanche, ces observations n’ont pas permis de sonder la basse atmosphère, dont les paramètres fondamentaux (température, pression) restaient inconnus, et des hypothèses avaient été formulées quant à la possible présence d’une troposphère froide de plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur. Par ailleurs, dès 1992, des observations infrarouges avaient montré la présence de méthane gazeux dans cette atmosphère, mais leur qualité modeste et l’incertitude sur la pression totale n’avaient pas permis d’en déterminer l’abondance par rapport à l’azote.
Le spectre de Pluton dans la région de la bande 2n3 du méthane, observé le 1er août 2008 avec CRIRES/VLT. Pas moins de 17 raies individuelles du méthane gazeux sont détectées.
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En août 2008, une équipe d’astronomes français et allemands, conduite par E. Lellouch de l’Observatoire de Paris, a obtenu des spectres de très grande qualité du méthane dans l’atmosphère de Pluton avec l’instrument CRIRES du VLT (Fig. 1). La richesse de ces spectres permet de déterminer simultanément l’abondance du méthane, et sa température moyenne. Celle-ci est d’environ 90 K, ce qui indique que l’atmosphère dans son ensemble est bien plus chaude que la surface. Elle ne peut donc posséder, au plus, qu’une troposphère réduite et présente au contraire une très forte inversion thermique. En combinant ces mesures avec une réanalyse approfondie des courbes d’occultation stellaire, E. Lellouch et ses collègues ont pu obtenir de nouvelles et fortes contraintes sur la basse atmosphère, montrant en particulier que la pression au sol est comprise entre 6 et 24 microbar.
Le méthane, dont l’abondance relative à l’azote est de 0.5 %, fournit une explication naturelle à la couche d’inversion. A la manière de l’ozone sur Terre, le méthane absorbe efficacement le rayonnement solaire (mais dans l’infrarouge proche et non dans l’UV comme l’ozone) ce qui suffit à réchauffer l’atmosphère de plusieurs dizaines de degrés en quelques kilomètres.
La présence de l’azote et du méthane dans l’atmosphère de Pluton résulte de leur existence en surface en tant que glaces à l’équilibre de sublimation. Mais le méthane étant beaucoup moins volatil que l’azote, une abondance relative de 0.5 % implique qu’un processus capable d’enrichir le méthane atmosphérique est en jeu. L’existence de régions contenant de la glace de méthane pure, et celle d’une fine couche superficielle de méthane couvrant la surface de Pluton, ont été évoquées. Le suivi temporel de l’atmosphère, et bien sûr les observations de la sonde New Horizons en 2015, devraient permettre de trancher entre les deux scénarios.
Pluto’s lower atmosphere structure and methane abundance from high-resolution spectroscopy and stellar occultations E. Lellouch, B. Sicardy, C. de Bergh, H.-U. Käufl (ESO), S. Kassi , A. Campargue, 2009, A&A, sous presse