mardi 8 mars 2011
Il y a 400 ans, le 9 Mars 1611, Johannes Fabricius commença à diriger des lunettes vers le Soleil. Il n’était pas le premier à s’apercevoir des taches. Mais sa publication « De maculis in Sole observatis, et apparente earum cum Sole conversione, narratio » était bien la première où l’appartenance des taches à la surface du Soleil était démontrée. Fabricius a ainsi initié la discussion sur la nature de « ces taches importunes qui viennent troubler le ciel, et plus encore la philosophie péripatéticienne » (Galilée). Elle a contribué à montrer que la vue statique traditionnelle de l’Univers était dépassée.
Les taches solaires, régions sombres localisées sur le Soleil, sont des régions de fort champ magnétique. A l’Observatoire de Paris, sur le site de Meudon, le Soleil est surveillé quotidiennement (voir Le service d’observation du Soleil). Le cliché montre des taches solaires lors de leur passage devant l’observateur avec la rotation du Soleil.
Les taches solaires sont connues depuis des millénaires, comme en témoignent de nombreux documents asiatiques (voir Tau & Stephenson) et quelques documents européens (Wittmann & Xu). Au début du 17ème siècle, T. Harriot (Londres), J. Fabricius (Osteel, Allemagne du Nord), C. Scheiner (Ingolstadt) et G. Galilée (Florence) ont utilisé les premières lunettes pour les observer. Harriot était le premier, mais n’a pas laissé de publication.
En 1611 J. Fabricius (1587-1617), fils du pasteur et astronome David Fabricius, était étudiant à Leyde. Il semble y avoir pris connaissance de la lunette, et revint avec plusieurs exemplaires à Osteel (Frise Orientale, Allemagne) chez son père. La date précise de ses premières observations du Soleil a été donnée par David quelques années plus tard : le 9 Mars 1611. Johannes publia ses découvertes à l’automne 1611, à Wittenberg, en latin (version numérisée par exemple à l’Ecole Polytechnique de Zurich. Une traduction partielle en Anglais a été publiée par W.M. Mitchell, The History of the Discovery of the solar spots (Popular Astronomy, Vol. 24, 1916, pp. 155-159).
Le récit des observations est vivant : Fabricius dirige sa lunette vers le Soleil levant, aperçoit une tache sombre, regarde de nouveau, fait une série d’observations avec des lunettes de tailles différentes - il voit toujours la tache. Il appelle son père qui confirme, la tache est bien là, ce n’est pas un nuage. Mais est-elle bien solaire ? Si oui, on devrait la revoir le lendemain. Attente, impatience, nouvelle observation – la tache est bien là le lendemain, mais un peu déplacée. Fabricius finira par préférer une méthode de projection à l’observation directe dont il sent les lésions de ses yeux.
Puis, quelques jours plus tard, découverte d’autres taches, toutes se mouvant au fil des jours vers le bord ouest du Soleil. Vont-elles re-apparaître au bord est ? Oui, après une dizaine de jours Fabricius y voit une grosse tache, similaire à la première qui avait disparu au bord ouest. Les autres suivent. Fabricius note que les taches se déplacent plus rapidement près du centre du disque solaire que près du bord. Il finit par comprendre que c’est la perspective, qui se répercute aussi sur la forme des taches. La conclusion : le Soleil effectue une rotation autour de son axe, les taches sont bien sur la surface « sphérique et solide » du Soleil.
Fabricius a été « oublié » dans la grande discussion qui suivit sur la nature des taches, entre Galilée et Scheiner, qui se disputèrent bruyamment la priorité de la découverte en ignorant le petit étudiant. Mais peu importe qui les a « vues » le premier – l’importance des taches solaires réside dans leur signification pour la vue du monde. Pour cela, il s’agissait de démonter que les taches faisaient partie du Soleil. Fabricius était le premier à l’avoir réussi. C. Scheiner, en revanche, défend d’abord l’idée qu’il s’agissait de corps opaques tournant autour du Soleil – les taches ne seraient que les ombres de ces corps, et le Soleil serait immaculé et inaltérable, comme le postulait Aristote. A cela Galilée objecte l’argument de la perspective, déjà utilisé par Fabricius, et mieux documenté par Galilée lui-même. Puis, Galilée découvre un fait nouveau : certaines taches apparaissent, d’autres disparaissent sur le Soleil (voir cliché plus haut), alors qu’elles ne devraient que passer sans changement physique devant le disque brillant si Scheiner avait raison. Le Soleil est donc bien un objet qui change, loin de la vue statique préconisée par l’astronomie traditionnelle.
Avec la découverte des supernovae par Brahe et Kepler, celle de la variabilité de Mira Ceti par David Fabricius, la re-découverte des taches solaires et leur observation systématique à la lunette sonna le glas de l’Univers inaltérable selon Aristote. C’était un argument majeur pour la rupture de la vue du monde qu’on assimile à la « révolution copernicienne ». Quant à la physique des taches et de l’activité solaire, elle continue à être un challenge pour notre compréhension. Il y a 400 ans, à Osteel, Johannes Fabricius fut l’un des pionniers de ces interrogations.