lundi 25 août 2008
(mise à jour le 4 septembre 2008)
Une équipe internationale de scientifiques regroupant notamment des astronomes de l’Agence Spatiale Européenne (ESTEC, Pays-Bas) , du MIT (Cambridge, USA) et de l’Observatoire de Paris (LESIA) a récemment découvert que météorites et astéroïdes géocroiseurs (NEAs) diffèrent en terme de composition. La spectroscopie dans le visible et l’infrarouge proche leur a permis d’explorer la composition de surface des NEAs. On s’attendrait à ce que ces objets kilométriques aient des distributions en terme de composition semblables à celles des météorites qui nous parviennent par des impacts fréquents mais peu dangereux. De manière surprenante, cela n’est pas le cas. Environ 2/3 des géocroiseurs ont une composition semblable à celle des chondrites ordinaires LL qui ne représentent que 8% des chutes. Cette étude a permis en outre d’identifier la famille de Flora (située dans la ceinture principale interne) comme la région source majeure des géocroiseurs. Les météorites en revanche ont certainement une région source plus vaste qui pourrait s’étendre à la ceinture principale toute entière. L’effet dynamique Yarkovsky (2) pourrait être une explication plausible à ce paradoxe observationnel.
Les chondrites ordinaires (OCs) sont de loin les plus nombreuses parmi les météorites découvertes et représentent 80% des chutes. On s’attendrait à ce que la majorité des météorites ressemble à la plupart des géocroiseurs étudiés via des observations télescopiques. Les analogues astéroïdaux des chondrites ordinaires sont les astéroïdes dits de type S et de type Q.
Ces astéroïdes ont ainsi été observés dans l’infrarouge proche avec l’IRTF (télescope de la NASA situé au Mauna Kea) et l’instrument SpeX au cours d’un programme d’observation conjoint entre l’IRTF, l’Université d’Hawaii et le MIT. Ces données infrarouge sont venues compléter des données visible obtenues lors d’un précédent survey de 2000 astéroïdes. Un modèle de transfert radiatif a permis de contraindre les abondances des minéraux principaux (olivine, pyroxène) dont sont majoritairement constitués les OCs et les NEAs de types S et Q (Fig 1).
Figure 1 : Rapport olivine sur olivine+orthopyroxene [ol/(ol+opx)] pour 57 chondrites ordinaires et 38 NEAs de types S et Q. L’intervalle de composition pour les membres de la famille de Flora est indiqué ainsi que la composition des géocroiseurs potentiellement dangereux (PHAs ; 8 des 12 PHAs observés ont une composition dans l’intervalle 73-79%, la composition des 4 autres est reportée avec un symbole’+’). 95% (±4%) des OCs de type H et L sont à gauche de la ligne pointilléé (x=70) et 95% (±4%) des OCs de type LL sont à droite de cette ligne. L’abscisse des labels H, L and LL indique leur ol/(ol+opx) moyen. Il apparaît que la plupart des NEAs (63%) ont une composition compatible avec celle des chondrites LL qui ne représentent que 8% des chutes (Vernazza et al.).
Il apparaît que les météorites (OCs) et les NEAs (types S et Q) n’ont pas la même distribution compositionnelle (voir le rapport oliv/(oliv+opx) dans la Fig. 1). En particulier, la plupart des NEAs ( 2/3) ont une composition semblable aux météorites LL mais ces météorites ne représentent que 8% des chutes (10% des OCs) ! Ceci implique que les NEAs que nous observons télescopiquement (taille comprise entre 300 m et 10 km) ne sont pas les corps parents directs des météorites (taille comprise entre qq. cm et qq. m) ; météorites et NEAs proviennent donc directement de la ceinture principale mais de régions différentes au sein de cette dernière.
Il est intéressant de noter que la composition de la plupart des NEAs est compatible avec celle de la famille de Flora (cette famille se situe dans la ceinture interne ou elle représente 15 à 20% de tous les astéroïdes) ; des simulations effectuées par des dynamiciens avaient prédit que cette région devait être la source de la majeur partie des NEAs. Sur ce point, théorie et observations concordent ; néanmoins il avait également été prédit que la plupart des météorites devraient être issues de cette famille or l’étude présente montre que cela ne peut être le cas.
Il est suggéré que l’effet Yarkovsky [1] pourrait bien être à l’origine de ce surprenant paradoxe (la Fig 2. explique l’idée).
La figure 2 illustre la dynamique des petits et grands objets au sein de la ceinture principale interne. Les résonances nu-6 [2] et 3:1 apparaissent en gris foncé et leur efficacité relative ’d’envoi de matériel’ vers la Terre est mentionnée. Le carré délimité par des pointillés indique la zone (a,e) occupée par la famille de Flora. La variation moyenne du demi grand axe (en UA) due à l’effet Yarkovsky (2) est représentée par une flèche placée devant chaque objet. Pour un objet d’1km : Delta a 0.01-0.02 UA en 0.5 milliard d’années. Les zones gris claires autour des résonances indiquent les régions sources attendues pour ces NEAs. Pour un objet de 5m : Delta a 0.2 UA en moins de 80 millions d’années. L’objet peut ainsi atteindre une des 2 résonances sans aucune ’difficulté’. Enfin, la densité surfacique d’astéroïdes en fonction de la distance au Soleil est mentionnée au bas de la figure. La densité de surface plus importante près de la résonance 3 :1 permet de compenser partiellement le manque d’efficacité de cette résonance (par comparaison directe avec nu-6). En prenant en compte la densité surfacique et l’efficacité de chaque résonance, la résonance nu-6 (1) devrait être 1.5x plus efficace que la résonance 3 :1. En conclusion, les NEAs devraient majoritairement venir de la région qui borde la résonance nu-6 alors que les météorites peuvent provenir de la ceinture interne toute entière voire au delà de 2.5 UA.
Compositional differences between meteorites and near-Earth asteroids, Nature 454, 2008. P. Vernazza, R P. Binzel, C. A. Thomas, F. E. DeMeo, S. J. Bus, A.S. Rivkin, A. T. Tokunaga
– Pierre Vernazza (Docteur de l’Observatoire de Paris en postdoc à l’ESA, pierre.vernazza esa.int)
– Francesca Demeo (Observatoire de Paris, LESIA)
[1] L’effet Yarkovsky (poussée thermique des surfaces astéroidales chauffées au Soleil ) déplace les petits objets (par exemple, de 0.04 UA en 100 millions d’années pour ceux de 1 km de diamètre dans la zone des Flora ) et contribue à vider le Système Solaire de ses petits astéroïdes qui, entrant dans une zone de résonance, finissent par percuter le Soleil ou une planète, ou sont éjectés du Système Solaire. Avec l’effet Yarkovsky, le passage près d’un des gros astéroïdes de l’Anneau peut faire varier l’orbite des petits astéroïdes (0.00075 UA dans le cas de Ceres). Note extraite des pages de Gérard Faure.
[2] La résonance séculaire nu-6 est une résonance qui agit lorsque les taux de précession des longitudes de périhélie des astéroïdes correspondent à ceux de Saturne. Cette résonance marque le bord interne de l’Anneau N°1 (anneau principal). Cette résonance nu-6 et celle 3:1 seraient les plus prolifiques en nouveaux NEAs.