mercredi 25 mars 2009
(mise à jour le 26 mars 2009)
Une équipe internationale, conduite par des chercheurs de l’Observatoire de Paris, a découvert une nouvelle population de poussières dans le milieu interplanétaire : des nanoparticules, accélérées à plusieurs centaines de kilomètres par seconde par le champ magnétique transporté par le vent solaire. Il s’agit d’une retombée inattendue de l’expérience "ondes" S/WAVES à bord des sondes STEREO en orbite autour du Soleil, utilisant un récepteur radio fabriqué au LESIA.
Les nanoparticules, de taille comprise entre 1 et 100 nanomètres [1], sont à la frontière entre les structures atomiques et les objets macroscopiques. Leur petite taille leur confère un rôle privilégié, notamment pour les phénomènes de surface puisque le rapport de la surface sur le volume augmente quand la taille diminue, et leurs propriétés peuvent différer de celles des matériaux macroscopiques. Elles sont difficiles à détecter dans l’espace car elles sont hors du domaine de calibration des détecteurs de poussières conventionels. Si elles viennent d’être détectées pour la première fois dans le milieu interplétaire à 1 UA [2] du Soleil, c’est à cause de leur très grande vitesse : de l’ordre de 300 kilomètres par seconde, soit environ la vitesse du vent solaire et 10 fois plus que la vitesse typique des micropoussières à cette distance du Soleil.
Schéma du nuage de plasma en expansion produit par une nano poussière impactant à plusieurs centaines de kilomètres par seconde la sonde STEREO A.
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Quelle est l’origine de cette vitesse ? Les poussières se chargent électriquement dans le plasma interplanétaire car sous l’effet du rayonnement solaire elles éjectent beaucoup plus d’électrons qu’elles ne collectent de charges du plasma ambiant. Elles sont alors soumises à la force électromagnétique due au champ magnétique transporté par le vent solaire. Pour les nanoparticules, cette force de Lorentz est très supérieure à l’attraction gravitationnelle du Soleil et aux autres forces. Le rapport charge-sur-masse des nanoparticules [3], qui détermine l’importance des forces électromagnétiques par rapport aux forces gravitationnelles, n’est pas aussi grand que celui des ions atomiques, mais il est suffisant pour que les nanoparticules aient une fréquence de Larmor très supérieure à leur fréquence orbitale autour du Soleil. Elles tendent donc à tourner autour des lignes de force du champ magnétique transporté par le vent solaire, ce qui les accélère à des vitesses de plusieurs centaines de kilomètres par seconde.
Lorsqu’une poussière percute une sonde spatiale à cette vitesse, elle crée un microcratère dont la matière se vaporise et s’ionise, produisant un nuage de plasma en expansion (Figure 1).
Ces nuages de plasma induisent des impulsions de champ électrique qui sont détectées par le récepteur radio S/WAVES placé aux bornes des antennes électriques (Figure 2). Comme la quantité de plasma créé augmente très vite avec la vitesse d’impact, la puissance détectée est aussi importante que pour des poussières beaucoup plus grosses mais plus lentes. De plus, la configuration particulière des antennes de STEREO favorise cette détection.
Spectre de puissance mesuré sur plusieurs bandes de fréquence du récepteur S/WAVES, dû aux impacts de nano poussières (en rouge). Le spectre est d’amplitude très supérieure au spectre quasi-thermique du plasma du vent solaire (en bleu, d’après Meyer-Vernet and Perche 1989), et a une forme différente. L’encadré montre la variation de potentiel produite par un impact individuel.
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Cette signature électrique était bien connue pour avoir été mesurée à bord de plusieurs sondes spatiales, notamment dans les anneaux de poussières des planètes Saturne, Uranus et Neptune, et près de la comète de Halley, où elle est produite par des micropoussières percutant la sonde spatiale à plusieurs dizaines de kilomètres pour seconde. Mais dans le milieu interplanétaire, ces micropoussières sont beaucoup trop rares pour expliquer les nombreux impacts observés sur STEREO. Par contre ces mesures sont en accord avec le flux de nanoparticules prévu par les modèles de poussières interplanétaires, qui augmente lorsque la masse diminue (Figure 3).
Flux moyen de nanoparticules détecté par STEREO dans le vent solaire (en rouge) comparé aux modèles de flux de poussières et de petits corps en fonction de leur masse dans le milieu interplanétaire à 1 UA du Soleil (en noir). En bleu, une détection récente dans l’environnement terrestre à bord de la station spatiale internationale (ISS). En cyan, les poussières (de taille quelques dixièmes de micron) poussées par la pression de rayonnement solaire mesurées à bord de la sonde Ulysse. La figure couvre un domaine allant des nanopoussières à des objets de 10 km, soit 35 ordres de grandeur en masse. On a superposé sur la distribution une variation proportionnelle à la masse à la puissance -5/6, correspondant à un équilibre de fragmentation collisionnelle (pointillé vert).
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Des jets de nanoparticules rapides éjectées par Jupiter et Saturne avaient déjà été observés près de ces planètes par des détecteurs de poussières conventionels (en-dessous de leur domaine de calibration), et nous avons pu montrer que ces jets sont aussi détectés par le récepteur radio (RPWS) utilisant les antennes électriques de la sonde Cassini. Mais le résultat de STEREO est la première détection dans le vent solaire à 1 UA (2) du Soleil de nanoparticules vraisemblement originaires du système solaire interne.
L’instrument S/WAVES sur les sondes STEREO (P.I. J.-L. Bougeret), dédié à la télédétection des émissions électromagnétiques du Soleil dans le domaine radio ainsi qu’à la mesure in situ des ondes électrostatiques, implique le LESIA (Observatoire de Paris, INSU-CNRS, Universités Paris 6 et Paris 7), la NASA/GSFC, l’université du Minnesota (USA), et l’université de Californie (USA). Les récepteurs radio ont été construits au LESIA à l’Observatoire de Paris avec le soutien du CNES et du CNRS.
Références
Dust detection by the wave instrument on STEREO: nanoparticles picked up by the solar wind?
N. Meyer-Vernet, M. Maksimovic, A. Czechowski, I. Mann, I. Zouganelis, K. Goetz, M. L. Kaiser, O. C. St. Cyr, J.-L. Bougeret, S. D. Bale, Solar Phys. 2009 (sous presse).
Detecting nanoparticles at radiofrequencies: Jovian dust stream impacts on Cassini/RPWS
N. Meyer-Vernet, A. Lecacheux, M. L. Kaiser, D.A. Gurnett, 2009, Geophys. Res. Lett. 36, L03103
Contact
Nicole Meyer-Vernet, (Observatoire de Paris, LESIA, et CNRS)
[1] Un nanomètre (nm) est un milliardième de mètre. C’est l’ordre de grandeur de l’épaisseur d’un brin d’ADN, environ un millionième de fois plus petit qu’une tête d’épingle
[2] L’unité astronomique (UA) est la distance Soleil-Terre, environ 150 millions de km.
[3] La force électromagnétique sur une poussière est proportionnelle à sa charge électrique et au produit de sa vitesse par rapport au vent solaire par la composante du champ magnétique perpendiculaire à cette vitesse. La charge électrique d’une poussière est approximativement proportionnelle à sa surface. Le rapport charge-sur-masse, qui détermine le rapport entre les forces électromagnétiques et gravitationnelles, varie donc comme l’inverse de la taille. C’est pourquoi il est beaucoup plus grand pour les nanoparticules que pour les microparticules