mercredi 26 juin 2024
À l’aide du télescope spatial James Webb opéré par la NASA, l’ESA et la CSA (Canadian Space Agency), une équipe internationale incluant des chercheurs du LESIA, a observé la haute atmosphère de Jupiter située au-dessus de l’emblématique Grande Tache rouge de Jupiter, et a découvert toute une série de caractéristiques inédites. Cette partie de l’atmosphère, que l’on croyait jusqu’à présent quelconque, abrite en fait des structures actives complexes. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature Astronomy le 25 juin 2024.
L’image de gauche présente une image NIRCam de Jupiter en fausses couleurs. Le rouge représente les émissions aurorales dans la haute atmosphère, le vert la présence d’aérosols diffus au-dessus de la couche nuageuse qui apparait en blanc. L’image de droite présente un zoom sur la Grande Tache rouge, obtenu avec l’instrument NIRSpec. L’émission de H3+ dans la haute atmosphère est représentée en rouge et montre des structures dues aux ondes de gravité, tandis que le bleu représente les couches nuageuses de la tache rouge.
Crédits image : ESA/Webb, NASA & CSA, Jupiter ERS Team, J. Schmidt, H. Melin, M. Zamani
Jupiter est l’un des objets les plus brillants du ciel nocturne, facilement visible par nuit claire. Hormis les brillantes aurores boréales et australes des régions polaires de la planète, la luminosité de la haute atmosphère de Jupiter est faible et il est donc difficile pour les télescopes terrestres de discerner les détails dans cette région. Cependant, la sensibilité unique dans l’infrarouge du télescope JWST (James Webb Space Telescope) a permis aux scientifiques d’étudier la haute atmosphère de Jupiter au-dessus de la fameuse Grande Tache rouge avec une précision sans précédent.
La haute atmosphère de Jupiter est le lieu de l’interface entre le champ magnétique de la planète et l’atmosphère dense sous-jacente. C’est là que l’on peut observer les brillantes et éclatantes aurores boréales et australes, alimentées par les matériaux volcaniques éjectés par Io, une lune de Jupiter. Cependant, plus près de l’équateur, la structure de la haute atmosphère de la planète est surtout influencée par la lumière solaire. Comme Jupiter ne reçoit que 4% de la lumière solaire reçue par la Terre, les astronomes avait prédit que cette région serait de nature homogène.
La Grande Tache rouge de Jupiter a été observée par le spectrographe NIRSpec (Near-InfraRed Spectrograph) de JWST en juillet 2022, en utilisant la spectro-imagerie. La région située au-dessus de l’emblématique Grande Tache rouge a été ciblée pour les observations de JWST en supposant qu’elle serait homogène. L’équipe a été surprise de découvrir que la haute atmosphère abritait une variété de structures complexes, notamment des arcs sombres et des points brillants, sur l’ensemble du champ de vision.
« Nous pensions, peut-être naïvement, que cette région serait vraiment ennuyeuse », a déclaré le premier auteur de l’étude, Henrik Melin, de l’université de Leicester, au Royaume-Uni. « En fait, elle est tout aussi intéressante que les aurores boréales, sinon plus. Jupiter ne cesse de surprendre ».
Bien que la lumière émise par cette région soit déterminée par la quantité de lumière reçue du soleil, l’équipe suggère qu’un autre mécanisme doit modifier la forme et la structure de la haute atmosphère.
« L’un des moyens de modifier cette structure est l’apparition d’ondes de gravité, un peu comme des vagues qui s’écrasent sur une plage et créent des ondulations dans le sable », explique H. Melin. « Ces ondes sont générées dans les profondeurs de la basse atmosphère turbulente, tout autour de la Grande Tache rouge, et elles peuvent se propager en altitude, modifiant la structure et les émissions de la haute atmosphère ».
Les auteurs de l’étude expliquent que ces ondes atmosphériques peuvent être observées sur Terre occasionnellement, mais qu’elles sont beaucoup plus faibles que celles observées sur Jupiter par JWST. Les auteurs espèrent également effectuer à l’avenir des observations complémentaires de ces motifs d’ondes complexes à l’aide de JWST, afin d’étudier la manière dont les motifs se déplacent dans la haute atmosphère de la planète, et d’approfondir notre compréhension du bilan énergétique de cette région et de l’évolution de ces caractéristiques dans le temps.
Ces résultats pourraient également servir de base à Juice, la mission d’exploration des lunes glacées de Jupiter de l’ESA, qui a été lancée le 14 avril 2023. Juice effectuera des observations détaillées de Jupiter et de ses trois grandes lunes océaniques - Ganymède, Callisto et Europe - à l’aide d’une série d’instruments de télédétection et d’analyse in situ. La mission permettra de caractériser ces lunes en tant qu’objets planétaires et habitats possibles, d’explorer en profondeur l’environnement complexe de Jupiter et d’étudier le système de Jupiter dans son ensemble en tant qu’archétype des géantes gazeuses de l’Univers.
Ces observations ont été réalisées dans le cadre du programme scientifique #1373 (Early Release Science) : ERS Observations of the Jovian System as a Demonstration of JWST’s Capabilities for Solar System Science (Co-PIs : I. de Pater, T. Fouchet).
« Cette proposition ERS a été rédigée en 2017 », partage Imke de Pater, membre de l’équipe de l’Université de Californie à Berkeley. « L’un de nos objectifs avait été d’étudier pourquoi la température au-dessus de la Grande Tache rouge semblait élevée, comme l’avaient révélé à l’époque des observations récentes avec le télescope infrarouge de la NASA. Cependant, nos nouvelles données ont apporté des résultats inattendus ».