mercredi 24 mai 2023
Six ans après la fin de la mission Rosetta, pierre angulaire du programme d’exploration de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) dédiée aux petits corps, notamment à la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko, l’analyse de l’extraordinaire moisson des données continue. Les observations, réalisées entre 2014 et 2016, ont permis de recenser et caractériser de la glace d’eau directement exposée à la surface de la comète. Cet important travail, réalisé par une équipe dirigée par Sonia Fornasier, professeure à l’Université Paris Cité et menant ses recherches au LESIA, a été publié fin avril 2023 dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Pour le grand public, cela fait longtemps que la page de la mission Rosetta est tournée. Lancée en 2004, elle a atteint la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko en 2014. Dix ans de voyage avec 3 assistances gravitationnelles autour de la Terre et une autour de Mars pour, par « effet de fronde », accélérer la vitesse de la sonde jusqu’à sa destination. Une fois sur place, Rosetta a orbité autour de la comète pendant 25 mois environ soit d’août 2014 à septembre 2016.
Image approximative en vraies couleurs de la comète 67P prise par la caméra OSIRIS Narrow Angle Camera de la sonde Rosetta le 17 mars 2015. Cette image est une mosaïque de quatre images, chaque image étant prise avec les filtres VIS_BLUE, VIS_GREEN et VIS_RED. Au moment où cette image a été prise, Rosetta se trouvait à environ 82 km du centre de la comète.
Crédits : ESA / Rosetta / MPS for OSIRIS Team (MPS / UPD / LAM / IAA / SSO / INTA / UPM / DASP / IDA) / Justin Cowart
Quelques informations sur 67P/Churyumov-Gerasimenko pour commencer. Il s’agit d’une comète de 4 kms de diamètre environ qui a une forme particulière puisqu’elle est constituée d’un gros lobe et d’un petit lobe. On pense qu’à l’origine, au moment de la formation du Système solaire, il y a 4,6 milliards d’années, deux corps se sont télescopés à basse vitesse pour n’en faire plus qu’un. L’étude de la comète montre, par ailleurs, une plus grande abondance de matières volatiles donc de glace exposée dans le grand lobe.
Pour la première fois dans l’histoire de l’exploration spatiale, le 12 novembre 2014, un atterrisseur baptisé Philae s’est même posé sur cette comète. L’objectif était d’en permettre une exploration plus fine encore et une moisson d’informations plus féconde. Mais, pour les chercheurs, la notion de temps n’a rien à voir avec la nôtre. En 2023, le travail minutieux, passionnant et fructueux d’analyse des données collectées par Rosetta et Philae est loin d’être parvenu à son terme.
Depuis 1998, c’est une grande partie de sa carrière que Sonia Fornasier a consacrée à Rosetta. En effet, en préambule à la mission, elle s’est investie pendant 7 ans dans la partie instrumentale qui a permis la conception et la calibration de l’instrument OSIRIS (Optical, Spectroscopic, and Infrared Remote Imaging System). Il est composé de deux caméras : la NAC (Narrow Angle Camera), à haute résolution spatiale optimisée pour l’étude du noyau, et la WAC (Wide Angle Camera), à grand champ de vue, optimisée pour l’étude de l’atmosphère cométaire. Cet instrument est celui qui a fourni le plus données à la mission, donc qui a produit la matière indispensable à l’article qui est l’objet de ce communiqué. « Cet article » déclare-t-elle, « vient clore le chapitre Rosetta de ma carrière ».
Image fixe de Philae se séparant de Rosetta et descendant à la surface de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko en novembre 2014.
Crédits : ESA/ATG medialab
Mais quel est l’intérêt d’envoyer une mission vers une comète alors qu’on pourrait l’étudier à l’aide d’instruments au sol ? Il s’agit essentiellement d’examiner de près le noyau cométaire ainsi que l’atmosphère générée progressivement par la sublimation des glaces lorsqu’une comète s’approche du Soleil. Une comète passe par deux phases. Une phase inactive quand elle est loin du Soleil, notamment proche de l’aphélie, le point le plus éloigné de notre étoile (situé à 5,7 ua pour 67P). Puis elle connaît une phase « active » lorsqu’elle s’approche du Soleil, générant ainsi l’atmosphère cométaire (la coma), et des queues de poussières et d’ions.
Rosetta a commencé ses observations de la comète 67P en août 2014, quand elle était à 4 ua du Soleil et peu active, ce qui a permis, entre autres, l’étude détaillée du noyau. La sonde a ensuite suivi la comète pendant deux ans en passant par le périhélie (le point le plus proche du Soleil, situé à 1,24 ua pour 67P). C’est à peu près à ce moment que la comète atteint son pic de sublimation. Une phase où la sonde a dû être éloignée jusqu’à 1000 km de la 67P, une distance de sécurité qui la mettait à l’abri des impacts des poussières et des particules éjectées par l’activité cométaire.
Puis 67P s’est à nouveau éloignée du Soleil. La mission a été prolongée de 9 mois jusqu’en septembre 2016 pour permettre, avec une prise de risque supplémentaire car la mission touchait à sa fin, de s’approcher au plus près de la comète pour en obtenir des images à plus haute résolution. Ce sont elles qui ont permis d’identifier la majorité des petites taches brillantes à la surface dont les chercheurs ont déduit qu’il s’agissait de glace d’eau.
Des chercheurs du LESIA (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique) ont examiné les milliers d’images prises par les caméras de l’instrument OSIRIS à bord de Rosetta pour identifier la glace d’eau directement visible à la surface de la comète 67P. Il en résulte un catalogue de plus de 600 entrées qui précise la taille, la durée de vie et la position de la glace d’eau sur la surface cométaire.
Une méthodologie rigoureuse a été appliquée. Elle est basée sur l’analyse de la réflectance [1] et de la couleur des images d’OSIRIS, préalablement traitées pour en optimiser la qualité. En effet, les zones enrichies en glace d’eau sont beaucoup plus brillantes et ont une couleur beaucoup moins rouge que celle du terrain sombre, caractéristique du noyau de 67P. Quand ces deux conditions sont réunies, des observations conjointes réalisés avec OSIRIS et VIRTIS, un spectro-imageur visible et proche infrarouge, en partie réalisé au LESIA, ont mis en évidence les signatures spectrales de la glace d’eau sur quelques points brillants observés avant cette étude. VIRTIS a également montré que la comète était riche en matières carbonées et organiques.
Image de la comète 67P avec en superposition les contours et le nom de certaines régions d’intérêt (en haut à gauche). En haut à droite : image en couleurs et en haute résolution (30 cm/pixel) prise le 25 juin 2016 d’une partie de la région d’Anhur, celle qui présente le plus grand nombre de taches brillantes. En bas à gauche, nous montrons la modélisation spectrale des points brillants numérotés 489, 487, et 486. Le rectangle blanc en bas à droite indique la surface où des petites taches brillantes (surface < 1 mètre carré) très riches en glace d’eau ont été observées, et bien visible sur l’image en bas à gauche, prise le 16 juillet 2016. Les numéros se réfèrent à l’ordre des régions exposant la glace d’eau répertoriés dans le catalogue.
Crédits : OSIRIS-Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA
La majorité des zones qui présentent de la glace d’eau ont une surface inférieure au mètre carré, ce qui indique que la haute résolution spatiale est nécessaire pour identifier la glace à la surface des noyaux cométaires. Malgré les nombreuses taches brillantes mises en évidence (603 en tout), la surface totale de glace d’eau visible est inférieure à 50 000 m2, ce qui représente 0,1 % de la surface du noyau de 67P.
Cela confirme que la surface de cette comète est dominée par des terrains sombres et réfractaires principalement constitués de matière carbonée et organique. La glace exposée à la surface, pour sa part, n’occupe qu’une infime partie (0.1% de la surface totale de la comète). Elle atteint toutefois localement, sur les taches brillantes, une proportion de 20-30 %, qui peut même s’élever jusqu’à 70-80% de la surface dans quelques zones bien délimitées (voir Fig.1 ci-dessus) du noyau de 67P. De plus, l’abondance de la glace d’eau visible est six fois moins importante dans le petit lobe que dans le grand lobe ce qui renforce l’hypothèse selon laquelle la comète 67P est un objet binaire composé de deux corps distincts qui présentent différentes propriétés physiques.
Le fait que la majorité des zones présentant de la glace d’eau aient une surface inférieure à 1 m2 (voir Fig. 2 ci-dessous) plaide en faveur du modèle de noyau cométaire récemment proposé par Ciarniello et al. (2022, Nat. Astron., 6, 546). Dans ce modèle, les noyaux cométaires sont dominés par une matrice de matériaux réfractaires incluant des blocs enrichis en glace d’eau (WEBs ou Water Enriched blocks) d’une taille comprise entre 0,5 et 1 m2, distribués de façon homogène dans le noyau cométaire. Ces blocs seraient exposés à la surface suite à l’érosion consécutive à l’activité cométaire.
À gauche : Fréquence des zones exposant de la glace d’eau (Bright spots ou BS) en fonction de leur taille (diamètre). On voit clairement que la plupart de ces régions a une taille inférieure à quelques mètres. À droite : fréquence des zones exposant de la glace d’eau (BS) en fonction de leur surface observées après le passage du périhélie et avec une résolution spatiale < 1m/pixel.
Crédits : article Fornasier et al. 2023
Il ressort de cette étude que la glace d’eau est bien présente dans la comète 67P mais qu’en surface elle se sublime rapidement. On l’observe donc de manière très localisée et sur des surfaces très petites. Si on souhaite un jour la rechercher sur d’autres noyaux cométaires, il faudra envisager de s’approcher très près pour avoir la meilleure résolution spatiale possible car les surfaces occupées sont généralement inférieures au mètre carré.
Par ailleurs, si une mission de retour cryogénique d’échantillons cométaires était organisée dans le futur (de telles missions sont à l’étude à l’ESA et à la NASA), il faudrait obligatoirement disposer d’imagerie à haute résolution spatiale. Elle seule permettrait d’identifier la glace d’eau, qui est éparpillée en toutes petites taches sur une vaste surface. De grands défis à relever donc pour les scientifiques de demain !
Contact :
Sonia Fornasier, professeure à l’Université Paris Cité et chercheuse au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA)
Lien vers l’article sur le site A&A :
https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2023/04/aa45614-22.pdf
[1] La réflectance d’un noyau cométaire est la proportion de lumière réfléchie par sa surface par rapport à la lumière solaire incidente.