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Anne-Marie Lagrange est promue officière de la Légion d’honneur

vendredi 19 novembre 2021

Le vendredi 12 novembre 2021, Anne-Marie Lagrange, académicienne et astrophysicienne au LESIA, a reçu les insignes du grade d’Officière de la Légion d’honneur. Cette distinction vient récompenser la qualité de ses travaux de recherche sur les exoplanètes et sa carrière au CNRS, à l’IPAG (Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble) et à l’Observatoire de Paris.

Anne-Marie-Lagrange
Anne-Marie-Lagrange

Crédits image : DR

Anne-Marie Lagrange décrit son parcours comme « classique ». Depuis toujours, passionnée par les mathématiques et la physique, elle considère ces matières comme un jeu qui a pour vocation d’ouvrir l’esprit, peut-être aussi de faciliter l’ascension sociale. Elle estime qu’il n’est pas besoin de pré requis, de don particulier pour être bon en maths ou en physique contrairement à ce qui lui semble prévaloir pour les arts plastiques ou la littérature. C’est comme si c’était naturel. Pour elle, il ne faudrait pas éprouver cette peur des sciences en général et des mathématiques en particulier, une peur qu’elle déplore par ailleurs car elle peut décourager des talents.

Elle s’engage donc résolument dans la voie des études scientifiques : classe préparatoire, Polytechnique puis une thèse à l’Institut d’Astrophysique de Paris. Elle complète son parcours par un post-doc à Munich à l’issue duquel, en 1990, elle intègre le CNRS au Laboratoire d’Astrophysique de Grenoble. Elle y fonde une petite équipe qui a pour objectif l’étude des systèmes planétaires et des exoplanètes, sujet totalement novateur à l’époque. Pionnière de ce domaine, elle commença par étudier des exocomètes et des disques de poussières autour des étoiles. Jusqu’au jour où elle croisa l’une d’entre-elles, Beta Pictoris : cette étoile allait devenir le fil rouge de sa carrière.

C’est lors d’une de ses missions d’observation au Chili, à l’observatoire de La Silla, qu’elle retrouve Pierre Léna, son ancien professeur. Elle faisait alors de la spectroscopie et lui de l’imagerie directe avec le premier système d’optique adaptative. Ils décident de combiner leurs approches et d’étudier conjointement Beta Pictoris en imagerie directe. Anne-Marie Lagrange construit alors, avec Jean-Luc Beuzit puis David Mouillet, un coronographe qui permet d’occulter la lumière de l’étoile et l’installe dans l’instrument sur lequel Pierre Léna travaille. Ils sont ainsi parvenus à prédire l’existence d’une planète, baptisée Beta Pictoris b, autour de cette étoile.

Pour améliorer encore ce résultat, ils ont poursuivi l’étude de ce système en imagerie directe et optique adaptative sur NAOS, un instrument de nouvelle génération installé sur l’un des 4 télescopes de 8 m du VLT dont elle est le Project scientist. C’est en 2009, enfin, que la planète a pu être imagée par cet instrument. Beta Pictoris b est une géante gazeuse qui fait une dizaine de fois la masse de Jupiter et tourne autour de Beta Pictoris en 20 années environ. Une découverte majeure donc. Continuant son exploration, elle découvre, 10 ans plus tard, une seconde planète géante dans le système, trois fois plus proche de l’étoile que Beta Pictoris b, avec l’instrument HARPS en spectroscopie. Trop proche pour être imagée avec NAOS ou son successeur SPHERE, Beta Pictoris c sera détectée l’année suivante avec l’instrument GRAVITY sur l’interféromètre du VLT.

Mais, infatigable, Anne-Marie Lagrange n’en reste pas là et se lance sur la piste d’autres étoiles, d’autres exoplanètes, en imagerie directe et également en spectroscopie par la méthode des vitesses radiales. Elle s’intéresse aux étoiles qui, jusque-là, n’étaient pas observées avec cette méthode : étoiles chaudes dès les années 90, puis étoiles jeunes dans les années 2000. Les étoiles jeunes sont particulièrement intéressantes car elles sont les cibles privilégiées de l’imagerie haute dynamique. On peut donc espérer pour ces étoiles, avoir une exploration complète de leur environnement en couplant les deux méthodes. Il aura fallu 15 ans pour que ce soit enfin possible.

Anne-Marie Lagrange devant l'un des télescopes du VLT de l'ESO sur le site (...)
Anne-Marie Lagrange devant l’un des télescopes du VLT de l’ESO sur le site de Paranal au Chili

Elle s’intéresse aussi depuis plus de dix ans, à la détectabilité en vitesses radiales ou en astrométrie des « jumelles de la Terre » dans la zone habitable de leur étoile, et aux limitations imposées par l’activité stellaire. Après 30 ans de recherches à Grenoble, elle a rejoint le LESIA en 2020 où elle développe un groupe autour de la recherche et de la caractérisation des exoplanètes. Elle est également professeure attachée à PSL où, dans le cadre de la PSL Week, elle organise, pour la première fois en novembre 2021, une semaine de cours autour des exoplanètes.

Ce qui, tout à la fois, préoccupe et motive Anne-Marie Lagrange, c’est l’accès aux matières scientifiques, en particulier pour les femmes. Issue d’un milieu modeste, elle est également très sensible à la problématique de l’éducation pour tous comme facteur d’ascension sociale. Sa différence, elle l’a ressentie dans sa chair. Femme et fille d’ouvriers, elle faisait partie des minorités à Polytechnique d’où sa forte sensibilité à la question de l’égalité des chances. Sa contribution à cette noble cause ? Elle donne régulièrement des conférences dans des établissements scolaires en zone sensible où elle intervient devant des classes pour aborder ces questions et inciter les élèves à croire en leur capacité à embrasser les matières scientifiques, à faire carrière dans la recherche. À Grenoble, elle était marraine d’un collège situé dans un quartier difficile et l’école de son enfance à Ceyzérieu porte à présent son nom. Tout en modestie, elle évoque cet investissement du bout des lèvres, exprimant son regret de ne pas avoir le temps d’en faire plus.

Peut-être un projet d’après-carrière qui ferait sens ? Dénicher et faire fleurir les jeunes talents après avoir voué sa vie à débusquer les exoplanètes. Avec toujours le même credo : la passion des sciences et, en particulier, de l’astronomie et l’astrophysique, la passion du partage et de la transmission aussi. Elle avoue d’un ton malicieux et avec un sourire dans la voix qu’elle n’arrive jamais à « se débrancher » ! Alors, cette énergie dont elle déborde, nous pouvons prendre le pari qu’elle l’offrira aux « astronomes en herbe », pour contribuer à faire d’eux les scientifiques de demain.

Portrait rédigé par Luc Heintze