vendredi 28 juillet 2017
L’activité solaire peut épisodiquement affecter les infrastructures humaines, et en particulier les systèmes de télécommunication. Comprendre son origine physique, prévoir son intensité et anticiper ses effets sur l’environnement terrestre est le rôle de la météo spatiale. Dans ce contexte, plusieurs chercheurs de l’Observatoire de Paris/LESIA sont impliqués dans le projet européen FLARECAST qui vise à améliorer la prédiction des éruptions solaires. De récents résultats obtenus par l’équipe parisienne ouvrent de nouvelles pistes pour la prédiction de ces événements parmi les plus énergétiques du Système solaire.
Éruption solaire vue par l’imageur Atmospheric Imaging Assembly (AIA) à bord de la mission américaine SDO. À gauche, une vue d’ensemble du Soleil (94 A), et à droite un zoom sur l’éruption (131 A).
Crédit : SDO/AIA
Les éruptions solaires sont des manifestations de l’activité intense du Soleil, avec un pic d’activité et donc du nombre d’éruptions tous les 11 ans environ. Ces éruptions libèrent des radiations sur la totalité du spectre électromagnétique et sont parfois accompagnées de l’éjection de particules fortement énergétiques. Ces particules énergétiques peuvent déclencher au niveau de la Terre des orages magnétiques, altérant nos systèmes de télécommunication, perturbant les satellites et entre autre la navigation GPS. Ainsi la prévision rigoureuse des éruptions solaires est un ingrédient essentiel pour la météorologie spatiale. Le projet européen FLARECAST (Flare Likelihood And foRECASTing) vise à améliorer la prédiction des éruptions solaires. FLARECAST utilise des algorithmes de pointe d’apprentissage automatique et d’exploration de données en observant en quasi temps réel les régions actives du Soleil, le siège des éruptions (cf. figure 2).
Les prédictions actuelles se basent principalement sur la mesure des paramètres physiques de ces régions actives. L’énergie associée au champ magnétique joue un rôle fondamental dans le déclenchement des éruptions. Ces paramètres sont donc majoritairement estimés à partir de mesures systématiques du champ magnétique à la surface solaire (appelé magnétogrammes, voir figure 2 - droite).
Une région active le 14 février 2011 – 20:35:25 UT, vue dans l’UV avec l’instrument SDO/AIA 171Å (gauche) et le magnétogramme à la surface correspondant, obtenu par l’instrument SDO/HMI (droite – niveau de gris). Le champ magnétique coronal est ensuite reconstruit en 3D à partir de ce magnétogramme 2D, et indiqué par les lignes colorées.
Crédit : Xudong Sun et al. 2012, ApJ, 748, 2.
FLARECAST extrait de manière automatique de nombreux paramètres physiques associés aux régions actives, via les magnétogrammes de l’instrument Helioseismic and Magnetic Imager (HMI) à bord de la mission américaine Solar Dynamics Observatory (SDO). Ces paramètres sont ensuite comparés aux données empiriques des précédentes éruptions via des algorithmes de pointe d’apprentissage automatique et d’exploration de données, pour finalement déduire des critères d’éruptivité..
Cependant les mécanismes physiques à l’origine des éruptions solaires sont à l’heure actuelle mal compris, et on ne sait pas encore clairement quel paramètre, ou combinaison de paramètres physiques observables est utile à la prédiction. A l’heure actuelle, il n’existe pas encore de critère observable, c’est-à-dire de variation d’une ou plusieurs quantité physiques, efficace pour prévoir leur occurrence. En revanche, si la pertinence de ces paramètres observables a été testée majoritairement sur des observations, très peu d’études se concentrent sur les modèles numériques d’éruptions, en dépit des fortes avancées récentes.
Dans ce contexte, Guennou et al. (2017) ont testé de nombreux paramètres magnétiques, en utilisant les simulations numériques paramétriques 3D magnéto-hydrodynamiques (MHD) d’émergence de flux de Leake et al. (2013, 2014). Ce type de simulations permet de décrire l’évolution d’un plasma en présence de champ magnétique, et est particulièrement bien adapté pour la modélisation de l’atmosphère solaire. Dans une simulation numérique, l’expérience menée est contrôlée, i.e. on connaît l’évolution de l’ensemble du système, ses conditions physiques à chaque instant, et on peut donc comprendre l’origine physique de chaque processus observé. En analysant ces simulations comme si elles étaient de vraies données d’observations, on peut alors comprendre les raisons physiques de la variation de certaines quantités à la surface, tester et développer de nouvelles grandeurs qui présentent une évolution intéressante pour la prévision.
Au total, ce sont 7 simulations numériques qui ont été testées dans ce travail, dont 3 simulations conduisant à la formation de régions actives stables, i.e. non-éruptives et 4 formant des éruptions. Deux de ces simulations sont représentées en 3D sur la figure 3, dont une simulation non-éruptive (droite) et une simulation non-éruptive (gauche). L’éruption est déclenchée en fonction d’un seul paramètre, l’orientation du champ magnétique coronal initial. Pour déterminer le potentiel prédictif des paramètres testés, il faut évidemment comparer aux régions actives pour lesquelles il ne se produit pas d’éruption. Pour qu’un paramètre physique mesuré à la surface solaire soit considéré comme un bon indicateur du déclenchement d’une éruption, il faut donc qu’il présente les caractéristiques suivantes :
Vue 3D de l’émergence du tube de flux convectif dans l’atmosphère solaire environ 50 min après le début de l’émergence (haut) et environ 2h20 après (bas), pour les simulation stable (gauche) et éruptive (droite). Le champ magnétique coronal en forme d’arcade est indiqué en cyan, tandis que le tube de flux est indiqué en rouge. Le plan en échelle de gris est un magnétogramme représentant le champ magnétique à la surface.
L’ensemble des paramètres testés dans le travail de Guennou et al (2017) a permis de tester une centaine de paramètres sur ces 7 simulations, en les analysant comme de vraies données, pour ne se concentrer que sur les signatures éruptives détectables uniquement à partir de magnétogrammes 2D. Les résultats montrent que pour ce type de simulations, seuls les paramètres liés à la ligne d’inversion magnétique, c’est-à-dire quand le champ magnétique vertical change de signe, présente une forte augmentation détectable avant l’éruption. Au total, sur la centaine de paramètres testés donc, seuls 6 paramètres apportent une information fonction de la nature éruptive ou non de la simulation, moyennant un pré-traitement des données rigoureux (cf. figure 4, où 4 de ces 6 paramètres sont représentés).
Pour chacun des paramètres, on voit clairement que les simulations éruptives présentent des valeurs plus importantes que les simulations non-éruptives, et ce largement avant l’éruption. Ce type de comportement, détecté dans ces simulations est donc potentiellement détectable dans de vraies données et pourrait donc apporter de nouvelles information sur le caractère éruptif d’une région active. Ces résultats sont très prometteurs pour l’amélioration de la prédiction des éruptions solaires, fournissant de nouveaux indicateurs permettant de discriminer régions actives stables et instables.
Évolution de 6 des 99 paramètres testés. Les simulations non-éruptive (respectivement non-éruptives) correspondent aux couleurs froides (respectivement chaudes). L’éruption, si elle a lieu, se déclenche à environ t = 120 t0, soit environ 2h après le début de l’émergence, et est indiquée par la ligne verticale en pointillé grise. Haut : l’hélicité de courant, et le courant total mesuré. Ces deux paramètres montrent le même comportement quelque soit le type de simulation ; ils ne peuvent donc pas être utilisé pour de la prévision. Milieu/ Bas : 4 des 6 paramètres liés à la ligne d’inversion magnétique, qui présentent des signatures pré-éruptives, i.e. des valeurs plus grandes avant l’éruption.