vendredi 29 septembre 2017, par Ludwig Klein et Etienne Pariat
Le Soleil, étoile apparemment calme, révèle une intense activité quand on observe les rayonnements caractéristiques de la couronne, en particulier dans les domaines gamma, X, UV extrême et radio. C’est le résultat de la dynamique du champ magnétique. La conversion explosive d’énergie est un processus fondamental en astrophysique, que l’on peut étudier en détail au Soleil, grâce à sa proximité. Nous avons la possibilité unique de combiner des méthodes de télédétection avec différents diagnostics in situ. Les rayonnements, les structures magnétiques ou les particules de haute énergie éjectées par le Soleil affectent d’autre part l’environnement spatial de la Terre et la technologie embarquée, ce qui fait que la recherche fondamentale trouve des applications dans les efforts de prévision de l’activité solaire.
En regardant la photo d’une éclipse solaire, nous apercevons la couronne. Contrairement à la photosphère sous-jacente, elle a une forme très irrégulière. C’est ainsi parce que la gravitation, qui forme la photosphère, n’est pas la force dominante dans la couronne : celle-ci est structurée par le champ magnétique qui est « ancré » dans l’intérieur du Soleil (voir l’article sur le champ magnétique solaire). Or cet intérieur est un gaz avec des écoulements à diverses échelles spatiales. En témoigne la granulation, qui révèle des mouvements de convection dans les couches externes du corps solaire. De ce fait la structure de la couronne n’est pas statique comme celle du champ magnétique d’un aimant. Le cliché d’ une éclipse nous montre un instantané d’une couronne variable sur de nombreuses échelles spatiales et temporelles.
Les manifestations les plus spectaculaires de ces instabilités sont les éjections de masse et les éruptions, où de l’énergie stockée dans les courants électriques qui circulent dans la couronne est libérée de façon explosive.
La forte dynamique de la couronne est particulièrement bien illustrée par les observations continues des coronographes embarquées sur des sondes spatiales, comme le coronographe LASCO à bord de la sonde Solar and Heliospheric Observatory SoHO (ESA & NASA). Depuis 2006 elle est observée avec une cadence plus élevée par les coronographes SECCHI sur les deux sondes de la mission Solar-Terrestrial relations Observatory STEREO (NASA, avec une contribution européenne importante).
Séquence d’images montrant une éjection de masse (la structure en haut à gauche du disque d’occultation). C’est de la matière propulsée hors de la couronne, avec le champ magnétique qui la confine.
La figure ci-dessus montre une série de clichés lors d’une éjection de masse (anglais : coronal mass ejection, CME). Dans le premier cliché on voit la couronne avant l’événement, avec, en bas à droite, un "grand jet", typique des structures de longue durée visibles lors des éclipses. Dans les images suivantes, on voit l’éjection d’une structure en haut à gauche du disque d’occultation. La vitesse de la matière dépasse la vitesse de libération du Soleil. Cette matière, emmenée par le champ magnétique qui la confine, quitte donc le Soleil vers l’espace interplanétaire. Des protons sont accélérés à de hautes vitesses et injectés dans l’espace interplanétaire. Ils y interagissent avec le satellite, engendrant les éclairs blancs visibles dans l’image de droite.
Les éruptions solaires (« flares » en anglais), découvertes il y a 150 ans, sont des embrillancements brusques du rayonnement dans différents domaines du spectre électromagnétique. Ils sont particulièrement prononcés dans les émissions de la couronne : ultra violet extrême (EUV), rayons X, ondes radioélectriques. Des émissions sporadiques apparaissent en rayons X de très courtes longueurs d’ondes, appelés « rayons X durs », et aux ondes électromagnétiques les plus courtes, les rayons gamma. D’ordinaire on ne voit pas le Soleil à ces longueurs d’onde-là. Il faut un événement particulier, pendant lequel des électrons et ions sont accélérés à de très grandes vitesses, avoisinant parfois la vitesse de la lumière.
Observation d’une éruption solaire par le satellite SDO (NASA).
Un exemple : les trois clichés ci-dessus, pris par l’Atmospheric Imaging Assembly (AIA) du satellite SDO. Nous voyons (à gauche) une région active avec ses boucles magnétiques. Le début de l’éruption se manifeste par un embrillancement brusque (cliché du centre). Puis on voit l’affaiblissement de cet embrillancement et l’apparition de nouvelles boucles (cliché à droite), traduisant la formation de nouvelles structures magnétiques (voir plus loin).
Détail de l’éruption montrée en Fig. 2. Observation par le satellite SDO (Solar Dynamics Observatory, NASA).
L’animation ci-dessus (satellite SDO, NASA) montre les détails de l’éruption : on voit d’abord l’embrillancement, puis l’éjection de matière - un filament - vers le bas et la droite, puis la formation de boucles brillantes qui s’étendent dans l’espace au cours du temps.
Un autre exemple (animation 2) : l’éruption d’un filament et la formation de deux filets brillants de part et d’autre de son ancienne localisation, vues dans la raie H alpha de l’hydrogène neutre. Le filament, trace sombre en haut à droite de l’image solaire, auparavant « quiescent », commence à s’agiter, monte dans la couronne, s’envole et devient invisible. Des deux côtés de l’ancien filament se forment deux filets brillants qui se séparent, puis disparaissent. Le filament disparaît parce que sa matière se dilue et est chauffée. L’hydrogène neutre responsable de l’absorption dans la raie H alpha devient de plus en plus rare. En même temps la chromosphère est chauffée de part et d’autre du filament et devient brillante, le long de deux filets étroits.
La matière éjectée du filament fait en général partie de l’éjection de masse que voient les coronographes. Dans la Figure1 ci-dessus, la deuxième éjection de masse montre clairement une structure en bulbe qui inclut une structure brillante plus compacte : c’est la matière du filament qui était auparavant visible dans la raie H alpha.
Les éruptions et éjections de masse sont étroitement liées. Le terme éruption désigne la conversion d’énergie en chaleur et en énergie cinétique de quelques particules chargées, alors que l’éjection de masse se rapporte à l’expulsion d’une grande structure magnétique. Les deux phénomènes ne se manifestent pas toujours ensemble durant un événement donné - c’est la configuration magnétique de la couronne qui détermine la façon dont se manifeste l’activité éruptive du Soleil.
Coupe 2D de la configuration d’un filament et son évolution entraînant la reconnexion magnétique.
Qu’était la situation initiale, avant l’éruption ? Nous illustrons schématiquement nos idées par la Figure ci-dessus. C’est une coupe 2D du filament, entouré de son propre champ magnétique (cercle vert) et du champ magnétique ancré dans le Soleil (lignes de force dessinées en rouge et marron, Fig. 3.a). Les mouvements aux « pieds » des champs magnétiques dans la photosphère font monter la structure magnétique et le filament, des lignes de force opposées se rapprochent au-dessous du filament (Fig. 3.b). Une région de très forts courants électriques se développe (Fig. 3.b, c, rectangle jaune). Dans cette situation les lignes de force peuvent se « reconnecter » - avec deux conséquences (Fig. 3.d) :
(1) La configuration magnétique confinant le filament monte et finira par se détacher de son ancrage dans la photosphère – le filament s’envole, une éjection de masse a lieu ; si la vitesse de montée est élevée, une onde de choc se formera en amont, comme l’onde de choc d’un avion supersonique.
(2) Au-dessous de l’ancien site du filament se forment de nouvelles boucles magnétiques. Lors de la reconnexion des lignes de force, l’énergie emmagasinée est libérée, utilisée pour chauffer le plasma et accélérer des particules à des vitesses élevées. Elles sont ensuite injectées vers le bas, le long des lignes de force formant la nouvelle boucle, et vers le haut, pouvant ainsi s’échapper vers l’espace interplanétaire. Les nouvelles boucles qui se forment au-dessous du filament contiennent du gaz chaud – elles apparaissent d’abord comme des structures brillantes en rayons X et en EUV, puis, quand le gaz s’est refroidi, en H alpha. Ce sont ces boucles-là que l’on voit se former dans l’animation 1. Le dépôt d’énergie aux pieds de ces boucles chauffe la chromosphère, qui émet par exemple dans la raie H alpha – ce qui crée les deux filets brillants que nous avons vus dans l’animation 2. C’est l’émission en lumière visible de ces régions-là qui a conduit à la première détection d’une éruption en 1859, par le scientifique anglais R. Carrington.
Le gaz de la couronne solaire est constitué d’électrons, de protons, de noyaux d’atomes d’hélium et d’une petite fraction de noyaux plus lourds. Dans ce gaz, à une température de 1 à 2 millions de degrés, l’énergie moyenne des particules est d’environ 100 à 200 eV (électron-Volt). Les vitesses moyennes dépendent de la masse des particules : les électrons ont une vitesse moyenne d’environ 8000 km/s, les protons, qui sont plus massives, de seulement 200 km/s. Lors des éruptions fortes, en revanche, on observe des électrons, protons et ions dont la vitesse peut avoisiner celle de la lumière, 300 000 km/s. Il faut donc comprendre comment le Soleil accélère des protons de 200 km/s à presque 300 000 km/s – les protons les plus énergétiques sont 1500 fois plus rapides que la moyenne des protons dans la couronne.
Pour se convaincre qu’une telle accélération est considérable, on peut la comparer avec un exemple terrestre : des piétons marchent à différentes vitesses, la vitesse moyenne étant de 4 km/h. Les plus rapides font bien mieux, mais aucun ne court plus vite que 100 m en environ 10 s, c’est-à-dire 36 km/h : le « piéton » le plus rapide ne court que neuf fois plus vite que la moyenne. Un facteur 9 par rapport à 1500, quand on regarde les particules chargées du Soleil. Comprendre une telle accélération des particules est un défi majeur, qui motive bon nombre de recherches menées au sein du pôle de physique solaire du LESIA.
Nous connaissons les manifestations de l’activité dans la couronne, mais les interrogations portent sur les mécanismes en jeu. Nous savons que la connexion magnétique entre la photosphère et les couches sous-jacentes, dominées par les mouvements du gaz, et la couronne conduit au transport d’énergie qui est emmagasinée dans la couronne. Mais nous ne comprenons pas bien les mécanismes de libération d’énergie lors des éruptions : comment le Soleil répartit-il l’énergie libérée en (1) énergie cinétique des grandes structures éjectées (éjections de masse), (2) chauffage du plasma coronal à des températures qui peuvent dépasser les 10 millions de degrés, (3) accélération d’électrons, protons et ions lourds à des vitesses élevées, avoisinant parfois la vitesse de la lumière ? Apparemment cette répartition se fait de façon différente, selon l’événement considéré. D’autres questions se posent sur l’effet de la dynamique de la couronne sur les plasmas du système solaire.
Le LESIA joue un rôle important dans les recherches sur la dynamique de l’atmosphère solaire : nous avons une longue tradition dans l’observation du Soleil en lumière visible et ondes radioélectriques.
La modélisation de l’évolution des structures magnétiques dans la couronne et de leurs instabilités a été développée vigoureusement au LESIA dans les dernières années. Comprendre les éruptions et éjections de masse requiert l’étude de processus physiques qui ont en grande partie lieu dans de petites régions, que nos instruments ne résolvent pas. L’énergie magnétique, source de l’activité solaire, bien que stockée dans des structures telles les régions actives solaires - d’une taille de l’ordre de dix à cent mille kilomètres - est "libérée" par la reconnexion magnétique au sein de nappes de courants électriques dont la taille typique est inférieure à la centaine de mètres. Comprendre les phénomènes actifs implique donc de prendre en compte des mécanismes ayant lieu à des échelles extrêmement variées qui peuvent faire intervenir des paradigmes physiques distincts.
L’approximation physique dans laquelle se situe la plupart de nos travaux est celle de la magnétohydrodynamique (MHD) : le plasma solaire est décrit comme un fluide conducteur magnétisé. Nous voulons ainsi :
Afin de répondre aux points précédents, le pôle de physique solaire développe, utilise et combine des modèles analytiques (reposant essentiellement sur des outils mathématiques) et numériques (utilisant l’informatique pour résoudre les équations physiques complexes). Nous disposons ainsi de plusieurs codes numériques que nous avons développés localement ou sur lesquels nous travaillons avec d’autres groupes internationaux. Nous utilisons ces codes sur des systèmes de calcul de l’Observatoire de Paris, mais aussi sur les systèmes de calcul de très haute performance Français tel ceux de l’IDRIS et du CINES. Ces codes utilisent des méthodes de calcul de pointe : parallélisme, maillage adaptatif, ...
Nos spécificités sont d’avoir, depuis de nombreuses années, développé la modélisation tridimensionnelle des phénomènes solaires. Nous nous attachons aussi fortement à développer des modèles en lien avec les observations. Nous avons récemment mis au point un des rares modèles numérique "data-driven" de l’activité solaire, incorporant directement dans nos simulations numériques des données d’observations comme conditions initiales et conditions aux limites. Ces méthodes permettent d’étudier au plus prêt les phénomènes solaires, dans toute leur complexité.
Nous avons le privilège de pouvoir observer le Soleil dans une multitude de domaines spectraux. La lumière visible, diagnostic le plus ancien, continue à dévoiler les secrets des éruptions. Ainsi des observations avec le télescope THEMIS ont mis en évidence la polarisation du rayonnement de la chromosphère, sous l’effet du bombardement par des électrons et protons de haute énergie accélérés lors des éruptions. Les diagnostics se sont enrichis : les rayonnements radio, X et gamma donnent des informations directes sur les électrons et protons accélérés, leur propagation dans la couronne et éventuellement vers l’espace interplanétaire.
Le LESIA joue un rôle actif dans l’exploration des éruptions en rayons X durs et gamma, en association avec la sonde RHESSI de la NASA et des observations micro-ondes avec le Solar Submillimeter Wave Telescope (SST) brésilien en Argentine. La combinaison du Radiohéliographe de Nançay avec les coronographes à bord de SoHO et STEREO apporte des vues inédites sur les éjections de masse et les ondes de choc.
En coopération avec la station de radioastronomie de Nançay, nous sommes responsables d’instruments uniques au monde pour l’observation radio du Soleil : le Radiohéliographe de Nançay est le seul instrument au monde dédié à l’imagerie du Soleil en ondes radio décimétriques et métriques (5 à 10 fréquences sélectionnées dans la gamme 150-450 MHz), qui nous montrent la couronne entre un dixième et la moitié du rayon solaire au-dessus de la photosphère. Le Spectrographe décamétrique fournit les spectres les plus sensibles en ondes décamétriques (fréquences 20-70 MHz), dans la haute couronne : des régions clefs pour la propagation de particules vers l’espace interplanétaire et la génération des ondes de choc. Ces deux instruments sont maintenant complétés par le Spectrographe ORFEES dans la gamme 130-1000 MHz. Avec ces instruments, la station de Nançay dispose d’un jeu complet de diagnostics qui n’a pas d’égal au monde. C’est un atout considérable pour le retour scientifique des missions spatiales. Des observations solaires avec LOFAR pourraient étendre l’imagerie vers les ondes métriques longues, à des altitudes plus élevées que celles observées par le Radiohéliographe.
Le LESIA a la responsabilité scientifique des observations des moniteurs à neutrons des Iles Kerguelen et de Terre Adélie, opérés par l’Institut Polaire Paul-Emile Victor (IPEV). Ce sont des détecteurs de protons et ions relativistes au sol qui nous renseignent entre autres sur les particules de plus haute énergie que le Soleil puisse accélérer. Nous jouons d’autre part un rôle actif dans la maintenance et le développement de la base de moniteurs à neutrons NMDB à l’Université de Kiel, développée dans le cadre d’un projet Européen FP7 et qui s’est récemment enrichie d’instruments américains et africains.
Le LESIA compte continuer à jouer un rôle important dans cette recherche par l’exploitation des instruments actuels et par le développement de nouveaux outils :